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La présence de Nintendo au salon du GDC a été discrète, cet événement professionnel intéresse peu le constructeur préférant se réserver pour la grande messe de l'E3. Quelques cadres ayant fait leur gamme sur consoles Nintendo ont néanmoins fait le déplacement, c'est le cas de Yasuhiro Wada auteur d'une franchise bien installée, Harvest Moon.
 
Son premier grand oral a consisté à décrire les étapes de développement de sa création, émaillés de diverses obstacles. En préambule de son discours, Wada confesse << qu'il n'a pas été simple de transcrire le concept d'une vie de fermier en jeu. >> Originaire de la campagne avant de venir travailler dans un espace aussi urbanisé qu'une grande mégalopole comme Tokyo, le game designer souhaitait rendre ludique l'expérience de la vie rurale, encore fallait-il lui fixer mécaniquement un challenge. Pour donner du grain à moudre à son concept bucolique, il s'inspirera du hit national Derby Stallion dont la matrice consiste à élever des chevaux afin de les faire concourir à de prestigieuses courses hippiques.
 
<< Lorsque vous élevez une vache, vous lui apportez tout votre amour. Imaginez la difficulté d'appliquer ce sentiment dans un jeu. >> Le quotidien d'un paysan se caractérise en effet par une vie calme, paisible avec pour conséquence le problème inévitable de la préservation du rythme de jeu : << il aurait été ennuyeux de reproduire cette banalité avec fidélité >> reconnaît Wada. Tout le travail diligenté par l'apprenti campagnard doit être << motivé par une récompense >> tout en écartant les éléments anxiogènes inhérents à une suractivité professionnelle, même virtuelle : << trop de travail est une source potentielle de stress pour le joueur, le propos doit être ailleurs >> s'interrogeait alors le bouillonnant créatif.
 
Que faire pour entretenir la passion d'une vie champêtre ? Intégrer une autre idée, celle de la récolte des produits du sol : << l'agriculture semblait plus prometteuse que l'interaction bovine >> tout en élargissant le champ d'action de jeu à un système d'agrégation de rapports sociaux : << un village >> dans lequel la paysannerie du joueur pourrait s'épanouir et donner lieu à une diversification des tâches à accomplir, l'ennui d'une vie rustique serait ainsi trompé pour préserver l'intérêt du jeu. Une inspiration à contre emploi a même été suggérée : << c'est alors que j'ai pris conscience d'y associer un système de combat [...] grâce à cela vous pouvez donner à un jeu sans relief beaucoup de profondeur. >>
 
Mais les joies d'incarner un cul-terreux en herbe exploitant sa terre avaient les faveurs du créatif : << cela me semblait plus prometteur que l'interaction humaine >> , un point de vue juste, les jeux rangés à ce concept sont en surnombre dans les étalages des détaillants << mais lorsque Harvest Moon a été mis pour la première fois sur le marché (en 1996 sur SuperNintendo), il ne souffrait d'aucune concurrence >> s'est-il satisfait. Toutefois, il reconnaît que des jeux de gestion ont beaucoup influencé son travail en premier lieu desquels Sim City suivi par l'inévitable Zelda. Wada sentait qu'il tenait là un concept explosif : << une fois que vous aurez cultivée votre terre, vous serez poussé par curiosité d'observer les premières pousses du fruit de votre labeur [...] je n'oublierai jamais ce moment [...] je me suis tourné vers l'équipe pour annoncer la poursuite du développement du jeu. >>
 
Pendant six mois le game designer et ses coéquipiers ont travaillé sans à-coups jusqu'à la prise en compte de l'interaction des personnages, la culture des terres agricoles et l'élevage du bétail : << nous avions travaillé chacun de notre côté (sur ces éléments) alors que nous aurions dû les appréhender comme un tout >> regrette Wada. Des soucis techniques ont même compliqué la tâche : << la vitesse d'animation accusait de forts ralentissements, il y avait beaucoup trop d'éléments affichés en simultanés à l'écran. >> Lesté des ingrédients indispensables à la bonne marche des mécanismes du jeu et c'est tout l'intérêt qui est réduit à rien en un clin d'oeil. Pour ne rien enlever au vocabulaire agricole d'Harvest Moon, Wada et son équipe ont procédé par patiente élimination : << nous sommes passés par un processus de tentative et de correction afin d'optimiser l'affichage. >>
 
Comme un problème ne vient jamais seul, le studio de développement soutenant le projet à bout de bras fera faillite alors que le jeu était presqu'à terme de sa réalisation : << c'était une petite structure écartelée par une myriade de projets prévus sur Saturn et PlayStation [...] son président s'est évaporé dans la nature, notre équipe dispersée. La seule chose qui restait était les données du jeu et quelques actifs. >> Dépité par ce gâchis, il regrettait d'être resté simple spectateur de l'organisation de la mise en faillite du studio. A deux doigts de tout abandonner, deux fidèles cadres de son équipe se sont rappelés à leur engagement : << ne laissons rien tomber, portons le jeu jusqu'à son terme. >> Malgré un budget réduit en peau de chagrin, la motivation du moins émoussée, était repartie de plus belle. Le game designer ne citera jamais ses commanditaires, il demeura évasif, concentrant son discours sur les différents stades émotionnels et étapes de production d'Harvest Moon qui ont émaillé son expérience professionnelle mouvementée.
 
L'éditeur intéressé par cet embryon de jeu donnera à Wada et son équipe six mois de délai supplémentaire afin d'achever le jeu : << nous avions investi une salle de réunion, placé nos outils de travail, nos sacs de couchage [...] le code a été presque entièrement réécrit >> les autres composantes du jeu (scénario...) parachevées. En dépit de ses efforts qui prenaient des allures de désillusion pour le bouillonnant créatif, l'échéance fixée par l'éditeur sera respectée. Harvest Moon sera timidement salué par les joueurs (100 000 exemplaires vendus, en deçà des objectifs de vente fixés par Nintendo attentif à cette curiosité ludique). Cependant, la version Gameboy portée par le succès écrasant des Pokémon propulsera par un effet d'entrainement Harvest Moon au firmament des charts japonais. 300 000 pièces auront trouvé preneurs sur la console portable, les attentes du constructeur seront pulvérisées, l'éditeur est comblé.
 
La carrière commerciale de la franchise sera exemplaire, loin des tourments et vicissitudes qui ont rythmé la réalisation du premier volet. La soif d'émancipation de Wada a été satisfaite dans la création de son propre studio, ToyBox. Il souhaite en plus d'autres projets redevenir producteur d'Harvest Moon dans le but de lui imprimer un oeil un peu plus inspiré.