Très sollicité pour des entretiens avec les médias, Shuntaro Furukawa se soumet volontiers à l’exercice avec aplomb rappelant celui de Satoru Iwata dans sa première année d’exercice comme président directeur général de Nintendo. S’il en a hérité les codes, ce jeune décideur tente à chaque interview d’imprimer sa marque, surtout dans l’art de préparer les esprits à d’importants arbitrages industriels.

Ni totem, ni tabou. Les sujets abordés par le journaliste du Kyoto Shimbun brassent les échecs relatifs, les succès en demi-teintes et les nouveaux leviers de croissance économique qui rythment le pilotage mouvementé du constructeur japonais.

Scruté à la loupe par la communauté financière, l’objectif ambitieux d’installer un parc de vingt millions d’exemplaires de Switch est encore incertain. Plutôt que donner un chiffre même partiel, le PDG « préfère évaluer attentivement les chiffres de fin d’année et surveiller la tendance qui se dégage début 2019 ». Il insiste sur le redoublement d’effort éditorial à entreprendre en faveur de la console vedette du fabricant qui entre dans sa troisième année d’exploitation commerciale, synonyme d’attrait marchand émoussé. De nouvelles actions marketing souligneront davantage le caractère polyvalent de la console, à ses yeux attrait distinctif probant face à un marché concurrentiel trop segmenté : « nous souhaitons démontrer que les joueurs ont la possibilité de changer de style de jeu, qu’elle est transportable et configurable selon ses envies » .

Autre produit phare qui a piqué un temps la curiosité des joueurs avant de plonger dans les classements de vente, Nintendo Labo. Furukawa concède un rendez-vous manqué avec le public, mais constate « un frémissement des ventes » dans le rallye de fin d’année. Un renouvellement de son positionnement marketing est dans les cartons (héhé…), « nous travaillons à la formulation de nouvelles expériences » grâce à l’extrême flexibilité du concept.

Bien que le jeu phénomène Pokémon Go soit lié de manière inédite à la Switch, interprétable comme une première brèche dans la stratégie de cloisonnement des jeux sur smartphone, Furukawa rappelle la fonction première de ce secteur d’activité si décrié en interne. Celui-ci a vocation d’augmenter la visibilité commerciale de l’univers Nintendo « afin d’accroître notre base de fans ». Il évacue l’idée selon laquelle les jeux sur smartphone au modèle économique si particulier (accès gratuit puis achat progressif) puissent se jouer sur Switch : « ils sont différents des titres sur consoles », résume-t-il.

L’explosion du jeu en situation de mobilité sur formats iOS/Android a considérablement réduit le périmètre de vente des consoles portables de Nintendo. La caractéristique multiforme de la Switch est une réponse à cette tendance de fond. Au prix d’un lourd sacrifice, le retrait calculé de la 3DS. Bien qu’il s’en défend en prétendant « poursuivre notre activité car nous l’avons préparée à coexister avec la Switch », les derniers relevés de Media Create révèlent une chute vertigineuse des jeux en pleine période estivale.

Le projet majeur est de créer des passerelles entre les différentes branches d’activités du jeu vidéo « dans le but d’augmenter les points de rencontre avec les joueurs ». En plus du jeu sur mobile, l’eSport entre dans le cadre de cette stratégie de conquête. « Nous avons organisé pour la première fois un large événement appelé Nintendo Live sur le marché domestique ainsi qu’à l’international (…) je ressens un sentiment identique au plaisir de regarder un match de baseball » dit-il enthousiaste.