À l’approche des premiers titres Nintendo commercialisés sur plates-formes intelligentes, chacune des parties engagées joue sa propre partition. Celle du constructeur se joue tout en retenue pour ne pas froisser ceux qui croient en l’idéal Nintendo. L’annonce inattendue de l’existence de la NX par feu Satoru Iwata et le zèle des cadres à l’ébruiter confortent l’engagement pris oralement devant eux.

C’est un tout autre son de cloche que le PDG de DeNA aime à faire entendre. Profitant de l’organisation annuelle du Pocket Gamer Connextion, Shintaro Asako ne cache pas sa satisfaction de voir son partenaire prendre non seulement acte de l’attractivité du segment mobile, mais aussi de partir à la conquête de ce marché avec pour objectif « de changer la façon dont le public joue à des jeux sur smartphone ». Comme pour marquer les esprits, il n’hésite pas à caractériser cette alliance de contrat du siècle, ou si peu : « Cette signature représente un accord monumental ».

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir bataillé avec l’état-major de Nintendo très réticent à l’idée de pénétrer un secteur d’activité ultra-concurrentiel. « Il nous a fallu 5 ou 6 ans pour les convaincre de commercialiser des jeux sur notre plate-forme Mobage », révèle Shintaro Asako. Celui-ci pense que le fabricant a fini par céder aux sollicitations de DeNA sur un constat d’échec. « Nintendo cherchait à capter un très large public », cette base de néophytes attirés par la simplicité d’emploi de sa précédente console ainsi que par des titres adaptés à leur frivolité ludique, « il se heurte désormais à un mur » juge le PDG de la branche Ouest de DeNA. Les rapports de force ont évolué en faveur du segment des dispositifs intelligents (basculement consommé au Japon, en passe de l’être aux États-Unis comme en Europe), cannibalisant ainsi la cible privilégiée par Nintendo. Une récente étude publiée par le cabinet EEDAR défend également cette thèse. La Wii U semble souffrir de la déloyauté de cette composante de marché réputée folâtre.

Mais lorsque les grandes signatures du développement de jeux sur console se penchent sur lui, le constat est sévère. À l’exemple de Hiroaki Yura connu pour avoir travaillé sur des titres aussi variés que Diablo III, Soul Calibur IV, Valkyria Chronicles. Selon lui, le dynamisme affolant de ce pan de l’industrie vidéoludique cache en réalité de grandes disparités. La fortune sourit à quelques-uns, les renversements de position dominante sont fréquents quand ce n’est pas le consommateur final qui se trouve harcelé par le piège du “play to win”. Des casseroles que n’ignore pas le dirigeant de l’opérateur mobile DeNA. Par la capacité attendue de Nintendo « à changer la façon dont ce public joue à des jeux mobiles », le marché sera comme tiré par le haut, nettoyé de ses scories.

Toutefois, l’expertise du constructeur a conduit à confisquer à l’opérateur partenaire la création de titres sous licence pour lui confier uniquement la gestion de l’infrastructure en ligne chargée de distribuer les jeux. Cette répartition des tâches n’obéit pas seulement à la décision de préserver la réputation des marques de Nintendo des pratiques de monétisation douteuses de DeNA responsable de la dégradation de son chiffre d’affaires. Elle répond à la nécessité d’assimiler de nouvelles procédures de développement que Satoru Iwata appelait de ses voeux. Le “free to start” en est une. Elle repose sur la flexibilisation de la structure d’un jeu et de ses mécanismes. Un modèle de développement éloigné de la culture d’entreprise séculaire du fabricant. Ce vent de réforme ne touche pas exclusivement les jeux destinés au segment mobile. Elle s’exerce aussi sur console de salon.

Le nouveau PDG aura pour tâche de poursuivre la “minecraftisation des esprits” amorcé par Iwata. Elle consiste à libérer des développeurs un tronçon du déroulé d’un jeu par la mise à disposition d’outils de vulgarisation de level/game design. Super Mario Maker illustre cette timide, mais certaine révolution des consciences qui s’opère au sein des troupes de Nintendo. Le “user general content” devient un enjeu stratégique majeur dans un contexte où les joueurs sont désormais enrôlés dans le processus de financement d’un jeu. Reste à convaincre le noyau dur des fans de franchir ce cap. Nintendo a choisi de les accompagner avec progressivité dans l’acceptation de ces normes ludiques inédites pour eux. Ainsi, Super Mario Maker propose de se dévoiler par effeuillement journalier avant de confier au joueur l’intégralité des éléments de développement (après neuf jours).

La prochaine console de Nintendo sera porteuse de l’ensemble des éléments constitutifs du processus de rénovation en cours. Avec une première, elle ne sera plus entièrement pilotée par le haut. Elle s’ouvrira au plus petit dénominateur commun allant du plus simple employé échaudé par la boîte à idée, au joueur désireux de mettre en perspective les enseignements de Miyamoto.