Pour avoir été le principal promoteur de la réalité virtuelle dans le milieu des années 90 et surtout la première victime de ce véritable désastre collectif, Nintendo se tient officiellement à l’écart du retour hypothétique de cette technologie d’affichage à l’aune du lancement de la NX. Le constructeur préfère-t-il regarder par la lucarne prometteuse de la réalité augmentée ?
 
Le bruit et la fureur de cette exceptionnelle édition 2015 du Mondial du jeu vidéo ont consacré le retour en grâce des dispositifs VR emmenés par Oculus Rift, Sony pour ne citer qu’eux. Tous ces candidats ont pris de sérieuses options dans cette compétition ouverte. La victoire des uns sur les autres ne se jouera pas seulement dans l’originalité de l’offre éditoriale, elle s’inscrit aussi dans la manière de dépasser/casser l’image de l’état d’isolement relatif du joueur coupé de son environnement immédiat par un casque enveloppant peu ou prou son visage.
 
C’est précisément le reproche que formule Nintendo à l’adresse de ces appareils bien que la technologie ait réduit considérablement les effets indésirables (nausée) tout en assimilant les interactions sociales modernes diffusées par les smartphones et autres tablettes connectées. À une nuance près (cf. la dernière sortie de Miyamoto sur Star Fox Zero), celle-ci apparaît aux yeux des décideurs de Nintendo dérangeante dans sa démonstration extérieure, très loin de l’idée que le constructeur japonais se fait du divertissement à vivre en famille : « Cette technologie n’est pas socialisante », répètent à l’unisson les dirigeants de Nintendo. Cette appréciation “étroite” de la réalité virtuelle est partagée par Disney, autre géant de la récréation familiale. « Nous multiplions les réunions avec Oculus, Sony et Microsoft, souffle un porte-parole de la société américaine dans les colonnes d’Engadget.com. Nous sommes vigilants [...], mais cette technologie souffre d’un manque de sociabilité ».
 
 
Réduire à ces deux spécialistes du loisir de masse l’observation critique de la VR est partial. D’autres voix discordantes – et pas des moindres - se sont fait entendre dernièrement. À commencer par l’illustre Warren Spector. Lors d’un entretien post-E3 accordé à GI.biz, ce dernier se désole invariablement du manque d’audace créatif qu’il résume amèrement ainsi, « J’ai vu des titres de jeux avec des chiffres après leur nom ». Mais son coup de griffe le plus sanguinolent, Warren Spector le réserve à la VR : « C’est une lubie ». Bien qu'il entrevoit des « trucs de fou » au bénéfice de secteurs d’activité éloignés du divertissement interactif (traitement des phobies, réunion d’entreprise...), il reste toutefois persuadé de la persistance de réactions hostiles venant du « commun des mortels » irrité à l’idée « d’avoir l’air stupide et coupé du monde ». Ce n’était pourtant pas faute d’avoir été emporté par cette vague technologique dans les années 90. « J’ai travaillé sur une série de jeux [...] j’étais vraiment grisé par la VR. À présent, ça me passe au-dessus de la tête ». Autre grande signature de cette industrie à pondérer l’impact de cette technologie d’affichage, Tim Sweeney responsable du studio Epic. S’il se prétend « enfiévré par la VR », posture compréhensible pour une structure viscéralement vouée à la technologie 3d (moteur Unreal Engine), cet as de la programmation juge l’expansion de ce marché limité aux joueurs avertis, soit près de « 150 millions d’utilisateurs », tout de même...
 
Les artisans du renouveau de la VR, à l’exemple du bouillonnant Shuhei Yoshida, responsable de la puissante Sony Worldwide Studios balaie ces assertions pour n’identifier que des problèmes négligeables tels que la mise en place d’une communication vendeuse séduisante dans la description de l’expérience VR à l’attention d’un public non averti. Le dirigeant parle plus volontiers de « divertissement passif » afin de convaincre le si convoité segment familial des capacités divertissantes de la réalité virtuelle différentes de celle diffusée par le téléviseur. Les stratèges en communication d’Oculus n’ont pas attendu le géant japonais pour attiser l’appétit de cette audience idolâtrée. Des vidéos virales circulants sur le web mettent en scène un public visiblement étranger à ce type de loisir éprouver jusqu’à l’exagération des sensations renversantes, le casque Oculus Rift chaussé sur leur tête.
 
Mais rien n’y fait. L’héritage déshonorant du Virtual Boy a laissé des traces indélébiles dans l’esprit des décideurs de Nintendo. Hier comme aujourd’hui, cette voie n’est pas viable, elle représente presque une impasse.
 
Contrairement à ses concurrents directs, Nintendo se met au défi d’anticiper les usages de demain grâce à des innovations d’ores et déjà éprouvées. La colossale ludothèque du fabricant apportera une coloration propre à la découverte d’un gameplay inédit. Que peut-on donc anticiper d’un constructeur au pied du mur ?
 
« La réalité augmentée incarne la prochaine grande étape dans l’histoire de la civilisation ». Ces propos un brin excessifs ne sortent pas de la bouche d’un représentant zélé de Nintendo. Ils viennent du débordant Tim Sweeney d’Epic. Selon lui, cette technologie « redéfinira l’interaction avec les ordinateurs », jusqu’à même les remplacer en entrainant dans sa course « tablettes, télévisions ainsi que toute sorte de support dédié au jeu » adoptée « par l’humanité toute entière ». Mark Zuckerberg qui n’a pourtant pas hésité à poser deux milliards de dollars sur la table pour s’offrir celui qui a défriché la VR voit en l’AR une formidable opportunité de développement. Une révolution qui ne dit pas son nom. Car même le plus dénominateur commun de l’AR (entendez par là un simple gadget visuel) « semble convaincant » aux yeux aigris de Warren Spector.
 
Et Nintendo n'ignore rien de cette prochaine vague de fond technologique.
 
 
Pour le moment, l’offre de Nintendo dans ce domaine se limite aux AR Cards dont les applications demeurent superficielles au regard des grandes avancées dans ce domaine. Seulement à la manière du gameplay asymétrique de la Wii U et de la 3D volumétrique de la 3DS, Nintendo puise dans la richesse de sa force de frappe éditoriale pour se réinventer, car ce réservoir de grandes idées préfigure souvent des prochaines tendances des consoles de la société. Pac-Man Vs sur GameCube lancé en 2003 et édité par N. EAD annonçait plus de dix ans en arrière le principe distinctif de la Wii U, un titre DS dont le nom m’échappe proposait une profondeur stéréoscopique inédite sur NDS.
 
En ce sens, la réalité augmentée disponible sur 3DS semble à dessein bridée pour exploser d’un nouvel éclat sur NX. Alors, appelez la prochaine console Nintendo AR ou Wii AR, car celle-ci exploitera très vraisemblablement cette technologie d’affichage aux promesses ludiques fantastiques.