Il n’a pas le charisme et possède encore moins l’affiliation familiale du roc Hiroshi Yamauchi. Pourtant il affronte l’une des pires tempêtes que Nintendo a traversées depuis sa création. Au lendemain de la publication de résultats catastrophiques - bien en dessous des anticipations basses des analystes – Satoru Iwata est au centre de toutes les interrogations et critiques, essentiellement en provenance de la communauté financière. Les appels à la démission fusent de toute part, l’action Nintendo est massacrée sur les principales places boursières (moins 17% au New York Stock Exchange, moins 15% au Japan Exchange Group...).

 
Lors d’une conférence de presse tenue hier devant un parterre d’actionnaires et d’analystes sur les dents, Iwata accompagné de son directeur financier a fait acte de contrition (courbette), une coutume toujours aussi déconcertante pour nous occidentaux. Sans se défiler, l’homme assume l’entière responsabilité de cette déroute, il entend les exhortations à l’application d’une stratégie matériel indifférenciée. La principale pomme de discorde entre le monde de l’analyse financière et le dirigeant comme le résume un porte-parole de l’agence Ichiyoshi Asset Management : “Nintendo a l’obligation de revoir son modèle d’affaires [...] l’origine du problème est d’ordre structurel.” L’insupportable Michael Patcher de Wedbush Securities ne dit pas autre chose : “les logiciels Nintendo bénéficient d’une grande notoriété [...] cependant, les ventes resteront confidentielles tant que les jeux sont dédiés exclusivement aux machines propriétaires de la marque”.
 
 
 
Afin de déminer cette situation explosive, Iwata multiplie les propos rassurants : “nous réfléchissons à l’organisation d’une nouvelle structure d’entreprise”, préalable à l’ouverture vers le marché des smartphones ? L’homme fort de Nintendo entrouvre une porte : “compte tenu de l’expansion des dispositifs intelligents, nous étudions la manière des les utiliser afin d’étendre notre croissance”. Avant d’alerter de la complexité de la tâche qui attend Nintendo : “ce n’est pas aussi simple qu’un portage de Mario sur smartphone”. La fin de Nintendo comme entité monolithique semble donc actée : “notre précarré est source d’obsolescence”.
 
Voilà pour les propos réconfortants dits dans l’urgence que les stratèges en propagande d’entreprise nomment pompeusement communication de crise. Car au-delà de toute la symbolique du poids millimétré des mots prononcés par ce dirigeant aux abois, se cache une réalité aux antipodes des attentes de la communauté financière. Certains d’entre eux ne sont dupes de rien et ne manquent pas de le souligner au sortir de la conférence de Tokyo. À commencer par Patcher : “Satoru Iwata n’a toujours pas saisi les données du problème.” Sentiment de dépit rejoint par le cabinet JP Morgan : “Étant donné la formulation d’une variété de scénarios, y compris l’extension du contenu en direction d’autres plates-formes, les perspectives d’un retour à l’équilibre sont délicates”. Autrement dit, l’adoption d’une stratégie agnostique n’est qu’une hypothèse parmi d’autres pour le fabricant, et non pas une priorité absolue.
 
La publication des résultats du géant japonais a été rapidement suivie par l’édition d’une note explicative détaillant les causes de cette déconfiture. L’une d’entre elles qui auraient pu éponger les pertes financières du fabricant est clairement mise en exergue par le PDG de Nintendo : “nous n’avons pas suffisamment profité de la faiblesse du yen”. Valeur boursière dite exportatrice, les marges bénéficiaires du constructeur dépendent aussi bien des performances de ses consoles sur les marchés étrangers que du taux de change. En cas de méventes, le différentiel du yen avec les monnaies étrangères compense mécaniquement les pertes commerciales. C’est précisément cette donnée (en plus de la conjoncture économique défavorable) que ce dernier souhaite mettre en avant plutôt que sa gestion du court terme si propre au mode d’anticipation des financiers.
 
En effet, la conduite de sa stratégie produit ne peut souffrir d’aucune critique, car elle appartient à un domaine réservé : “si vous êtes emmenés par la recherche du profit boursier à court terme, dans ce cas de figure je suis un mauvais dirigeant. Néanmoins, j’ai la faiblesse de croire en ma capacité de maximiser la valeur de Nintendo dans une perspective long terme” déclarait Iwata au Wall Street Journal en juin 2013. C’est pour cette raison qu’il s’accroche contre vents et marée à son poste : “je ne démissionnerai pas [...] (et) il n’y aura pas de bouleversement majeur de l’état-major dans l’immédiat”.
 
 
Cette vérité aura beau être gravée dans le marbre, elle continue d’échapper aux financiers : “les consommateurs achèteront une console dans l’intention de jouer à un jeu vraiment intéressant”, martèle à tout va le haut dirigeant. C’est mathématiquement ce qui manque à la Wii U, de grands jeux originaux. Ceux qui à eux seuls ont redressé de manière spectaculaire les ventes atones de la 3DS. Les réformes engagées tardent à délivrer leur dividende, telle la mutualisation du millefeuille des départements R&D et Software des formats nomade et salon afin de bénéficier des effets de synergies. Son calendrier de communication échelonné au rythme des salons et de la forte saisonnalité des ventes obligent Satoru Iwata à recourir à ce genre d’effet de manche. Il faut tempérer à défaut de contenir les ardeurs des actionnaires et investisseurs par des déclarations d’intention.
 
Car plus que jamais, ce sont les usages que l’on fait d’une console qui détermine l’acte d’achat, pas sa puissance technique aussi élevée soit elle. La configuration de la Wii U est développée dans ce sens, ne manque plus que les jeux pour le démontrer. Rendez-vous à l’E3 de juin prochain amis financiers.