Le site Eurogamer.net propose de plonger comme jamais à l’intérieur des méandres de la politique de développement de la Wii U. Le prix à payer pour aller au-delà de langue de bois et des discours officiels aseptisés est l’anonymat du développeur qui n’a accepté de se mettre à table qu’à cette condition. Tout en soulignant avoir participé à la création << d’un des meilleurs titres de la console >> comme pour donner le poids de la crédibilité à ses révélations dites dans le secret. Ce témoignage offre un éclairage multiple, prend parfois prématurément les accents d’un post mortem, mais demeure convenu sur beaucoup de points. Les réactions provoquées par ce brulot se sont d’ailleurs fixées sur le caractère caduc de ses allégations.
 
Dans un premier temps, le développeur aborde le processus de création d’une console de jeux vidéo, des concertations coutumières avant la finalisation du matériel puis des négociations commerciales menées par la suite entre les constructeurs et éditeurs tiers. Ces phases ont toutes leur importance dans le déroulement des préparatifs, si ce n’est la fenêtre d’opportunité laissée aux développeurs d’exercer leur influence quant aux choix des composants, de l’OS, de la configuration de la carte-mère. Dans le cas de Nintendo, celle-ci est traditionnellement réduite à une formule de politesse.
 
L’ordonnancement du dispositif de sensibilisation aux travaux tenus secrets du fabricant japonais aura étonné le technicien anonyme. Autant que l’objectif de discrétion du matériel : << la console devait être de taille identique à la Wii et être silencieuse. >> C’est précisément sur ce point qu’achoppe le propos du développeur. Ce dernier prétend avoir pris immédiatement conscience que derrière ces deux obligations ergonomiques : << il fallait un processeur central capable de dégager un minimum de chaleur, signifiant une vitesse d’horloge modérée. >> Des craintes rejetées en bloc par Nintendo pendant ce tour de table, car des << aspects annexes du CPU >> permettraient d’augmenter sa performance théorique. La faible consommation d’énergie ne devait souffrir d’aucun compromis, cette finalité était << le plus important des objectifs généraux de conception >> de la console.
 
Ce rendez-vous s’était clôturé sans lever quelques interrogations sur les choix << hasardeux >> de conception de la Wii U. Avant l’arrivée des premiers kits de développement, les opérations de veille technologique destinées à traduire bon an mal an les performances du nouveau format de Nintendo au travers d’une configuration PC ont confirmé les craintes initiales. La Wii U ne peut tenir les exigences des moteurs 3D nouvelle génération, voire même peinerait à soutenir la comparaison avec les machines sortantes. La réception des versions primaires des kits confirme aux yeux du développeur les carences techniques répertoriées par les tests anticipés sur prototype PC : << les durées de compilations sont extrêmement longues [...] 3/4 minutes pour la Wii U quand d’autres plates-formes demandent environ une minute >>. Le pire viendrait des tâches diverses et multiples << qui s’additionnent [...] elles représentent beaucoup de temps perdu. >>
 
Les répercussions sur << le nombre d’options que nous voulions intégrer dans notre jeu >> deviennent dommageables pour la qualité du titre réalisé. Et que dire de la gestion du perfectionnement des kits rarement notifiée, du soutien quasi absent de Nintendo... << ils ne pouvaient apporter aucune réponse dans l’immédiat [...] ils nous avaient proposé d’attendre et d’attendre encore [...] après une semaine, nous avions réceptionné par courriel leurs explications à nos questions formulées dans un anglais approximatif. >>
 
L’exploration des capacités techniques de la Wii U l’amène à réviser son jugement pour certains composants tandis que d’autres inquiétudes venaient renforcer son opinion. Le processeur central restait problématique : << quand bien même l’existence de quelques fonctionnalités intéressantes nous ont permis d’optimiser sa vélocité, nous ne pouvions en profiter pleinement. >> L’heureuse surprise viendra de la puce graphique de taille à décharger de certaines tâches le CPU. Toutefois, le manque de temps associé << au défaut de soutien de Nintendo >> contraint le développeur d’abandonner à son désespoir, certaines de ses initiatives en programmation. Le jeu en ligne essuie un identique anathème de la part du technicien. Celui-ci déplore l’impréparation du fabricant : << nous avions appris qu’ils travaillaient encore sur le code >> alors que les tests exigent une infrastructure réseau stable pour être validés en amont. Les bases du code leur sont communiquées, néanmoins l’indigence de la documentation et du code << nous ont condamné à travailler à l’aveugle, en croisant les doigts pour que cela fonctionne >> une fois le jeu commercialisé.
 
Nintendo organisa plusieurs conférences téléphoniques afin de recueillir les contre-réactions et satisfactions de ces premières expériences de développement sur Wii U. La défaillance des chaînes d’outils de programmation ainsi que les carences du online étaient pointées du doigt : << il y avait visiblement des problèmes occasionnés par la mise en place de l’infrastructure réseau destinée à rivaliser avec celle de Sony et Microsoft, ils ne l’avaient pas prévu [...] ils étaient en retard, très en retard. >> Les effets de l’inexpérience de Nintendo se traduisent par << le téléchargement d’un énorme patch ajoutant les éléments manquants. Sans lui, beaucoup de jeux avec option en ligne n’auraient été que partiellement opérationnels. >> Au joueur d’essuyer les plâtres du sous-dimensionnement du réseau Wii U, signe selon le technicien d’une totale improvisation.
 
Avec le recul, son sentiment ne dépareille pas de la réputation que traîne le fabricant depuis des décennies : << nous avions l’impression d’avoir été copieusement négligé par Nintendo, car nous n’étions pas un studio first party [...] nous avions été sollicités pour boucher les trous de sa ligne éditoriale. >> Selon lui, les studios internes du constructeur rencontrent de grosses difficultés d’adaptation à la norme HD : << leurs équipes sont désormais confrontées à ce défi [...] ils doivent subir une énorme pression pour réaliser des titres convaincants, il est inévitable que des retards soient constatés >> cependant la rareté des jeux internes durant l’année 2013 lui paraît << surprenante >>.
 
En ce qui concerne l’atonie des ventes, ce dernier semble confiant dans la capacité de Nintendo à redresser << comme une fusée >> la courbe de croissance des ventes, l’ouverture du marché chinois peut elle aussi << fournir une bouée de sauvetage >>. Néanmoins la dynamique des consoles PS4/Xbox 1 pourrait contrarier durablement l’attrait de la Wii U sans compter la faible solvabilité des joueurs chinois. Enfin, d’après lui Nintendo fait face à un challenge inédit dans sa longue histoire.