Pour ne rien vous cacher, ce billet est en retard d’au moins 2 ans. En effet, c’est en Janvier 2014 que je fus estomaqué au fur et à mesure du visionnage des différents épisodes de la Série avec un grand S - comme son scénario d’ailleurs  - : The Bridge Bron Broen. Une série de 10 épisodes prenant place dans le grand froid du Nord entre le Danemark et la Suède, 2 pays relié comme vous le savez par le pont de l’Orensund (jouxtant Malmö et Copenhague), d’où le nom de la série que l’on peut traduire comme suit : Le pont pont pont. Une série qui sous couvert d’un titre un peu con con con cache indéniablement un grand talent. Bilatéral apparemment puisque coproduction.

TheBridge Bron Broen ne prend pas de temps pour poser son postulat de départ. Le pont reliant les 2 pays nordiques devient la scène de crime suite à la découverte d’un corps - précédée d’une panne de courant localisée – déposé exactement au milieu de la ligne de démarcation entre les 2 pays. Les 2 corps de police se retrouvant de chaque côté de la ligne imaginaire pour statuer sur lequel des 2 devra enquêter (généralement, la police partageant la même citoyenneté que la victime). Sauf qu’au moment de déplacer le corps pour l’emmener à l’institut médico-légal, profane constatation : le corps est coupé en 2 juste au-dessus du bassin. Souveraineté territoriale oblige : le crime concerne bien les 2 pays.

Jusque-là, tout le monde se dit, moi le premier, qu’il ne va s’agir que d’une enquête commune, une de plus, la crainte de s’ennuyer fermement commence à guetter. Seulement, ce postulat de base à la fois inédit et peu engageant pour la suite bénéficie d’un soin et d’une minutie au niveau de la construction de son scénario que j’ai personnellement rarement vu dans le cadre d’une série. Inutile de vous préciser que je ne dévoilerai aucun élément trahissant la découverte des éléments de scénario bouleversant la storyline que l’on croit toute tracé, non, j’aimerais plutôt revenir sur l’autre grande force du show : ses personnages.

A commencer par son duo d’enquêteurs. La suédoise Saga Noren et le danois Martin Rhode ont autant été délicatement écris que le scénario lui-même. Tout l’intérêt de l’enquête conjointe sur ce meurtre pas comme les autres reposent sur la compatibilité, l’alchimie ou au contraire les différends et distension que vont observer les 2 personnages principaux en fonction de leur personnalité, caractère, méthodes. A mon sens, l’habilité du scénariste - responsable de cette réussite qu’est l’association et l’évolution de ces 2 personnages qui n’ont rien en commun - à avoir inversé nos acquis intellectuel par rapport à la représentation que l’on se fait du rôle généralement dévoué à une actrice et un acteur constitue la clé de voute de la performance, plus encore que ce scénario littéralement sorti de nulle part.

Contrairement à ce que j’aurais imaginé – mais ais-je peut-être les lieux communs qui ont la vie dure – celle qui joue « l’extraterrestre » atteinte du syndrome d'Asperger qui limite l’empathie et maximise la rationalité par rapport aux faits, vit telle une solitaire endurcie et décontenance à chacune de ses interventions tant elle semble venir d’une  autre planète est bien la demoiselle. Quand son acolyte joue le père de famille tout ce qu’il y a de plus normal, capital sympathie au beau fixe, sociable à souhait, joyeux. D’habitude, on emploie le terme homme de cro-magnon, pas femme de cro-magnon. Soulever et bouleverser les codes préétablis tel que le public anticipe est en soi force de respect. C’est d’autant plus appréciable quand les autres personnages ne sont pas en reste.

Même si les 2 personnages principaux écrasent de leur poids chaque épisode, la sociopathie - qui anime le tueur de la Vérité, responsable des meurtres se succédant, tous reliés à une Vérité qu'il énonce sur la société, qu’il souhaite dénoncer et faire payer au prix fort - pourrait constituer en elle-même la troisième composante. Ces 3 personnages forment une trinité qu’on pourrait résumer ainsi : le gentil, la perspicace et le manipulateur. Et le terme n’est bien entendu pas galvaudé au vu de l’évolution aussi surprenante que machiavélique de son plan.

D’un point de vue narratif, la série choisit la majeure partie du temps de se concentrer sur nos 2 acolytes ainsi que leurs proches et/ou collaborateurs – eux aussi très bien castés au demeurant – mais pas uniquement. Régulièrement, la caméra s’attache à centrer l’attention du spectateur sur les belligérants en marge du tableau. Ceux dont les soupçons qu’on leur porte ou l’entremêlement de leur propre histoire vont rapidement se conjuguer avec les évènements se passant de part et d’autre de la frontière dano-suédoise. Le pouvoir de suggestion tant du Tueur de la Vérité que de la mise en scène est puissant. C’est sans cesse qu’on se questionne : qui c’est celui-là ? Pourquoi nous le montre-t-on ?  Il a vraiment quelque chose à voir avec tout ça ou est-ce une fausse piste ? The Bridge Bron Broen joue avec nos nerfs et s’amuse de notre tension (artérielle) et il le joue bien.

Un dernier point sur les décors. La Scandinavie dépeinte par la Série n’hérite paradoxalement pas d’un Hiver propice à des tableaux blancs, enneigés et d’une beauté irréfutable. En effet, c’est un accueillant temps printanier (ou automnal, j’ai pas demandé) que se dresse cette froide peinture tant dans les panoramas que les évènements qui s’y succèdent. D’un naturel froid, peu enclin à l’hospitalité, les lieux révèlent au fur et à mesure leur charme un brin austère pour un continental certes mais leur charme quand même, il finit bien par opérer. On dit souvent des séries venant du Nord qu’elles sont aussi glaciales dans leur traitement que les décors dans lesquels elles prennent place et ce poncif ne déroge pas foncièrement à la règle. Ce qui n’est pas un mal en soi d’ailleurs.

Visionnée en VO (principalement danois mais aussi un peu de suédois) - très agréables ces langues nordiques soit dit en passant -, The Bridge Bron Broen est une excellente série que je place facilement dans le Gotha de celles qu'il faut au moins visionner une fois tant la qualité d’écriture du scénario comme des personnages est époustouflant. Le casting et le jeu d’acteurs n’étant pas en reste que ce soit de la formidable Sofia Helin matérialisé à l’écran par la frugale Sara Noren ou le très empathique Kim Bodnia prêtant ses traits à Martin Rhode. Le charme à 0°C scandinave opère même si on a du mal à s’imaginer s’offrir des vacances de sitôt dans l’une des 2 métropoles en vis-à-vis de part et d’autre de la frontière. Enfin, les personnages secondaires ne sont pas en reste et jouent un rôle beaucoup plus important que mon papier ne laisse le suggérer. Encore fallait-il vous ménager de la surprise. Ah et pour rassurer tout le monde : une fin en apothéose. Rien que ça.

 

 

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