Je vais vous parler aujourd'hui de ciné, par le prisme d'un métier méconnu, celui de projectionniste. Toute la magie du cinéma repose sur ses robustes, voire augustes épaules. Certes le métier a évolué de nos jours, faisant passer un boulot d'artisan à celui de pousse-bouton, pour caricaturer.

Je tenais donc à témoigner mon expérience, comme le dernier mohican de la péloche 35mm.

Travaillant pour un petit multiplexe provincial, puis comme sur la photo un mono-salle d'un petit bled, je vais exposer les différents pans de ce boulot atypique.

La Distribution

D'où viennent les films?

Une fois un film tourné, le master est envoyé à un labo, qui va le développer sous le format d'une pellicule de 35mm de largeur. Le nombre de copies tirées varie suivant le potentiel commercial du film, et les moyens du distributeur. Il existe plusieurs qualités de pellicule aussi, malheureusement. Un gros film est tiré sur 800 copies (Harry Potter par exemple), un film moyen sur 250. Pour les 4000 écrans de France, je peux vous dire que ça se fight sévère pour avoir la sortie nationale, à part pour les gros réseaux style Pathé ou UGC qui ont des deals automatiques. Il faut savoir aussi qu'un ciné loue toujours une copie. En général, c'est 50-50: la moitié du prix des entrées revient au distributeur, la moitié au ciné. Sur sa moitié, le ciné est prélevé de diverses taxes, dont une importante pour le CNC (centre national de cinématographie) qui finance un paquet de films.

Le Montage

Monter un film, c'est quoi?

La copie arrive donc au stock, souvent régional, et chaque patron de ciné va chercher ses films le mardi matin. La semaine commençant le mercredi, c'est donc le mardi soir que le projectionniste va connaître un pic de boulot pour monter tous ces films. Ces derniers sont conditionnés dans des "marmottes", qui sont des cartons renfermant des boites en plastique, à l'intérieur desquelles on trouvera des bobines:

Une bobine correspond à une vingtaine de minutes environ, un film est constitué de 4 à 11 bobines en général. En son centre, un noyau de plastique permet de la positionner sur un axe. Pour le montage, le projectionniste doit donc identifier chaque bobine (une bande amorce au début et à la fin rappelle des infos: n°de copie, de bobine, start ou end) et déterminer si elles sont sur le début ou la fin.

Je vais prendre un exemple: je monte ici un film de 6 bobines, toutes sur le début. Je vais prendre la 4, l'enrouler sur une bobine vide, me retrouvant sur la fin de 4. Suivant les cinés, on est plus ou moins bien équipés: ici, je vais tout me fader à la main.

Je prends le début de la 5, l'enroule, je me retrouve fin de 5. Je prends la 6, et ATTENTION!

En fin de film, dès l'apparition du générique, les lumières s'allument. Vous pensiez que c'était le projectionniste qui le faisait à la main? Et bien non, on place des "index", un bout de scotch métallique, qui va déclencher l'allumage. Oui, car quand on a la responsabilité de 3 salles, on ne peut pas guetter le générique de chaque film.

Je reprends mon montage: si la copie est neuve, pas de souci, j'avance au jugé jusqu'au générique et place mon index. Si la copie a déjà tourné, là je vais devoir faire gaffe et enlever tout autre index que le mien, sinon les index des autres vont foutre le bordel dans le programme automatique: arrêt de la projection, extinction des lumières etc...J'arrive donc en fin de 6, en ayant placé deux nouveaux index: un en fin de générique, pour couper la projection, et un en fin de pellicule, pour couper le projecteur et allumer la salle en plein.

Voici une bobine de 1800 (pour 1800 mètres) avec mes bobines 4, 5 et 6. Je vais rembobiner cette 1800 sur la bobine "finale", celle qui accueillera le film dans son intégralité. Pour ça, je dispose d'un dérouleur motorisé, ici vertical:

Donc, de fin de 6 on revient à début de 4, et j'en reste là avec le dérouleur pour l'instant. Je vais prendre mes bobines 1, 2 et 3, et les monter sur 1800. Je me retrouve en fin de 3, que je colle, miracle, à mon début de bobine 4 sur le dérouleur. Je rembobine donc et me retrouve sur le début du film. Hop, un autre film? Non, il reste la première partie à monter: bande-annonces et pub.

Même combat que pour le film, on constitue un programme de bande-annonce cohérent avec le public du film: pas de BA de film d'horreur avec un dessin animé :)

Pour coller ces bouts de film ensemble, on utilise une colleuse:

Les dents permettent de positionner les deux bouts bord à bord, un simple scotch large faisant la jonction. Le scotch renforcé est souvent nécessaire, selon les projos, car la force de traction des dérouleurs est énorme.

Une fois le film prêt, on passe aux autres (dans mon boulot j'avais 5 ou 6 films à monter par semaine, avec en gros 40 minutes de montage chacun), et on avance à mercredi 14h, début de séance.

La projection

Comment ça marche le cinéma?

Je vais vous présenter maintenant les parties importantes de la projection cinématographique. J'utilise ici un Kinoton FP30, un projecteur de marque allemande robuste et fiable.

Le dérouleur, assure un défilement continu de la pellicule, et sert au montage/rembobinage des films comme nous l'avons vu.

L'automate, qui sert à programmer des étapes automatiques (allumage, rideau, format etc...). Il peut se déclencher selon plusieurs signaux (un timer, le passage d'un index magnétique) et remplace la main de l'homme.

La lanterne, une boîte dans laquelle on insère une lampe au xenon, de puissance variable selon la distance de projection et la taille de l'écran. La lanterne contient aussi un miroir qui concentre le flux lumineux et le fait converger vers une fenêtre, devant laquelle passe la pellicule. La manipulation d'une lampe est minutieuse, le xenon étant un gaz "explosif". Un extracteur d'air est aussi présent, car les chaleurs dégagées sont énormes.

Le redresseur, qui va transformer le courant alternatif en courant continu, nécessaire au maintien et à la patate de l'arc de l'ampoule au xenon.

Le chrono, coeur du système, est constitué de deux débiteurs crantés, d'un couloir de projection qui grâce à un galet presseur maintient la pellicule plaquée, et d'un bloc de croix de malte.

Une vue du couloir de projection, le flux lumineux étant concentré sur la fenêtre. A noter qu'une pellicule à l'arrêt ou simplement ralentie devant la fenêtre crame instantanément. Sur la gauche, on voit une patte métallique, dont les ouvertures correspondent aux formats d'image. Pour 99% de la production il en subsiste 2: le format scope ou 2'35 (rapport de la largeur de l'image divisé par sa hauteur) ou 1'85. Pour le scope, qui est format plein écran, l'image est anamorphosée: en passant par l'objectif elle sera élargie. En 1/85 des bandes noires apparaîtront sur l'écran.

Au-dessus, une image en scope, la déformation native est visible (si si)

Une image en 1/85.

La croix de malte

Le cinéma repose sur le phénomène de persistance rétinienne. Pour schématiser, en faisant défiler des images fixes à une vitesse donnée, la mémoire d'une image A persiste dans le cerveau jusqu'à l'image B, donnant l'illusion du mouvement AB. La clé de voûte de ce procédé repose sur une invention: la croix de malte.

Le film arrive depuis le dérouleur, qui a un défilement à vitesse continue, et va passer dans le couloir de projection. Là, le bloc de croix de malte va tirer la pellicule sur 4 perforations, rendant le défilement saccadé, nécessaire pour le phénomène de persistance rétinienne. Deux boucles, avant et après le couloir, agissent comme du "mou" sur une corde: cela donne l'élasticité nécessaire pour le défilement continu/saccadé. Aussi, un obturateur, sorte de ventilateur placé derrière la fenêtre de projection, escamote une image sur deux pour supprimer l'effet de scintillement qui naît de ce procédé.

Le son

Sur chaque pellicule, le son est encodé en plusieurs formats: une piste analogique, une piste numérique. Les films sont aussi accompagnés d'un DVD renfermant le son en DTS, qui est lu sur une platine indépendante et synchrone.

Les leds rouges lisent la piste son, et l'envoient au processeur, qui décodera le flux et l'enverra aux enceintes sous forme d'implulsions électriques. Ces impulsions sont traduites en vibrations par les membranes des enceintes...

Le rack son, qui décode chaque piste séparément et la distribue aux enceintes. Anecdote: les distributeurs envoient quelquefois des notices avec un film, préconisant des niveaux sonores. Celles-ci ne sont pas respectées la majeure partie du temps, tellement les niveaux exigés sont forts. Par exemple, sur une échelle de 10, (10 étant le bruit d'un airbus au décollage oreille sur le réacteur) le niveau exigé est parfois 7, alors qu'à 5.5 le cinéphile sent déjà ses tympans partir en lambeaux.

Sur cette photo, le son est visible en vert, (analogique) mais est aussi encodé au format numérique entre les perforations (en gris).

Je finirai par quelques anecdotes recueillies au cours de mon expérience:

- un de mes meilleurs souvenirs le jour où, projetant "L'été de Kikujiro" pour une séance scolaire, j'ai assisté à des applaudissements nourris. Ce qui est rare.

- pour un de mes premiers montages, j'ai inversé une bande-annonce, provoquant le fou-rire de la salle :/

- des incivilités se constatent de plus en plus: gens qui fument, qui téléphonent, qui discutent comme si de rien n'était. Tous les cinés n'ont pas de service de sécurité, et c'est souvent le projectionniste qui fait semblant d'être costaud pour virer les récalcitrants.

- suite à la projection de Banlieue 13, une séance s'est finie en baston générale dans la rue, voitures cramées sur le parking, et intervention des pompiers et des flics. Merci Europa.

- la part de confiserie sur le prix d'une sortie ciné devient de plus en plus conséquente (le secret professionnel m'empêche d'en dire plus) et les marges sont énormes.

En espérant que cet article vous aura aidé à mieux comprendre la partie cachée d'un ciné!