Super Meat BoyCe
n'est pas forcément dans mes habitudes, mais je vais profiter de cette
"tribune" offerte par Gameblog pour aborder un sujet qui me tient à
cœur ces temps-ci, et qui touche bien entendu aux jeux vidéo, et dans
une certaine mesure au Retrogaming. Si vous nous lisez régulièrement,
vous savez même à quel point nous aimons parler de ces jeux réalisés
artisanalement par de petites équipes. Ce sont d'ailleurs souvent ces
titres qui font le choix du rétro, que ce soit par manque de moyen, par nostalgie des développeurs, et bien souvent les deux.

Malheureusement, si l'image de passionnés qui créent un jeu à deux ou trois dans leur
cave a quelque chose de romantique, et rappelle même comment se sont
créés bon nombre de chefs d'œuvres de l'histoire vidéoludique dans les
années 80, force est de constater que tout n'est pas rose. On parle
souvent du manque de moyen, et de l'absence de marketing qui
l'accompagne (remplacé du coup par le buzz généré par les réseaux
sociaux et les forums), de la pression exercée par la compétition plus
"professionnelle", mais il y a bien d'autres problèmes qui entrent en
jeu, et j'aimerais parler du cas qui m'a violemment ouvert les yeux :
L'affaire Super Meat Boy. Rappel
succinct des faits : annoncé initialement comme un jeu WiiWare, le jeu
finit par intéresser Microsoft et la XBox 360 devient la principale
plate-forme de développement. Le titre est également annoncé sur PC, mais sur PS3, rien du tout. Il jouit rapidement d'un buzz
extraordinaire, multiplie les prix lors de différents salons et manifestations, bref, c'est LE jeu indé le plus attendu par le monde entier.
Voilà qui met la pression, et la barre bien haut. Le jeu débarque
finalement en grandes pompes sur le XBox Live Arcade
, et il y est
accueilli très chaleureusement. Jusqu'ici, aucun problème...

Oh no !Mais la version PC est repoussée à une date indéterminée, de même que l'édition WiiWare, dont l'avenir commence à être compromis. La Team
Meat
a sans doute été gourmande, multipliant les bonus et niveaux
supplémentaires gratuits. C'est sans compter sur la fameuse limite de
40 Mo imposée pour les titres dématérialisés par Nintendo. Une
contrainte frustrante, c'est évident, mais avec laquelle d'autres
développeurs semblent s'acclimater (même s'ils ont d'autres reproches à faire au service, le manque de communication de Nintendo en
particulier, même si j'estime que les journalistes ont leur part de
responsabilité, oubliant bien souvent d'évoquer et de tester les jeux
dématérialisés, quelque soit le support). La version PC sort finalement sur Steam le 30 novembre. En ce qui me concerne, ne croyant plus
tellement à la sortie du jeu sur Wii, je précommande sur la plate-forme de Valve dès que possible... Le jour J, je lance le jeu fébrilement,
mais rien ne se passe. Après
un petit tour sur les forums, je constate qu'il faut redémarrer Steam
pour que le titre fonctionne. Ok. Cette fois, une fenêtre apparaît,
mais le jeu crashe aussitôt ! Et cela fait aujourd'hui un mois que je
possède Super Meat Boy, et je n'ai toujours pas pu y jouer. Et autant de temps que je surveille les forums en espérant la solution
miracle. Je ne suis pas le seul à être victime du crash au démarrage,
même si certains finissent par résoudre le bug en mettant à jour leur
carte graphique ou DirectX. Et pour ceux qui ont la chance de pouvoir y jouer, tout n'est pas idéal pour autant. Crashs aléatoires,
personnages injouables, achievements non comptabilisés, leaderboards
truffés de records impossibles, jeu qui tourne à une vitesse incontrôlable, son qui hurle, etc. Ceux qui prétendent n'avoir rencontré aucun problème avec le jeu n'ont d'ailleurs peut-être pas été suffisamment loin (étant donné sa difficulté légendaire) pour en souffrir. Tant mieux pour eux.

Trop de bugs nuisent à la santéLa
grogne commence à se faire sentir chez les joueurs. Deux clans se
forment, entre ceux qui prennent le parti de la Team Meat, arguant que
le développeur, Tommy, est tout seul pour programmer le jeu, et qu'il
est difficile de faire tourner un jeu sur tous les PCs de la Terre et
autant de configs différentes. Les autres pointent l'amateurisme du
duo. Et la mauvaise foi existe dans chaque camp : certains osent dire
que si le jeu ne fonctionne pas sur une machine, c'est entièrement la
faute du PC (!), quand bien même ce serait un monstre de puissance qui
fait tourner des tas de jeux autrement plus exigents. L'internaute en
charge de la liste de bugs se fait même bannir du forum (à force
d'ignorer les problèmes de certains joueurs ?). En
l'espace d'une quinzaine de jours après la sortie du jeu, ce sont pas
moins de 12 mises à jour que Tommy met en ligne pour rafistoler son
jeu. Les plus optimistes soulignent l'implication du programmeur, qui
travaille jour et nuit sur ces maudits bugs, quitte à détruire son
clavier (en photo). Les plus cyniques ont envie de sourire, mais pas très
longtemps. Chaque patch corrige quelques bugs mais en crée d'autres,
efface les sauvegardes des joueurs, fait planter des copies qui
fonctionnaient bien jusque là. Certains joueurs peuvent enfin s'essayer au jeu, mais à condition de jouer dans une petite fenêtre et de
limiter les détails, y compris sur des machines de guerre. Quand Tommy
se présentait comme "le meilleur programmeur au monde", on se doutait
qu'il plaisantait. Ça devient tristement évident. Tommy
finit par écrire lui-même sur les forums, expliquer ses problèmes et
détailler les mises-à-jour. Il est extrêmement frustré, et se surprend à souhaiter le décès dans des conditions grotesques de ceux pour qui le
jeu ne marche pas... Force est de constater que la
plupart des bugs n'ont pas grand chose à voir avec les configurations
des PCs. Et dans leur générosité à la limite de l'absurde, la Team Meat continue de gâver les joueurs de "cadeaux" à chaque update,
rajoutant de nouveaux persos, et créant d'autres bugs en passant. Ils
rendent le jeu encore plus riche et fun pour les plus chanceux, mais
encore plus frustrant pour ceux qui n'ont pas pu s'y essayer.

Soldes !!!Arrive
Noël. Une énième mise-à-jour fait son arrivée, avec "un cadeau pour les joueurs, un autre pour la Team Meat". Pour les premiers, un nouveau
personnage (encore) ; pour les seconds, un dump est envoyé au
programmeur à chaque crash. De quoi passer les fêtes à déboguer comme
des fous. Et un nouveau scandale arrive. On sait que les soldes de
Steam sont toujours le théâtre d'offres à la limite de l'indécent (des
jeux "next-gen" sortis quelques mois plus tôt, et bradés à moins de
10 € !). Super Meat Boy, qui n'est sorti que 3 semaines auparavant, au
tarif de 14 € (moins de 10 € en précommande), se retrouve soldé à 7 €
pendant toute la durée des soldes, et même à 3,50 € certains jours
spéciaux ! Une bonne nouvelle dans l'absolu, mais beaucoup d'acheteurs
précoces voient rouge. La Team Meat, dont la diplomatie n'est vraiment pas le fort, promet encore des "cadeaux" pour compenser la baisse de prix, mais il est évident que
tous les joueurs profiteront de ces nouveautés, quelque soit le prix
auquel ils ont payé le jeu. Une grosse mise-à-jour est attendue pour
janvier, mais encore une fois, ce sont plus les nouvelles "features"
qui sont mises en avant, et personne ne sait si le jeu cessera d'être
l'usine à gaz qu'elle est pour le moment. Cerise empoisonnée sur une
bûche de Noël pas très digeste, on annonce l'annulation de la version
WiiWare du jeu
. Là encore, les joueurs sont divisés. Les contraintes
imposées par Nintendo sont pointées du doigt, mais comme l'ont confirmé
depuis d'autres développeurs, c'est loin d'être un vrai problème
habituellement. Mais après tout, c'est peut-être mieux qu'un portage au rabais.

Toute cette affaire ne fait que révéler la face cachée du développement indépendant. Derrière l'aspect poétique de la création artisanale, il y a de sacrés défis à surmonter pour des équipes très réduites. La Team
Meat
a été victime de sa générosité ; à la manière d'un Obama qu'on
voyait en sauveur, ils ont multiplié les promesses, passé trop de temps à ajouter des bonus en pagaille à leur jeu, au détriment des bases de
celui-ci. Bien entendu, il y a par ailleurs des tas d'excellents titres indés qui ne posent aucun problème (et à l'inverse, certaines productions plus professionnelles prennent aussi les premiers acheteurs pour des bêta-testeurs, n'est-ce-pas Worms Reloaded ?), et loin de moi l'idée de dénigrer
ce mode de création. Au contraire, l'avenir du jeu vidéo repose avant
tout sur ces passionnés, et c'est justement pour cela que ce genre de
situation m'inquiète grandement. Je connais d'autres développeurs qui
souhaitent sortir leurs jeux sur PC, et j'espère sincèrement qu'ils
ne vont pas se retrouver dans la même galère... Lorsque je lis des joueurs écrire que "c'est le dernier jeu de la Team Meat qu'ils achètent" ou qu'ils réclament un remboursement, c'est toute la communauté des indépendants qui peut en souffrir potentiellement.

Bref, en 2011, je souhaite la paix dans le monde, la concrétisation des projets des developpeurs indés, et que... Super Meat Boy fonctionne sur mon PC ! Meilleurs voeux à tous !

Guillaume Verdin