Assez étrangement, personne n'a évoqué à ma connaissance le fait que le jeu vidéo d'arcade fête ses quarante ans cette année, et même dès ce mois de septembre. Peut-être suis-je précoce, parce que cela sera plutôt en novembre... Mais je pensais que des gens l'auraient au moins suggéré ou s'en seraient rendu compte. C'est d'autant plus surprenant pour la génération des 20 et 30 ans, voire celle qui est plus âgée ; elle, si prompte à célébrer un anniversaire comme ceux des Mario ou des Game Boy, n'y a même pas songé. Pourtant, il s'agit du moyen par lequel le jeu vidéo a été connu ou, du moins, celui qui en a permis l'accès pour tous, à une époque où les ordinateurs et les consoles de jeu n'étaient pas à la portée de toutes les bourses, avec en bonus des capacités graphiques et des sensations supérieures à ce qu'on pouvait avoir chez soi. En France, si on n'en parle pas ou si peu, ne serait-ce pas dû à la disparition des salles plus du tout enfumés?

Galaxy Game, premier jeu vidéo d'arcade

De façon générale, les gens pensent que Pong a été le premier titre d'arcade. Cela est faux pour une double raison. Déjà, les salles de jeux sont un phénomène bien antérieur à ceci. (Attention, je simplifie volontairement ici pour éviter de vous retrouver avec un article long de sept pages.) Difficile de le dater ; dès la fin du XIXe siècle existent des jeux électro-mécaniques dans des lieux dédiés qui se situaient dans des galeries marchandes (termes traduits en américain par arcade). De cette époque, beaucoup de concepts innovants sont nés et plus particulièrement dans les années 60 avec le Périscope de SEGA (j'y reviendrai un jour !) ou encore ce jeu de course, Bally Road Runner, qu'on prendrait pour vrai au premier abord.

La seconde chose à savoir, c'est qu'au moins deux jeux enfournés dans un meuble ont précédé Pong. Le premier, Galaxy Game, n'était disponible qu'à l'université de Stanford en septembre 1971. Conçu autour d'un mini-ordinateur, le PDP-11, le jeu était en fait une refonte de Spacewar, titre créé en 1961  et parmi l'un des tout premiers de l'histoire du jeu vidéo. La borne connut un certain succès, bien que limité au campus. A 20 000$ de cette époque, difficile de confectionner quelque chose qui soit rentable avec un tarif de la partie porté à 10 cents.

Galaxy Game peut être vu comme le premier jeu d'arcade. Néanmoins son caractère unique et non diffusable à l'époque empêche à mon avis d'atteindre entièrement ce statut.

Deux mois plus tard, au mois de novembre, paraît Computer Space. Mise au point par Nolan Bushnell, la borne possède deux particularités toutes bêtes, mais qui caractérise avec le meuble-écran et cartes électroniques le jeu vidéo d'arcade : le monnayeur (comme son aîné) et une réduction des coûts tels que la machine peut se diffuser facilement (processus d'industrialisation). Pour cela, Bushnell eut la bonne idée de supprimer le processeur (10 000 $ en moins sur la facture) et de produire une carte mère avec un système logique sans RAM ni ROM, le tout relié à une télé.

A l'origine de Computer Space...

Computer Space, tout comme son prédécesseur méconnu Galaxy Game, est l'adaptation de Spacewar ! auquel Buhsnell avait joué dans prime jeunesse, en 1965 lorsqu'il était à l'université de l'Utah. Au commencement, nous avons un programme forgé par des étudiants du MIT entre 1961 et 1962 (la première version jouable du jeu date de février 1962. Celui-ci est quasiment terminé fin avril de la même année). A partir de ce moment, le jeu a été sans cesse amélioré. Par exemple, au lieu d'apparaître aléatoirement, les étoiles, de simples points blancs sur l'écran, sont organisés comme le sont dans la nuit entre 22.5°N et 22.5°S, leur luminosité est même prise en compte.

Spacewar! est un titre à l'origine de bien des vocations à l'époque.

Quand le jeu arrive à la fin de son élaboration, il rencontre une telle popularité au sein de la faculté que son utilisation fut limitée à certaines tranches horaires (déjeuner et après 17 h). Il faut dire aussi que le PDP-1 ordinateur sur lequel était programmé le jeu prenait beaucoup de place et coûtait la bagatelle de 120 000 $ à cette époque. Bon allez, je suis sympa, je sais que vous en mourrez d'envie : jouer à un jeu sur un ordinateur qui vaudrait plus de 800 000$ aujourd'hui. C'est par ici que ça se passe !

Un rêve : remplir des salles entières de Computer Space

Visionnaire, Bushnell le fut en tentant de rendre accessible aux masses ce jeu. Il le refaçonne, fait en sorte que le jeu fonctionne sur une machine à bas coût et s'associe avec un fabricant de machines d'arcade. Résultat : pas moins de 1500 meubles sortent des chaînes. Le rêve de remplir des salles entières de Computer Space était enfin possible.

En payant une simple partie 25 cents, le joueur avait droit à 99 secondes de jeu dans lequel il manoeuvre une fusée qui doit détruire deux soucoupes volantes avec des missiles. Chaque touche donne droit à un point et si le joueur parvient à dépasser le score de ses ennemis, le jeu passe en mode « hyperespace » et propose un temps bonus.

Toujours se souvenir que les premiers jeux étaient très simples et en noir et blanc !

Las, le jeu se révèlera trop compliqué et sera un cuisant échec commercial. Ceci va donner matière à réfléchir à Bushnell, notamment sur le fait de rendre son prochain jeu beaucoup plus simple, en particulier sur les contrôles. Pong naîtra donc en partie de l'échec de Computer Space (l'autre partie, c'est qu'il s'agit d'une inspiration directe d'un jeu de la Magnavox Odyssey, première console de jeu vidéo sortie peu avant Pong). Immense succès, il lance véritablement toute l'industrie vidéoludique. Au final, tout ceci explique certainement l'amnésie collective qui gravite de Computer Space.

Une certaine vision de l'industrie

Je conclurai de façon assez sommaire par une réflexion. Si la vision de Nolan Bushnell a prévalu dans l'industrie jusqu'au milieu des années 90, à savoir des lieux où les joueurs se rassemblaient pour jouer à des titres toujours plus impressionnants et comportant des idées nouvelles, on peut dire aujourd'hui que cette manière de voir les choses a malheureusement vécu. Le modèle de l'arcade est en crise. En France, le nombre de salles doit pouvoir tenir sur les doigts de ma main, plus quelques orteils. Au Japon, le réseau jadis si important s'est beaucoup réduit. Seuls les pays émergents pourraient apporter un nouveau souffle, et encore, il n'est pas dit que les gens de là-bas ne sautent pas la case salles de jeux pour la case console directement, voire portable ou MMO.

Sur la photo, on peut vraiment se demander si la jeune femme est une naine vu la grandeur de borne.

Je pense qu'on est vraiment proche de la vision de Ralph Baer, à savoir qu'aujourd'hui le jeu vidéo, c'est une machine chez soi, avec un système limité. Pour combien de temps encore? Déjà ce modèle montre des fissures, avec le jeu qui s'exporte sur des machines à tout faire (les téléphones portables), des mises à jours récurrentes des firmwares des consoles actuelles et des systèmes dématérialisés (On-live, t'entends !). Mais une génération au moins sera nécessaire, soit une bonne décennie. Ce qui demeure certain, c'est que nous ne verrons plus de cabine aussi kitsch que celle de Computer Space. Ca c'est sûr, elle appartient définitivement à l'Antiquité du jeu vidéo et se perpétuera pour toujours comme un point zéro, le départ d'une véritable épopée.