Vous aurez certainement remarqué que je suis curieux de ce qui a trait à l'histoire. Aujourd'hui, je vais parler d'un débat qui a l'air comme ça bien éculé, puisqu'il s'agit de la dématérialisation. Mais j'aimerais aborder ce concept à l'aune d'un point de vue historique et comparatif. Je pense qu'il est intéressant de confronter les évolutions du format du livre imprimé avec celle du jeu vidéo. Vous verrez, c'est assez instructif.

Le livre dans l'histoire occidentale:

Je ne suis pas là pour retracer l'histoire du livre en Occident, Wikipedia d'ailleurs le fera mieux que moi. Des tablettes et du papyrus manuscrit au livre format de poche avec caractères imprimés tel que nous le connaissons aujourd'hui, le livre a subi beaucoup de révolution. Celle qui l'a le plus profondément touché, c'est certainement l'invention de l'imprimerie vers 1450. Du livre copié à la main et fabriqué d'une manière longue, fastidieuse, pour ne pas dire artisanal, avec un coût onéreux, on passe à un procédé beaucoup plus rapide, qui petit à petit devient industriel. Les livres imprimés avant 1501 portent le nom d'incunable (berceau en latin). Le terme désigne ainsi les débuts de l'imprimerie.

Bible Gutenberg

Bible Gutenberg qui date depuis presque six siècles... et qui est toujours devant nos yeux ! (Source : Wikipedia)

Beaucoup d'évolutions depuis ces incunables : la mise en page, les caractères typographiques, la reliure et le format changent en fonction des techniques et s'adaptent à la demande et aux modes aussi. Ce qui est intéressant, c'est que jusqu'à présent, le coût du livre a suivi une baisse tendancielle du prix alors que sa diffusion est demeurée exponentielle au fur et à mesure de sa facilité de fabrication. Toute personne dans nos contrées peut avoir commodément accès aux livres, à condition bien entendu qu'elle sache lire. Pour autant et jusqu'à maintenant, malgré la révolution informatique, le livre physique reste toujours un support pour transmettre une information ou une histoire, bien qu'il soit devenu différent des incunables dans sa conception.

Jeu vidéo : l'évolution des formats

Depuis que le jeu vidéo a fait ses premiers pas (si on veut être extrémiste, on dira 1947) jusqu'en 1976 pour être précis, les jeux étaient directement stockés dans la machine sous forme de Rom. C'est à cette date que paraît la Fairchild Channel F, première console avec cartouche interchangeable, un an avant la VCS d'Atari. L'atout est énorme : une multitude de jeux peuvent fonctionner sur une machine au lieu de quelques-uns forcément inclus dans le hardware. Le médium présente l'avantage de l'instantanéité et peut être complété par différents composants, les plus connus restant la pile de sauvegarde et le Super FX dans certaines cartouches Super Nintendo. Le média a été employé jusqu'en 2008 dans l'univers du jeu vidéo et les derniers titres sur Game Boy Advance (les jeux DS sont officiellement des cartes).

Fairchild Channel F, première console à cartouche (source: Wikipedia)

Comme le livre, on constate des évolutions des formats : disquettes, cassettes audio, CD-Rom, GD-Rom, DVD, Blu-Ray ou encore disque dur et carte mémoire. À ce jour, une dizaine de médias physiques ont été le vecteur du jeu vidéo, ce qui est vraiment pas mal en une quarantaine d'années depuis la massification du marché (mais très peu comparé aux millénaires des livres). Quand on suit ces métamorphoses, deux choses frappent : les coûts de fabrication baissent en même temps que leur capacité de stockage augmente. Pas besoin de calcul pour se rendre compte du coût infinitésimal d'un méga-octet sur un Blu-Ray (on doit être de l'ordre du 0,0002 centime, ce qui donne une idée du prix d'une disquette sur BD).

Petite sélection de cartouches, comme au bon vieux temps ^^ (source : Wikipedia)

En s'octroyant de plus grosses capacités de stockage, on a aussi permis l'évolution technologique des consoles (je n'ai pas dit de gameplay). Pour citer un exemple, qui ne se souvient pas du choix à moitié calamiteux de Nintendo de prendre le format cartouche pour la Nintendo 64 ? Certes, il n'y avait pas de temps de chargement (excepté sur Quake 64, un comble !), mais cela limitait d'autres paramètres comme les scènes cinématiques ou la qualité des textures. Autre chose que les gens dénotent assez rarement : le prix des jeux. C'est bien simple, ceux-ci ont même baissé à francs constants (comprendre avec l'inflation). Alors que dans les années 90, pour un jeu Super Nintendo, il fallait compter 500 francs soit environ 76 euros environ, aujourd'hui un jeu sur PS3 ou XBOX 360 vaut dans les 70 euros en général. Certes, les jeux avaient baissé avec l'arrivée des CD-ROM avec un prix d'environ 399 francs à l'époque (soit une soixantaine d'euros).

De façon assez concomitante, livre et jeu vidéo suivent une voie assez semblable dans leur diffusion, qui passe par les évolutions technologiques et une diminution de leur coût de fabrication du média (je ne parle pas du contenu, qui est une chose totalement différente). Ceci nous amène à considérer la tendance actuelle de ces deux supports, à savoir la dématérialisation.

Dématérialisation : rendre inexistant un produit existant :

La dématérialisation, pas besoin d'en faire un dessin, la plupart des gens qui pratiquent le jeu vidéo ne la connaissent que trop bien aujourd'hui, notamment à travers les fameux DLC. Elle demeure une tendance naturelle et imposée pour l'avenir des formats, que ceux-ci soient livresques ou vidéoludiques, pour des raisons à la fois économiques et de facilité d'usage.

Pourtant, je voudrais faire deux remarques sur ce terme de dématérialisation dont on saisit finalement assez peu les enjeux philosophiques qui se cachent derrière. La première est qu'il s'agit d'un phénomène qui possède une certaine ancienneté. Je veux dire par là, il ne remonte pas aux années 2000 avec le téléchargement des DLC ou des jeux sur PlayStation 3, Xbox 360 ou même Dreamcast (qui se souvient des bonus qu'il était possible de télécharger dans certains jeux?). L'apparition d'un réseau entraîne forcément une part de dématérialisation, comme ce fut le cas avec le Minitel pour nous citer un cas familier, ou encore avec ARPANET à partir des années 70. Le phénomène est donc un peu plus ancien que ce qu'on pourrait croire au premier abord. Même s'il touche monsieur tout le monde depuis cinq ans environ.

Autre chose, la plus importante à mes yeux sur la dématérialisation et que les gens ne se rendent à mon avis pas assez compte : le coût. La dématérialisation a pour but de rendre inexistant dans notre réalité matérielle un produit qui était palpable à notre toucher, accessible directement si ledit produit était en notre possession (à condition la plupart du temps d'avoir une machine «liseuse»). Alors on peut trouver des avantages à ce système, puisqu'on y gagne en espace : on peut avoir toute une bibliothèque musicale sans avoir le moindre CD chez soi, le tout en ayant téléchargé par le Net ou en passant par le streaming. Regardons les banques qui proposent de recevoir les relevés par courriel ou encore les factures, le tout pour protéger l'environnement. En réalité, ce n'est pas si écologique que ça, et les entreprises font des économies sur votre dos. D'abord, parce que ces données, si elles restent sur Internet, il faut bien les conserver quelque part, sur des serveurs qui marchent 24 h/24. Et il en faut de l'électricité pour que ça fonctionne (rappel : si vous devez conserver vos salaires, il faut le faire pendant 40 ans...). Après, si vous devez matérialiser la chose, vous devez l'imprimer. Et imprimer, ça ne coûte peut-être pas cher, mais ça coûte quand même (une dizaine de centimes la page en noir et blanc avec une bonne imprimante d'aujourd'hui). Je n'évoque pas les problèmes du réseau qui peut se montrer parfois instable. Même si une destruction physique totale apparaît hypothétique(je n'ai pas dit impossible), je pense qu'il faut se montrer précautionneux quant au stockage de données sur celui-ci.

Bibliothèque Itunes ; Apple, un des hérauts de la dématérialisation commercial

De manière philosophique, la dématérialisation met dans un autre monde auquel nous avons accès pour le moment énormément de données, qui ont le mérite d'être à cette heure à peu près disponibles pour tout le monde (si on excepte les pays très pauvres et les dictatures). Mais il n'est pas dit qu'un jour nous perdrons totalement ce que nous avons construit à l'intérieur de ce monde numérique : faillite d'entreprises, coupure physique du réseau, virus destructeur qui paralyserait les OS des ordinateurs sont autant de scénarios plausibles à mon avis. Un film récent a bien rendu compte de cette réalité et l'imbrication du Net dans le monde réel. Si vous avez l'occasion de voir Summer Wars, n'hésitez pas !

Matériel et numérique, formats complémentaires :

Le livre et le jeu vidéo n'échappent pas au phénomène de dématérialisation depuis une quinzaine d'années. La technique autorise l'accès de manière illimitée à des oeuvres rares, par lesquels il serait très difficile d'avoir  une emprise dessus. À ce titre, la Bibliothèque Nationale de France, pour ne citer qu'elle, fait un très gros travail de numérisation de son catalogue. D'un autre côté, elle est toujours garante du dépôt légal, ce qui lui permet de constituer un patrimoine assez énorme. Le mérite de quelque chose de matériel est qu'il demeure très dur de le changer. Il est la preuve d'une époque. À l'inverse, le numérique est facilement falsifiable. Vous voulez changer quelque chose qui ne vous plaît pas?  Un bon logiciel de retouche fera l'affaire. Le danger du numérique se trouve bien là à mon avis et la supercherie passe totalement inaperçue, sauf investigations approfondies.

Pour les jeux, vous me direz que c'est un avantage, avec les patchs. En fait, cela me donne l'impression que le jeu n'est jamais vraiment achevé.  Il n'y a qu'à voir ce qui se produit actuellement avec Gran Turismo 5. Cela laisse le goût amer d'être des bêta-testeurs esclavagés. Je dirai aussi que ça transmet une première mauvaise perception qui reste dans la gorge. J'imagine aussi le cas où dans une dizaine d'années, ces mêmes patchs ne seront plus forcément accessibles au quidam. Je prends l'exemple de (la) Dreamcast. Depuis que SEGA a fermé les serveurs correspondants, les DLC, qui étaient des bonus gratuits à cette époque, ne sont plus aisément, voire plus du tout accessibles. Ceci est le risque du Cloud Computing. Les éditeurs et les constructeurs devraient peut-être en prendre conscience et garder à l'esprit qu'il faut, même de manière limitée, au moins éditer les jeux de façon physique pour que ceux-ci ne se perdent pas dans des méandres inaccessibles.

C'est pourquoi d'un point de vue patrimonial je considère le physique et l'immatériel comme complémentaires. Le nombre de livres qui nous sont parvenus malgré le temps est tout de même assez colossal, même il y a inévitablement des pertes. En sera-t-il de même pour le jeu vidéo dans quelques décennies ou siècles ? Nos descendants connaîtront-ils les jeux que nous avons nous-mêmes connus ? Il existe bien des projets patrimoniaux comme celui mené par MO5. Les médias utilisés par le jeu vidéo, cartouche exceptée, me semblent finalement assez fragiles et je ne pense pas qu'il soit possible de lancer une partie de Final Fantasy VII sur PlayStation dans un siècle, le CD sera usé d'ici là et des informations qu'il contient seront irrémédiablement détruits. Certains argueront à raison qu'il existera des émulateurs pour ça. Cependant, il ne s'agira pas de l'expérience de jeu original ! Et quel plaisir alors ce sera de voir quelque chose d'aussi ancien qu'un livre vieux plus de cinq siècles. C'est bien cette sensation que j'ai ressenti lorsque je me suis rendu à Muséo Game il y a déjà quelques semaines de cela. 

PS : le blog va bientôt atteindre les 3000 vues. L'article le plus lu est celui qui porte sur les mythologies avec plus de 700 vues, suivi de près par mon article sur The World Ends With You. Je suis vraiment content pour un blog créé sans véritable publicité et qui est tenu à jour irrégulièrement ^^" (à moins que ça soit Molilol qui fait la moitié des visites :p) Merci à tous les visiteurs qui font un saut par ici :)