Mon frère et moi étions, dans les années 90, abonnés au magazine Gen 4 PC. Eh oui, ce n'est peut-être pas le meilleur endroit pour s'en vanter, et pourtant nous dévorions chaque numéro avidement, explorions chaque CD de démo jusqu'à tomber sur les wallpapers les plus bizarres de l'époque 256 couleurs, et je coupais des illustrations pour les coller dans mon agenda à côté des mots de mes camarades. C'était l'occasion d'engueulades terribles avec mon frère, et maintenant, quand je feuillette ces magazines collector complètement mutilés, j'ai envie de me foutre des tartes.

Pour ceux qui s'en rappellent, la rubrique du Teignard était évidemment ma préférée. Mais je lisais aussi les tests des point&click, dont j'étais alors très friande. C'est de cette manière que j'ai entendu parler d'un jeu dont je tombai immédiatement amoureuse, au travers de screenshots microscopiques et d'une critique très élogieuse. Un an plus tard, en vacances en Bretagne, je trouvai ce jeu dans une minuscule boutique de jeux vidéo de Quiberon. Un seul exemplaire. Quinze francs. Sans déconner, l'étiquette est toujours collée au boîtier carton.

Une petite partie de ma collection (la plus grosse étant sur Steam : moins classe mais moins cher, cela dit j'achète toujours les jeux que j'attends le plus en version boîte). A dénicher : 1. mon premier grand amour vidéoludique, 2. mon jeu culte, 3. un jeu qu'on m'a offert et auquel je n'ai pas joué plus de cinq minutes =)

 

A l'époque, j'ignorais la rareté de l'objet sur lequel je venais de mettre la main. Je savais pourtant que les tristement célèbres Familles de France avaient fait interdire ce soft quelques jours après sa sortie, mais je ne prenais pas vraiment cela au sérieux, tant je trouvais pathétiques les discours et déclarations de ces illuminés.

Je découvris, au fil des années, que je faisais partie des quelques chanceux à posséder cette merveille. Qu'à cela ne tienne, j'ai prêté ce jeu à tous mes amis, m'attirant des remerciements à la pelle. J'ai même créé un site web, en 2001, avec mes petites mimines de 18 ans, qui a très longtemps été le seul site de tout l'internet 1.0 à contenir tout ce qu'il fallait savoir sur ce jeu : test, soluce, analyse, personnages, etc. Le code html doit encore traîner quelque part dans Mes Documents. Son adresse était, je m'en souviens très bien : www.chez.com/sanitariumvf.

Car oui, je vais parler de...

Le meilleur scénario ever

Il est tard et l'orage gronde lorsqu'un homme sort d'un bâtiment en direction de sa voiture. A l'interlocuteur auquel il s'adresse depuis son téléphone portable, il parle de travaux en cours, il dit qu'il a trouvé la réponse, enfin. Il en dira plus une fois rentré à la maison, et raccroche. Mais l'averse fait rage, la chaussée est glissante, les freins ne répondent plus, et un éclair s'abat au loin, montrant dans un flash de lumière blaffarde la voiture bleue quitter la route de la falaise non loin d'un manoir sombre et effrayant.
Lorsque l'homme se réveille, il est couvert de bandages, amnésique, et surtout, il est interné dans un hôpital psychiatrique des plus glauques où il apprend qu'il est soigné par le Docteur Morgan depuis un certain temps. Dès lors, il n'aura de cesse d'essayer d'échapper à cette prison et de retrouver ses souvenirs, mais peut-être ces deux quêtes ne sont-elles pas si distinctes...

Cette intro n'a l'air de rien... et pourtant, c'est le point de départ, déjà riche en indices, d'une aventure psychologique passionnante, à faire au moins deux fois pour profiter de la puissance scanéristique du titre.

Je ne peux décemment pas en dire plus sans dévoiler l'essence même de l'intrigue, ce qui constituerait un crime impardonnable étant donné le génie du scénario de ce jeu. Et là je me rends compte que j'ai fait une connerie monumentale en écrivant sur un jeu dont le principal atout est d'avoir une histoire en béton bourrée de mystères dont on ne comprend le véritable sens qu'au cours de la dernière minute de jeu. J'aurais pu choisir un soft moyen, avec un héros fort et courageux qui doit sauver le monde depuis la première cinématique, mais non, il a fallu que je me la pète avec mon chef-d'oeuvre scénaristique tiré des oubliettes vidéoludiques... j'vous jure...

Notre héros donc, que l'on appelera Max pour plus de clarté, et aussi parce que c'est son prénom, va partir à la recherche de sa mémoire perdue ; et là je vois une lueur de dédain dans votre regard dubitatif. Vous aussi vous trouvez que les développeurs de jeux vidéo se foutent un peu de notre gueule en nous ressortant sans arrêt des histoires d'amnésie complètement surfaites censées justifier la bêtise du personnage et faciliter l'immersion, n'est-ce pas ? J'écrirai un prochain test sur l'excellent Lost Odyssey, où le héros est lui aussi amnésique... on finit par se demander si l'amnésie n'est pas aussi contagieuse qu'une bonne gastro d'octobre (en plus classe).

Dès la première scène, Max se retrouve dans un asile, le visage enturbanné et les souvenirs évanouis. Ses compagnons d'infortune vont lui raconter des histoires très farfelues. Hallucinations ? délires ? Pas si sûr...

Si vous croyez que Sanitarium mange de ce pain-là, je vous arrête tout de suite. Ce jeu ne se sert pas de l'amnésie, ce jeu traite de l'amnésie. Max va explorer les arcanes de sa mémoire au cours des neuf chapitres du jeu, tous plus dérangeants les uns que les autres. Il y a cet asile putride où les aliénés tiennent des discours absurdes lorsqu'ils ne se frappent pas la tête contre les murs sanglants, et puis il y a la ville de Genet dont tous les enfants présentent des difformités monstrueuses, sans parler du cirque grotesque isolé sur une île entourée de cadavres boursouflés flottants au grès des vagues.

Vous l'aurez compris : le soft se déroule dans un univers glauquissime à souhait qui n'a absolument rien à envier au survival horror le plus gore, j'irais même jusqu'à affirmer qu'aucun jeu n'a pour l'instant réussi à surpasser l'horreur psychologique instillée par Sanitarium. Et ne mettez pas ce sentiment sur le compte de ma jeunesse au moment de la découverte du soft : aucune partie ne m'a davantage angoissée que la toute dernière, de laquelle j'ai tiré les screenshots que vous pouvez apprécier ici. Appelez-moi "petite nature" si vous voulez, j'assume !

 

L'ambiance parfaitement effrayante de Sanitarium sert un scénario bien plus complexe qu'il n'y paraît en première lecture. De nombreuses subtilités se cachent dans chaque écran, comme autant d'indices qui permettent d'approcher la vérité, comme autant de pistes que Max suit pour remonter à la source de son esprit.

Comprendrez-vous le fin mot de l'histoire avant la grande révélation finale ? Moi, je m'étais laissée surprendre comme une bleue, et c'était génial !

Mais encore ?

Malgré mon désir de ne pas spoiler, j'en ai déjà trop dit, alors parlons un peu des qualités techniques du jeu. Graphiquement tout à fait respectable, il n'a pas trop mal vieilli même si l'animation est molle et l'était déjà à l'époque de sa sortie. Les textures sont toujours aussi belles, la 3D embryonnaire bien maîtrisée et nombreux sont les petits détails cachés qui font de cette expérience un délectable cauchemar. Spéciale dédicace à Raton qui reste traumatisé par le niveau graphiquement le plus étrange appelé La Demeure, où l'on arpente une maison en 3D isométrique applatie : déroutement garanti.

L'ambiance sonore est elle aussi très réussie, effrayante à souhait comme en témoignent la voix éthérée de l'interface ou le thème du jeu qui met en scène un piano mystérieux tâchant de faire entendre ses accords au milieu du rire maléfique des clowns et des monstres. Un bémol cependant pour la version française, qui bénéficie d'un doublage intégral pas toujours très convainquant. Si Max s'en sort plutôt bien, les personnages secondaires sont parfois plus ridicules qu'ils ne devraient... comme souvent, j'ai envie de dire.

Concernant le gameplay, je l'ai dit, on est dans le point'n click le plus pur : clic droit et clic gauche sont tout ce dont vous aurez besoin pour réaliser cette aventure aux énigmes plutôt simples et à la durée de vie assez courte. Une dizaine d'heures devraient être largement suffisantes pour arriver au bout de Sanitarium la première fois, mais le scénario étant ce qu'il est, vous aurez immanquablement envie de refaire le jeu une fois que vous connaîtrez la vérité insondable qu'il cache avec tant de talent.

Une scène "d'action" dans laquelle il faut tuer des corbeaux avec une faux dans un champ de citrouilles. Normal quoi.

Je pourrais en faire des tonnes supplémentaires puisque je parle d'un jeu que j'adore sans aucune forme d'objectivité, mais il faut savoir s'arrêter avant de trop en dire. Retenez juste une chose : si vous vous plaignez sans arrêt, comme moi, de l'inconsistance des scénarii de jeux, si vous aimez les énigmes assez intelligentes pour faire réfléchir mais pas assez absurdes pour contraindre l'utilisation de la soluce, si vous adorez les ambiances sordides, délirantes et les réalisations sans faille, tâchez de mettre la main sur cette oeuvre d'art oubliée que son boîtier qualifie fort judicieusement de voyage aux tréfonds de l'être pour affronter les démons du passé et échapper à la prison de l'esprit.