Avant-propos : je fais partie de ces personnes qui ne croient pas que tous les avis se valent. Qu'il faut de tout pour faire un monde. Que les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. Autant de phrases toutes faites qui ferment le débat et mettraient toutes les œuvres sur un pied d'égalité. Par avance, je vous présente mes excuses sur la longueur du billet, je n'avais pas prévu de m'étendre autant ni de parler de certains sujets.

 

GTA V et Beyond ont fait parler d'eux ces derniers temps. (Rien qu'avec ça, je gagne un +5 à mon référencement Google. Bim.) Enormément, et pas dans les mêmes proportions. Ils ont soulevé des problématiques majeures, et pas qu'à propos du gameplay pur et simple -bien que ce sujet soit tout aussi passionnant -. Non, ils ont remis en perspective, pour des raisons différentes, la difficulté de critiquer un jeu vidéo.

 

I/ L'investissement de temps

                Le joueur moyen - quelque part entre le cliché du geek et le débile profond que les amoureux des forums prennent pour « le grand public »- éprouve trois limites principales à sa consommation, et j'insiste sur ce mot (voir partie III), de jeux. Le temps, l'ennui et l'argent -voir partie III on a dit ! -. Les deux premiers sont étroitement mêlés. Le paradoxe que subit le joueur en grandissant est d'avoir de moins en moins de temps pour jouer et de plus en plus de moyens pour acheter tout ce qui lui passe par la main. Me concernant, même quand j'ai un plein après-midi où je n'ai que ça à faire (ou n'aurais, car cela n'arrive jamais), je ne peux faire des sessions de plus de deux heures d'affilée sur le même jeu, sauf exception.

Ces exceptions sont des jeux addictifs, et deviennent pour moi de plus en plus rares. Ce sont des jeux que je vais terminer en moins de trois semaines. Même si ce n'est pas le seul indicateur, c'en est un significatif. Cette année, seuls Bioshock Infinite, SC2 : HotS, Rayman et GTAV m'ont fait cet effet. Cela veut-il dire pour autant que ce sont mes « GOTY » (terme que j'abhorre, on n'est pas à l'élection de Miss France) ? Non. Je me refuse à me lancer dans des jeux trop chronophages, même si je sais que je les adorerais. Skyrim est à peine entamé (35h, « Autant dire qu'il n'a rien mangé » dirait Panoramix), j'adore Mass Effect depuis le premier mais je n'ai toujours pas fini le troisième épisode, The Witcher 1 & 2 attendent du côté de chez Steam - véritable vivier de temps à passer -. Et un jeu court serait donc potentiellement un excellent jeu.

Pas le temps de tout faire, étant donné la durée de vie des jeux. Essayez de faire tous les Metacritic 80+ de cette année. C'est un critère arbitraire ? Certes, mais il faut faire des choix, et vite. Et même cela ce n'est pas assez sélectif pour un emploi du temps et un porte-monnaie. Enfant, je retournais un jeu dans tous les sens. J'ai été jusqu'à faire 25 fois d'affilée le mode histoire de Dragon Ball Final Bouse pour obtenir Gotrunks (C'est mythe. N'essayez pas ça chez vous, vous vous ruineriez la santé). J'ai fait les 24h du Mans sur GT4 (maman, éteins pas la console !). J'ai tenté de déplacer le camion avec une certaine créature niveau 100 dans (j'ai vraiment besoin de finir cette phrase ?).

Et pourtant, désormais, quand je finis un jeu, je suis heureux. Il y en a certains que j'adorerais platiner, mais ce vœu est aussi pieux que celui de réduire à néant ma pile de lecture. Ce qui m'amène à penser que je n'aurais pas la même expérience d'Heavy Rain par exemple, que j'ai fait une fois, que celui qui a exploré toutes ses possibilités.

Mais pour autant, est-ce que je suis moins à même en parler que quelqu'un qui en a essayé toutes les possibilités ? Un joueur pro de SC2 sera-t-il le meilleur critique de « son » jeu parce qu'il en est un expert ?

Je répondrais que ce n'est pas la maîtrise ou même la connaissance des mécaniques du jeu, que ce soit le gameplay ou la narration, mais bel et bien leur compréhension. Je préfère lire la chronique d'un film par un journaliste spécialisé qu'un fan hardcore de Superman concernant Man Of Steel. Un joueur expert aura a la fois un avis biaisé mais, de par son statut d'expert, n'aura même pas d'intérêt à chercher des critiques de personnes moins expertes que lui. Car je souhaite non pas le point de vue le plus objectif possible, mais le plus pertinent, et je ne le trouverai pas chez la personne qui maîtrise le mieux le jeu.

 Ce qui m'amène au second point.

 

II/ Différents joueurs, différentes expériences

                Qu'est-ce qui différencie réellement le jeu vidéo des 9 arts ? Je veux dire, à part le fait que ça n'en soit pas (encore ?) un ? En un mot : l'interaction. Sans une action du joueur, la narration n'avance pas. J'en entends un au fond qui me dit « si je ferme les yeux au cinéma, si je lis un manga en VO sans connaître le japonais, n'est-ce pas la même chose ? ». C'est bien le mariole, pour une fois tu fais semblant de t'intéresser au cours. Mais ce n'est pas pour rien que tu es au fond de la classe. Car figure toi que l'on peut définir un parcours à suivre dans tous les arts, la version telle qu'elle est voulue par l'auteur -ou ce qui s'en rapproche le plus-.

Pour tenter d'être clair, je vais tenter d'être plus précis et donner des exemples pour chaque art, qui ne sont valables que dans une majorité de cas. Pour un film, ce sera souvent le film en V.O., de préférence sans nécessité de sous-titre, au cinéma. Pour un livre, la première édition du livre en question, dans sa langue d'origine. Idem pour la BD. Pour une sculpture, illuminée correctement et non endommagée. Pour un article de presse, le jour de sa publication dans le canard dont il est issu (la temporalité étant extrêmement importante dans ce cas). La musique, lors d'un concert du musicien choisi par le compositeur. Etc. Je développerai l'importance du support, qui est plus importante que jamais dans le cadre du JV, dans la partie III.

Mais il n'y a pas de parcours balisé possible dans un jeu vidéo. Le joueur fait partie de l'œuvre. Son investissement, en temps et en intérêt, changera radicalement l'expérience qu'il a du jeu vis-à-vis de celui du voisin. Sa compréhension des mécanismes de jeu, sa maîtrise de ceux-ci changera sa perception. Si quelqu'un ne fait pas ce qui était prévu par le développeur, est-ce pour autant qu'il ne joue pas ? On regroupe sous l'appellation « gameplay émergent » l'ensemble des interactions des joueurs non prévues par les développeurs.

On dit d'ailleurs, lorsque l'on parle de jeu vidéo, de ceux qu'on a « faits ». Car nous sommes une partie importante de la création d'un. Plus qu'un acteur dans un film, nous contribuons à l'élaboration d'une œuvre vidéoludique en y jouant, en suivant le fil d'Ariane du développeur.

Si un joueur représente une expérience différente, comment peut-on comparer le parcours d'un joueur à un autre ? Comment en rendre une critique ? D'autant plus que les avis sur les jeux vidéo sont soumis, en plus des autres critères,  à des considérations techniques complexes.

 

III/ L'impossibilité d'un patrimoine vidéo ludique/ Les considérations produits

Le « ticket d'entrée » pour jouer à un jeu est cher. Il faut une machine qui puisse lire le bon logiciel. Cette non-universalité pose problème : outre le fait que du coup, il faut rentabiliser l'achat d'un jeu, expliquant le côté test produit, on en vient également à ne pas pouvoir se forger d'avis sur un jeu, faute d'argent -et de temps-. On se menotte à un support qui exclut une partie des jeux, auquel on ne pourra pas jouer. Difficile d'avoir un patrimoine commun dans ces conditions. D'autant plus que même si les émulateurs pourraient tendre à établir cela, le problème est que le support d'origine est important : comme dit plus haut, le studio n'a pas imaginé son jeu en pensant au joueur qui joue sur émulateur ; on se retrouve avec, au mieux, des versions bâtardes.

Pourtant, ce patrimoine est indispensable à la critique : il faut une base de référents communs, une trame établie qui nous aide à comprendre l'histoire du média dans son ensemble. En l'état, le jeu vidéo est bien trop clivant pour y prétendre.

Il y aurait bien certains jeux qui apparaitraient comme étant des références inébranlables. Pour cela, il faudrait cependant les « remettre dans leur contexte ». Ainsi, j'ai lu qu'on ne pouvait apprécier certains jeux seulement si on l'avait fait « à l'époque ». Cela signifierait que la qualité intrinsèque des jeux est périssable. Dès lors, pas de classique possible.

Vous ne trouverez aujourd'hui que très peu de chroniques ou de critiques pures sur des jeux. Non, dans le jargon vidéo-ludique, on parle de  « test ». Pas comme lorsque l'on raconte ce qu'on a aimé dans un livre. Non, comme lorsque vous validez vos acquis de fin de trimestre. Ou lorsque que votre ZX passe de justesse au contrôle technique. Alors oui, entre le moment où j'ai commencé à rédiger cet article et le moment où j'arrive à ce point, JV le mag est sorti. Et justement, il fait figure d'ovni en ne mettant pas de note.

                Il y a bien longtemps que la note ne vient plus d'un calcul arithmétique, où elles ne sont plus comparables, ce qui était le cas, avec les échelles en pourcentages. Une véritable obsession. Mais pour les besoins de Metacritic, de Google, sans note, point de salut. Ainsi, il faudrait qu'un jeu soit bon s'il est techniquement irréprochable. Mais non. Ce n'est qu'une condition pour qu'il soit agréable. Et justement, le fait de prendre un plaisir à faire quelque chose n'est pas non plus le seul biais pour en apprécier la qualité.

                Car dans les jeux vidéo, il est un point qui ne choque que rarement, ce sont les suites à rallonge et sans génie, qui sont tolérées et appréciées au-delà du tolérable. « Oui mais si on kiffe ça suffit ! Pas se prendre la tête c'est qu'un jeu ». Non, il ne faut pas taper sur Jean-Kévin, même s'il le mérite. On parle d'un rythme annuel ici, sans renouvellement profond, sans valeur ajoutée. On ne détermine pas la portée d'un jeu, son apport, ses innovations, son importance dans la carrière de son producteur. Non, dans le cadre d'un test, on détermine si 60€, c'est un bon investissement. Si le jeu est long, c'est un bon point (WTF ?). C'est juste un ensemble de qualités, de cases à cocher. Dès lors, pas étonnant de voir lesnumeriques.com, pour ne citer qu'eux, s'essayer au test de jeu.

Et les critères de qualité eux-mêmes peuvent nous sembler étranges.

 

IV/ Les prismes de qualité

Attaquons nous au coeur du problème, que je peux poser sans parvenir à réellement y répondre : qu'est ce qui définit la qualité d'un jeu ? Son gameplay ? Sa musique ? Son histoire ? Sa narration ? Son originalité ? Le plaisir qu'il procure ? 

Chacune de ces caractéristiques n'est pas suffisante en soi pour justifier de la qualité d'un jeu. Je dirais même qu'aucune d'elle n'est nécessaire. A l'inverse,  n'est pas une somme, une équation à résoudre. Les différentes perceptions des joueurs et leurs appréhensions changeront totalement le jeu en lui-même, rendant l'expérience unique par cette appropriation, comme je l'ai évoqué dans la deuxième partie.

L'importance des différents critères reviendrait à devoir penser le jeu vidéo d'une manière globale. Or, la presse spécialisée n'est pas dans un rôle de réflexion sur le jeu, de critique artistique, mais de testeur d'un objet qui doit répondre à un certain cahier des charges.

L'un des cas les plus pertinents de ces dernières années a été MOH. Nombre de journalistes se sont déclarés contents que son gameplay soit pauvre, sa technique mal maîtrisée, en affirmant ne pas savoir quelle note ils auraient dû mettre si ces aspects-là avaient été satisfaisants. Car ce jeu véhiculait un message nauséabond, propagande de l'interventionnisme, du droit d'ingérence que s'octroient certains pays. En toute logique, un jeu qui remplit le contrôle technique avec succès, quand bien même son fond est effarant, pourrait s'attirer sans souci les éloges des critiques. C'est là un problème qui est finalement tout aussi effrayant que ce genre de jeu.

 

V/ La non professionnalisation des médias

 

                J'ai longtemps hésité avant de mettre cette partie, car j'ai peur que les lecteurs se concentrent sur celle-ci, d'autant plus qu'elle est à la fin de l'article. Cependant, elle m'apparaît comme la continuation logique de ma réflexion. Mon point n'est pas de blâmer les journalistes ici.

 

 Suivant ce que j'ai déjà dit précédemment, les critiques de jeux se retrouvent bloqués entre guide d'achat et presse plus traditionnelle. Comme beaucoup de personnes d'autres médias, très peu ont une carte de presse, et certains vont jusqu'à considérer qu'ils ne sont pas journalistes. Dès lors, qu'ont-ils de plus que n'importe quel bloggeur qui donnerait son avis ?

Le problème qui revient le plus souvent est celui de la connivence. Fantasmée ou non, il faut dire que les acteurs ne font pas tout pour entretenir la transparence. On en revient à devoir faire confiance ; et un système qui se base sur la bonne foi de chacun ne peut pas fonctionner.

                Le fait est que les éditeurs ne voient pas les journalistes de jeux vidéo comme du poil à gratter, comme un pouvoir qui les obligerait à être irréprochables, à rendre des copies irréprochables. Non, ils font parties du plan média. Ils diffusent les images et les vidéos qu'on leur demande, font les tests quand on veut qu'ils les fassent, parfois dans des conditions imposées, qui peuvent biaiser  la critique du jeu. Les éditeurs ont des moyens de pression énormes sur eux, à commencer par les finances. Le fait que les régies pub soient externes la plupart du temps ne rassure pas : la ligne éditoriale du site n'entre donc pas en ligne de compte quand on choisit ce qui fait partie de notre site ?

                L'importance de la presse est cruciale pour le milieu pourtant, ne serait-ce que pour faire connaître les jeux. Ils sont, dans le cadre de mon article, les personnes dont l'avis fait autorité. Ils orientent nos choix, ils sont ceux à partir desquels on construit son propre avis.

 

                La critique, différente d'un guide d'achat, plus qu'un simple avis, est « l'art de juger les œuvres de l'esprit ». Ne serait-ce que sur Wikipédia, on trouve des critiques d'art, littérature, de théâtre, de cinéma, de musique, de gastronomie, mais point de critique de jeu vidéo. Non, pour le jeu vidéo, on se borne à des tests. Une évaluation scolaire, basique, -oserais-je dire aisée ?- ; une étape à franchir pour l'œuvre. Je terminerai, un peu facilement, par une citation de Kipling :

« Le premier sot venu peut écrire : le premier sot venu sur deux peut faire de la critique ».