Ou l'art de tout remettre en question

 

 

 

Encore une fois, le scénario d'un Bioshock m'a surpris. En justifiant tout notre cheminement jusqu'alors, tout en réduisant l'utilité de notre quête à néant.

 

" L'esprit du cobaye tentera désespérément de créer des souvenirs lorsqu'il n'en a pas "

 

Après avoir servi dans l'armée, notre cher Booker retourne à la vie civile à New York, mais malheureusement perd sa femme au moment de son accouchement (enfin, celui de cette dernière). Il se retrouve à jouer, à accumuler des dettes... Plus qu'une solution, se résoudre à vendre sa fille Anna à Comstock, via Lutèce venu d'une dimension parallèle, pour éponger ses dettes (!). Il tente de faire machine arrière, mais trop tard, et l'enfant perd un doigt dans l'incident. Il se retrouve plongé dans l'alcool et ses regrets vingt ans durant, avant qu'une chance de rachat lui soit offerte - par les Lutèce, eux aussi  rongés par les remords - : aller chercher sa propre fille, devenue Elizabeth, à Columbia.

 

On arrive alors au début du jeu, le personnage perdant la mémoire en changeant de dimension pour mieux s'en créer -d'où la phrase ouvrant le jeu, « l'esprit du cobaye tentera désespérément de créer des souvenirs lorsqu'il n'en a pas ». Il ne sait donc plus qu'il vient chercher son enfant. Je vous passe le déroulement précis du jeu pour arriver au dernier quart d'heure.

 

« La destination est la même, seul le voyage est différent »

 

On tue Comstock, lors d'une phase où le joueur est passif, et l'on réussit à s'enfuir  de Columbia pour atterrir à... Rapture. Elizabeth nous révèle alors que c'est un univers parallèle, et qu'il existe des millions de monde dans lesquelles les constantes sont le fait qu'il y ait un homme, un phare, une ville. D'où le titre du jeu, venant de l'infinité des dimensions. Mais il existe aussi des multiples Booker et Elizabeth, qui ont vécu peu ou prou la même aventure ; cependant, la destination est la même. On a ici une mise en abîme de notre propre condition de joueur : nous ne sommes qu'un des multiples avatars du même personnage, et ce que nous faisons n'a que peu d'incidences, étant donné qu'il y aura toujours d'autres dimensions dans lequel cela ne s'est jamais passé. Nous n'avons donc pas tué Comstock, et la solution pour l'annihiler définitivement, et l'empêcher de martyriser Anna, est donnée par Booker : le tuer au berceau. Anna/Elizabeth demande si c'est vraiment ce que nous voulons, car elle a déjà compris.

Nous changeons de monde pour assister au baptême de Dewitt. Celui-ci ne comprend pas, et refuse, estimant avoir fait de trop graves choses pour être pardonné. On repart à l'appartement de Booker, où nous sont décrits les évènements de la transaction/rapt de sa fille. Il comprend alors qui est Elizabeth pour lui, pourquoi il y a AD sur sa main -un stigmate qu'il s'est fait pour se punir-. On se retrouve une nouvelle fois au Baptême, et cette fois-ci, on comprend que ce Baptême était un souvenir de Booker, sa renaissance en tant que Comstock, celui-là même qui allait bâtir Columbia, et enlever son propre enfant à une version plus jeune et alternative de lui. Il existe une autre timeline, celle où Booker ne s'est pas fait baptiser à Wounder Knee, estimant ne pas le mériter, et a eu Anna/Elizabeth. Booker est alors l'architecte de sa propre folie lorsqu'il devient le Prophète : sa mégalomanie l'a amené à élever une cité dans le ciel coupée de tout pour en devenir le maître absolu; cependant, il deviendra stérile et prématurément vieux à trop jouer avec les changements de dimension... Ce qui l'amènera à prendre l'enfant de quelqu'un d'autre pour à terme punir la « Sodome inférieure » ... Le sien.

 

« Et moi je veux un poney... Mais on a pas toujours ce qu'on veut »

 

Elizabeth empêche donc la naissance de Comstock de l'unique manière possible : en noyant Booker avant qu'il ne le devienne. Le Prophète ne pourra ainsi plus exister dans aucune des dimensions, on voit alors les différentes versions d'Elizabeth disparaître, leur destin ayant été changé par la non-existence de Comstock. La caméra nous sort pour la première fois du corps de Booker, en enchaînant sur un fondu noir, pour l'un des rares jeux se finissant par la mort de son héros. DeWitt est enfin absous de ses péchés, puisqu'il ne les comettra jamais. La scène post générique confirme la réussite d'Anna : au moins une version de Booker a réussi à élever sa fille sans jamais se la faire retirer par le Prophète.

Le but ultime du jeu est ainsi la propre mort de notre personnage ; sans elle, tout ce que l'on est vain. Cela va à l'encontre du principe habituel d'un jeu vidéo, où notre quête nous conduit à sauver quelqu'un ou à tuer un antagoniste principal, tout en évitant de mourir tout au long du jeu. Mais en faisant de nous cet ennemi, on se retrouve dans une situation inhabituelle et impossible à résoudre : c'est donc un PNJ, habituellement les faire-valoir de l'avatar du joueur, qui donne la conclusion, alors que ce doit être en théorie le joueur qui enclenche l'action de résolution.

On découvre également avoir été, comme dans le premier épisode, l'instrument d'autres personnes ; ici les Lutèce, qui s'en veulent profondément d'avoir arraché un enfant à son père. Le joueur est comme Booker : il croit aux souvenirs de ce dernier, alors qu'ils ne sont qu'un prétexte. Mais alors qu'Atlas cherchait à accomplir sa propre vengeance via le joueur/Jack, les Lutèce comblent la vacuité de l'existence de Booker et cherchent à l'aider à briser le cercle tout en l'interrompant avant qu'il ne devienne le prophète.

 

La fin de Bioshock Infinite permet ainsi de briser le quatrième mur, en nous confondant avec son avatar. On ne joue qu'un Booker parmi d'autres, comme des millions d'autres joueurs en parralèle, dans une infinité d'autres mondes...