De nombreux observateurs, à commencer par les actionnaires de Nintendo, s'inquiètent de la position d'Apple sur le marché des jeux vidéo. Il est vrai qu'en quelques années, Apple a réussi le tour de force d'imposer au monde entier non seulement sa gamme d'appareils mobiles, mais surtout son écosystème complet de création et de vente de contenus dématérialisés.

La panique n'est pas loin, car ce qui rend Apple aussi insaisissable qu'un savon mouillé, c'est que le jeu vidéo n'est qu'une partie de sa stratégie et des usages que l'on fait de leurs appareils. Nintendo, toujours centré sur les jeux ou les loisirs numériques, est dans l'incapacité de concurrencer Apple sur son terrain: téléphonie, musique, films, applications non ludiques.

Les Michael Patcher et autres observateurs ont donc vite fait le rapprochement entre l'arrivée d'Apple et les baisses de ventes rencontrées par Nintendo. «Sortez Mario sur iPhone !» a-t-on fréquemment entendu, y compris de la part d'actionnaires fébriles s'adressant à un Satoru Iwata inflexible.

Je me suis donc posé la question: est-ce que le succès insolent d'Apple fait de l'ombre à Nintendo ? En termes purement business, soyons très basiques: est-ce que Nintendo vend moins de consoles ou de jeux parce que leurs acheteurs potentiels s'en détournent pour acheter un iPhone ou un iPad ?

On peut légitimenent se dire qu'en temps de crise, les dépenses des familles sont passées au peigne fin. S'il faut un objet hi-tech, ne va-t-on pas préférer un iPad qui fait beaucoup plus de choses qu'une 3DS ou même qu'une Wii U ? On peut aussi se dire que le prix des jeux est infiniment moindre sur les appareils d'Apple (moins de 4 euros en général) par rapport aux jeux Nintendo (x10). La qualité de finition et l'ergonomie des produits Apple n'est plus à démontrer et peuvent achever de convaincre l'acheteur hésitant.

Bref, de nombreux arguments semblent pencher du côté d'Apple.

Que reste-t-il à Nintendo ? Rien ? Mais si ! Il lui reste encore un certain nombre d'arguments sérieux. Tout d'abord, Nintendo dispose des licences sans doute les plus convoitées du domaine: Mario, Zelda, Pokemon, Wii Fit pour n'en citer que quatre. Mais au-delà des licences, Nintendo a une réputation de jeux très soignés et de grande qualité, réputation qui perdure depuis des dizaines d'années. Par ailleurs, Nintendo se place parmi les rares éditeurs à faire du jeu casual de haute qualité (Wii Fit, Wii Sports, L'entrainement cérébral du Dr Kawashima par exemple).

Ensuite, les produits Nintendo sont pensés dès le départ pour le jeu. Cela se traduit notamment par des manettes avec des boutons, et par une approche «fun» de tout ce qui tourne dans leurs consoles (messagerie 3DS manuscrite, musiques et animations, Mii, etc.)

Dernier point important: les consoles Nintendo sont les moins chères du marché, et sont conçues pour résister... aux enfants. Alors qu'un iPad démarre à environ 500€, la Wii U sera vendue 350€ avec un jeu. Là où Apple va chercher à gagner 1mm d'épaisseur, Nintendo va renforcer la résistance du produit pour qu'il puisse tomber d'un vélo sans se casser. Et là où Apple renouvelle ses produits tous les ans, les consoles Nintendo durent au moins 5 ans, ce qui pérennise l'investissement de l'acheteur.

Bref, chacun a ses atouts, même si la dynamique du marché favorise clairement Apple.

Pourtant, j'ose avancer que le succès d'Apple va dans le sens de Nintendo. Je m'explique. Les usagers d'Apple ne sont pas constitués en majorité de gamers. En revanche, la plupart de ces personnes se mettent à jouer à travers leur iPhone ou leur iPad. Au départ, je pense que cette population n'aurait jamais acheté de console de jeu quelle que soit sa marque. Mais à travers les petits jeux iPhone, souvent très bien réalisés et addictifs, cette population va se rendre compte que jouer 1) n'est pas honteux, 2) peut être très amusant et 3) est une source de discussion entre amis. Dès lors, il ne me semble pas aberrant qu'un certain pourcentage de «nouveaux joueurs» iPhone découvre ensuite le monde des consoles de jeux et de Nintendo en particulier, et puisse ensuite acheter de telles consoles.

Nous aurions donc un marché où Apple réussit au-delà de toute mesure à appliquer la stratégie de Nintendo : «étendre la population de joueurs». Dans cette population massive, même si un petit pourcentage s'intéresse aux jeux et aux consoles Nintendo, n'est-ce pas un bénéfice pour la firme japonaise centenaire ?

Abordons pour finir le cas des gamers. Ces derniers connaissent déjà bien Nintendo, et auront souvent aussi un iPhone ou un iPad. Dès lors, ils vont jouer à l'une ou l'autre plate-forme selon les jeux qui les inspirent. Je ne les vois pas forcément abandonner subitement les consoles historiques pour ne garder qu'un iPhone ou un iPad. Après, le gamer peut choisir la PS3 ou la XBOX360, mais c'est un autre débat où Apple n'est plus maître du jeu.

En conclusion, je résumerais ma pensée audacieuse par ceci: « Apple est le meilleur VRP de Nintendo. »