5 novembre 2007 : grève des scénaristes à Hollywood.

Officiellement, le travail à repris depuis.

Officieusement, tout le monde fait du pédalo.

Dans la choucroute.

Et parfois même en rétropédalage.

 

Il faut dire que c'est la crise, ma brave dame. Avec les traders qui jouent aux Loups Garous de Thiercelieu avec nos économies et les trous budgétaires (avec ou sans sécu), les producteurs ne peuvent plus courir le moindre risque (déjà qu'avant, c'était pas folichon...), ils doivent désormais prendre le spectateur avec des gants. Voire des moufles. Et le bonnet à pompon assorti, s'il vous plaît. Non parce qu'il faut bien vivre, qu'est-ce que vous croyez ? ! Ce n'est pas de raconter de vraies histoires (!) avec de vrais personnages (!) dedans qui permettra de mettre du beurre d'escargot dans les épinards à la crème, de nourrir la (ou les) bourgeoise(s) ou de recevoir les ambassadeurs à coup de Ferrero Rocher. C'est que ça mange, un ambassadeur. Souvent, c'est même payé pour, alors vous pensez bien que ça s'applique.

 

Par chance, il existe un truc in-fail-lible pour rentrer dans ses frais (si possible plusieurs fois d'un coup, c'est un minimum) : l'a-da-pta-tion.

Tintin et la Malédiction du Coffre Maudit de la Fontaine

de Jouvence au Bout du Monde le Retour.

Pas besoin d'être un génie des maths pour comprendre le principe (génie ? Hé quoi, nous sommes à Hollywood !), l'équation parle d'elle-même : titre qui a fait ses preuves et qui fera vendre même si c'est mauvais + effets spéciaux jusque dans le générique de fin, les pubs pour le Fitness 2000 du coin et le sourire ultrabright de l'ouvreuse (non, le sourire, c'est plus haut, les amis, essayez encore) + propos tout public, lisse, sans rien qui pourrait entraîner une once de réflexion dérangeante (pléonasme, le cas échéant) = succès commercial assuré.

C'est vrai, quoi !

Qu'est-ce qu'on va aller s'embêter à imaginer un récit original, une trame complexe et des rebondissements inattendus qui, de toute façon, finiront toujours par être taxés de plagiat, alors qu'il suffit de sortir le papier calque ? ! C'est qu'en plus, à trop s'éloigner des sentiers battus, on risque de l'effrayer, le spectateur ! Parce que le spectateur, il est fragile, 'ttention ! Faut pas le brusquer ! Il n'en a pas l'air, comme ça, mais il veut qu'on lui resserve toujours le même schéma narratif, toujours les mêmes personnages archétypaux, et toujours la même bouillabaisse d'artifices vieux comme Hérode (Hérode Père, s'entend). Du coup, le truc, c'est de bien emballer la redite, d'y mettre des petits nœuds autour, pour qu'il ne se rende compte de rien. Et s'il a des soupçons, mettez des explosions, il regardera ailleurs. Dans ces conditions, pourquoi « faire », quand il suffit de refaire, encore et encore ? Bouleverser des habitudes ? Vous n'y pensez pas ! Et nos vacances sur Pluton, qui c'est qui va les payer, nos vacances sur Pluton ? Les habitudes, elles rassurent, mon bon monsieur ! Et les gens ne vont pas au cinéma pour être inquiétés, non, non ! Ils y vont pour manger du pop corn ! Alors relisez les bouquins de Robert Mc Kee, appliquez bêtement la recette et surtout, n'exposez pas le public à la lumière vive, on ne sait jamais.

Tintin, de retour du Bout du Monde de la Malédiction du

Coffre Maudit de la Fontaine de Jouvence la Revanche.

 

Vous avez aimé Pocahontas ? Pas de souci, on vous la peint en bleu et on vous l'envoie dans l'espace ! Vous aimeriez voir ce que Megan Fox a sous le capot ? Bon, ça on peut pas, on doit faire familial, mais on peut vous mettre Megan Fox avec des robots transformables (dont certains auront des capots, quand même), ce sera presque pareil ! Vous détestez les mangas et rêvez de leur faire subir les pires outrages ? Ne rêvez plus ! Dragon Ball Evolution est fait pour vous (en plus, il ne fait qu'une heure vingt, comme ça on peut le programmer 20 fois dans la journée. Astucieux, non ?) ! Vous avez aimé Forest Gump ? Allez voir Benjamin Button, vu que c'est le même film : au moins, vous êtes sûrs de ne pas être déçus ! Les vampires vous font peur ? Bonne pioche : avec Twilight, ils vous feront rire à la place ! Vous avez la flemme de lire Harry Potter ? L'écran le fait à votre place, en sautant tous les passages chi... sans action ! Vous avez déjà ouvert un album des Schtroumpfs en vous disant « comment ce serait trop trop bien au cinéma ? » ? Consultez un psy d'urgence, mais on va vous le faire quand même !

 

Dernier exemple en date, et de loin le plus réussi (l'un n'empêche pas l'autre, hélas), signé Môssieur Steven Spielberg : les aventures de Tintin. Pour ceux qui ne connaitraient pas, on y suit les tribulations d'un jeune reporter intrépide et de son fidèle chien Milou, qui parcourent le monde à la recherche du trésor caché de... ha mais pardon, oui, tout le monde connaît, en fait. Aux temps pour moi. Car au-delà de la qualité du divertissement (indiscutable), on peut se demander quelle est la volonté artistique qui sous-tend un tel projet, et quel était l'intérêt d'en faire un film d'animation si ce n'était pas pour reprendre la ligne claire caractérisant l'œuvre originelle.

Tant qu'à faire.

 

Non mais je veux dire... Tintin, quoi. Avec tout le respect que je lui dois, si au jour d'aujourd'hui, on ne peut pas faire scénaristiquement mieux qu'une BD de 1929 dans laquelle la psychologie des personnages se résume à leur ordre d'apparition dans les cases, c'est qu'on n'est quand même pas très bien parti. Alors oui, donner vie à un héros à houppette qui a fait rêver des millions d'enfants, c'est une belle et noble ambition, je n'ai rien à redire... si ce n'est que curieusement, dans ma tête, le mot « million » tend à se détacher des autres, je me demande pourquoi. Que Tintin représente 200 millions d'albums vendus, soit 200 millions de foyers potentiellement intéressés soit 2000 millions d'euros de bénéfices d'à peu près assurés (en arrondissant à l'inférieure car quand on va voir Tintin, c'est un fait, on lui rend visite en famille), peut-être que ça n'a pas effleuré Spielberg, je ne dis pas (lol), mais quand je le vois se démener, le Tintin, c'est plus fort que moi, instinctivement, je pense « jeux de société », « posters », « mugs », « albums souvenirs »... et quand je vois Milou frétiller de la truffe, j'ai une folle envie de peluches et de pyjamas à bretelles. Cette fois, plus de doutes, j'ai perdu mon âme d'enfant du côté de la caisse enregistreuse. Comme ça, avec un peu de chance, elle tiendra compagnie à celle du cinéma.

 

"Courage, mon bon Haddock, je crois que nous

ne sommes plus très loin des côtes japonaises"

 

A l'ouest, rien de nouveau, c'est sûr. L'imaginaire-business, ça existe depuis que les cheveux du monde ont des pellicules - au moins ! On peut juste déplorer qu'à une époque où le jeu vidéo n'a jamais été aussi inventif, créatif et original ( ?), le 7ème art s'enlise dans sa routine par manque d'audace et/ou par frilosité financière. Même des soubresauts d'originalité (relative) comme l'Agence, Source Code ou Time Out marchent sur leurs lacets à trop craindre de les avoir serrés trop fort. Sauf qu'on le sait, ne pas prendre de risques, ça représente déjà une prise de risque à part entière, Sakaguchi et ses Créatures de l'Esprit en ont fait la triste expérience en leur temps. L'américanisation forcée du propos aurait dû leur garantir une gloire internationale. Mauvaise pioche : l'ancienne tête pensante de Square aurait-elle jeté son dévolu sur une licence plus bankable qu'elle aurait peut-être été accueillie comme un Tintin en sa Belgique natale, qui sait ? ! Peut-être aurait-elle été couronnée de succès, elle aussi, au lieu de passer à la guillotine ? A l'opposé, Christopher Nolan se serait-il contenté d'ouvrir un livre au rayon best-seller et de le porter à l'écran, au lieu d'avoir la prétention (il faut croire) d'écrire son scénario, qu'on ne se serait pas dépêché de lui inventer une parenté honteuse avec une bd d'Oncle Picsou. C'est qu'on n'en est plus à encourager la fainéantise, mais à sanctionner ce qui n'en est pas.

 

Règle du scénariste japonais n°42 : "Si c'est pas cool, rajoute z'y

des bouts de métal dessus !" (et des oreilles de chat)

 

Et vous voulez savoir le plus tragique, dans tout ça ?

C'est qu'on aura beau dire, râler, critiquer, faire preuve de toute la mauvaise foi du monde, le copié-collé, le réchauffé, le standardisé, ben...

 

C'est toujours meilleur que Plus Belle la Vie.

 

Cocorico ! (ou pas)

 

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