Ce matin, Jean-Michel Combat Social s'est levé avec la gaule, en pensant à tous les nouveaux méchants qu'il allait punir de son clic vengeur, de son commentaire assassin, de son retweet libérateur.

Combien d'injustices a-t-il déjà corrigé ainsi, à coup de pétitions, de délation ou de menaces ? Combien de tyrans a-t-il ainsi renversés ? De mécréants, de sexistes, de racistes, d'homophobes, de ces monstres ordinaires qui portent l'essence du mal dans chaque brin de leur ADN ?

Mais ce n'est qu'un début, ce n'est toujours qu'un début, car le mal est partout, le mal n'a jamais de repos, dans ce monde de mâles blancs cis-genre hétérosexuels. A lui de le traquer, à lui de le pourfendre. Et pour ça, Jean-Michel Combat Social a l'arme absolue. Ou plutôt, deux armes : une connexion wifi et une paire de lunettes magiques, comme dans Invasion Los Angeles, qui lui permet de voir le mal où qu'il se cache, où qu'on le cache, sous quelque forme que ce soit, et même là où il n'est pas.

 

 

Ce matin, la gaule de Jean-Michel Combat Social peine à retomber. Il n'arrête pas de penser (car Jean-Michel Combat Social pense, contrairement au reste du monde) à ce fichu bouquin qu'il a fait supprimer des étagères des librairies, hier ou avant-hier (il ne se souvient plus trop, ni du titre, d'ailleurs, vu qu'il ne l'a pas lu - car après tout, à quoi bon ? Il y avait le mot "tétons" dedans. ça, il en est sûr. Il l'a vu sur Facebook). Une belle victoire, qui fait bien avancer les choses, dans l'ex pays des Lumières et de la liberté d'expression. Ce n'est pas la première. Ce ne sera pas la dernière. Déjà, Jean-Michel Combat Social est à l'affut. A la télé, dans les journaux, il ne baisse jamais sa garde, il n'enlève jamais ses lunettes magiques. Il chronomètre les temps de parole, il colle des points au bout des mots. Fini le combat d'idée à papa. Les problèmes, il les affronte en 140 caractères, et il les règle à coup de hashtag. Friends, c'est lui. Kingdom Come, c'est lui aussi. Le moindre mot suspicieux sera reposté sur son compte twitter avec un commentaire cinglant, et il espère bien faire du like et du repost. Oh, pas pour lui, bien sûr, même si c'est agréable de savoir qu'on est quelqu'un de bien, et de savoir aussi que tout le monde le sait. Non, il le fait pour la Cause (ou, en anglais, for the Greater Good, comme dans Hot Fuzz, un film qu'il n'aime pas trop parce que ce sont les méchants qui gagnent à la fin).

 

Jean-Michel Combat Social à seize ans, mais il sait mieux que ceux qui ont le double de son âge, le triple ou le quadruple ; il ne connaît que les bancs de l'école mais il sait mieux que ceux qui font l'expérience de la vie, parce qu'internet lui a appris que personne n'avait jamais vraiment raison et que par conséquent, tous les points de vue se valent. Jean-Michel Combat Social a vingt ans, mais il sait mieux que les spécialistes des sujets dont il s'empare parce qu'il a vu deux vidéos Youtube et qu'il a eu 13 au Bac de Français. Jean-Michel Combat Social, c'est un peu Tintin, mais sans l'album au Congo : il a de 7 à 77 ans, et sans doute n'est-ce pas un hasard s'il a la maturité des premiers, et l'ouverture d'esprit des second (encore est-ce faire injure aux deux, qu'ils me pardonnent). Grâce à ses lunettes magiques, Jean-Michel Combat Social a toujours raison. Il sait tout mieux que toi, sauf si tu es d'accord avec lui auquel cas tu es un génie, car il en est un également. Il peine souvent à écrire deux phrases en français correct ("mais ça n'existe pas, le français correct !", lui a appris Jean-Michel Démago, lexicologue de profession), il n'a aucune idée de ce qu'est la dialectique et d'à quoi ça sert (il ne manquerait plus qu'il essaie de se contredire lui-même ! Il est pas zinzin, waaa, l'autre, hé, lol !), il vit dans sa bulle (souvent) et ne s'est jamais confronté aux réalités dont il traite (il n'en a pas besoin, puisqu'il a toujours raison), il condamne les fachos, les oppresseurs, les agresseurs, les n*zis mais il emploie les mêmes méthodes qu'eux. For the Greater Good. C'est si commode.

 

Jean-Michel Combat Social est un héros, comme Hercule avant lui (mais sans le côté paternaliste et les gros biceps). Il a sa propre mythologie. Ses propres dieux, ses propres textes sacrés qu'il ne remettra jamais en question. Ou disons, non, ce serait lui reconnaître trop de mérite : il a la mythologie qu'on a inventé pour lui et ses semblables afin de les dispenser de trop réfléchir (soit : plus de cinq minutes), un panthéon à leur mesure bâti sur le mont Sophistique par des gourous modernes en mal d'emprise, d'oseille et de reconnaissances, de ces militants de papier qui veulent marquer l'Histoire - ou plutôt, la plier, y imposer leur nom comme une décalcomanie au fer rouge -, non par engagement mais par narcissisme. Jean-Michel Combat Social aime qu'on lui lave le cerveau, il se sent plus propre après : oui, ok, d'accord, on remplace son système de pensée par un autre mais il s'en fiche, au contraire, ça le conforte dans son idée qu'il est unique et qu'il est beau. Tant pis si ce système de substitution est déviant, dévié, sorti des rails de la rationalité pour justifier l'injustifiable, dispenser des immunités morales qui n'auraient pas lieu d'être, et s'il ne semble valide que parce qu'il est à lui-même sa propre justification, une boucle de fausse logique autoréférencée qui fonctionne en tautologie, séparée de la folie clinique par une simple ligne rouge. Fine, de surcroît.

Tous les hommes sont sexistes.
Or Socrate est un homme.
Donc Socrate est sexiste.
T'as vu ?

 

 

Dans le monde idéal de Jean-Michel Combat Social, tout le monde pense comme lui, écrit comme lui, mange comme lui, baise comme lui, parle comme lui, a la gaule comme lui. Les livres, les films, les jeux et mêmes les encyclopédies, les ouvrages scientifiques, sont expurgés de tout ce qu'il n'a pas validé, et leurs auteurs sont traînés dans la boue. For the Greater Good.

 

Dans le monde idéal de Jean-Michel Combat Social, les oppresseurs sont opprimés, les racistes sont racisés, les sexistes sont sexisés, les méchants sont méchantisés, mais ils l'ont mérité alors ça va, c'est cool. Si demain, il pouvait les mettre dans des camps, à vrai dire, il n'aurait rien contre. C'est déjà ce qu'il fait moralement sur les réseaux sociaux sitôt que quelqu'un n'est pas d'accord avec lui. For the Greater Good.

 

Jean-Michel Combat Social tue. Oh, pas avec des armes, il tient à garder les mains propres, et puis c'est un babtou. Il tue par l'ignorance. Il tue par la bêtise. Par son suivisme. Par son absence de conscience historique. Par son manque de recul. Par son intolérance, même. Ce qui n'est pas comme lui est mal, et doit donc être anéanti, par tous les moyens, même les plus abjects, sinon il se roulera par terre et il retiendra sa respiration jusqu'à devenir tout rouge ou recueillir 10000 signatures. Jean Michel Combat Social tue. Oh, pas des gens, il reste quelqu'un de bien et puis il y en a trop, ça prendrait trop de temps. Il tue le progrès. Il tue la diversité. Il tue l'histoire. Il tue la philosophie. Il tue la connaissance. Il tue la civilisation.

 

Il tue parce que si on le laisse faire, si on le tolère, si on l'encourage, demain, nul n'osera plus écrire, nul n'osera plus créer, nul ne prendra plus le risque de fâcher ou de déplaire. Demain, nul ne sera plus libre. For the Greater Good.

 

Celui de sa gaule.

 

[Soutien aux auteurs de "J'ai attrapé la puberté", éditions Milan]

 

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(Tout ça vaut bien une pétition).

 

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Et pour ceux qui ne cliquent pas sur les liens hypertexte parce que c'est contre la religion, une lecteur nécessaire en trois actes :

 

Thèse

Antithèse

Synthèse

Conclusion

 

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Bibliographie sélective pour approfondir :

 

- Fahrenheit 451 de Bradbury

- 1984 d'Orwell

- The Crucible de Miller

- Matin Brun de Pavloff.