Les habitués des guimauveries made in Hollywood le savent mieux que quiconque : les belles rencontres, souvent, ça tient à pas grand chose. A un regard, à une méprise, un quiproquo - ou, le cas échéant : au dernier quart d'heure d'une Japan Expo 2013 en demi-teinte, entre éternelles promo Déclic Images et VRP de chez Kaze, prompts à vous mettre en garde contre "les contrefaçons illégales de mauvaise qualité indignes de ton argent dealées dans le coin obscur tout là-bas, où tu ferais mieux de ne pas aller si tu ne veux pas perdre ton âme ou finir en prison" (oubliant un peu vite qu'ils proposent eux-mêmes l'intégrale de Tiger and Bunny à 120 euros, ou le film One Piece - Strong World sans générique de fin), alors même que je recherchais un stand de fanarts Doctor Who que jamais je ne retrouva (retrouvi ? retrouvu ? Les grammairiens se perdent en conjecture ou en conjonctivite).

Poussant la méthode Coué jusque dans ses ultimes retranchements ("non mais tu as quand même trouvé des trucs intéressants, non mais tu as quand même trouvé des trucs intéressants, non mais tu as quand trouv... OH ET PUIS M***** LA JAPAN EXPO C'EST JUSTE UNE P*TAIN DE FNAC, EN FAIT !"), je tirais une dernière croix symbolique sur les trésors imports que j'aurais espéré trouver quand la chance, le destin ou une coïncidence quasi-HughGrantesque m'ont planté net devant une table de belle taille, sur laquelle paradaient plusieurs piles de CDs aux jaquettes bariolées, couvertes d'idéogrammes incompréhensibles mais familiers (puisque nippons).

(crédit photo : Showdo Records)

Mirage, hallucination, intervention divine ?

De quoi faire crever les plafonds de la jauge d'excitation, en tout cas, et c'est bien le plus important, car mis à part les imparables classiques made in Square Enix (hop là, dans le sac, la BO de The World Ends With You et le collector de Bravely Default !), ou la bande originale d'Evangelion 2.22 à 90 euros (:tousse:), côté soundtracks, pour les collectionneurs mélomanes, c'était silence on tourne (d'allée en allée, mais en vain) - à croire qu'il n'y a que les polochons Yuna (elle a l'air tellement innocente !) et les cosplays Naruto en mousse (il a l'air tellement habillé en jogging orange !) qui intéressent les Otakus nouvelle génération (et parfois les deux simultanément, d'ailleurs, mais qui sommes-nous pour juger ?). Aussi fut-ce sitôt mes grandes espérances rangées au fond de ma valise, sous les slips sales, les artbooks Tactics Ogre et les cartes à jouer Dragon Quest, qu'au détour d'un chemin de cette Cordillère des Andes métaphorique (je me comprends), j'ai découvert ma cité d'or. Pile au moment où mon or perso venait à manquer, comme un fait exprès, ayant depuis longtemps essoré mon budget.

Et puis quoi ?

Le hasard aussi a le droit d'avoir le sens de l'humour...

 

Pas le temps de m'en formaliser : j'ai déjà le casque sur les oreilles, à écouter sample sur sample comme un boulimique en manque de glucose, tout en ratissant frénétiquement les poches secrètes de mon portefeuille à la recherche des dernières piécettes et billets qui auraient échappé à l'hécatombe, sous l'oeil amusé (ou bien était-ce de la consternation ?) des membres du groupe hardcore-punk-rock Popenessseizetheworld, qui s'étaient déplacés exprès pour apporter la bonne parole au monde occidental.

La bonne musique, en l’occurrence.

Pour ne pas dire la très très bonne musique.

Pour ne pas dire "Tudieu c'que ça fait du bieeeeennn !".

Pour ne pas dire : "j'achète le stock !".

Parce que oui, c'était bon, et pas qu'à moitié.

Et pour couronner le tout, c'était bon marché.

 

LostFairy. Genre : Conceptual Metal/Gothic. Title :  4th Fantasia. Site officiel.

 

Avec des étoiles dans les oreilles et quelques échanges bafouillant par interprète interposé : voilà comment j'ai découvert Showdo Records, véritables association de bienfaiteurs (si l'on peut dire) qui se déplace de convention en convention pour faire découvrir au public occidental la culture musicale doujin en général, et une sélection d'artistes coups-de-coeur en particulier.

Une initiative de passionnés, pour des passionnés, qui aura quand même coûté quelques 3000 dollars à ses bénévoles, rien qu’en frais de port, et qui rappellera par l'exemple que oui, absolument, ça en pourra surprendre quelques-uns de nos jours, mais un artiste peut tout à fait agir de façon désintéressée, sans chercher ni le profit, ni le buzz, ni la gloire, juste parce qu'il croit en un projet et parce qu'il aime son art pour ce qu'il est, et pas pour l'image qu'il renvoie de lui - ce que nous avons semble-t-il oublié depuis un bail de ce côté de l'océan.

 

Bassy. Genre : Pop. Title : GendaiPopsB. Site officiel  

 

L'occasion pour les béotiens de découvrir ce pendant musical aux mangas underground auto-produits, vendus exclusivement en conventions de type Comiket ; ceux-là même qui permettent aux amateurs d'avoir pignon sur rue, ou qui donnent aux professionnels la possibilité de s'exprimer dans un cadre plus libre, plus souple, débarrassé des exigences du carcan éditorial. Même chanson ici, ça n'a rien d'une coïncidence : au milieu de ces outsiders, on repère vite quelques noms familiers, Uematsu Nobuo (Final Fantasy, Blue Dragon, Last Story, ...) en tête.

 

Secret Messenger . Genre : Electronica. Title : Fantasy of the Princess Wings. Site officiel.

 

Qu'on se le dise, il y en aura pour tous les goûts, pour peu qu'on soit sensible à cette approche musicale à équidistance entre anime, culture otaku et jeux vidéo : pop, gothique, hardcore, alternatif, dub step, screamo, traditionnel, chiptune, funk, vocaloïd, et même... metaloïd, égrainé au fil de CDs maxi à tirage limité comptant de deux à dix titres, en moyenne, et se déclinant la plupart du temps en une harmonieuse alternance (quand ce n'est pas une non moins harmonieuse superposition) de pistes instrumentales, de drama (séquences dialoguées) et, bien évidemment, de thèmes chantés. Le tout, de la même façon, souvent articulé autour d'une histoire unique, propre à chaque opus, elle-même servie par la beauté d'artworks parfaitement assortis (un vrai régal pour les yeux, qui en remontrerait d'ailleurs à bien des illustrateurs reconnus).

 

Eclipseed. Genre : Conceptual Metal. Title : la Blessure (la sélection de Vithia, qui a partagé cette belle découverte et m'a servi de prêteur sur gage pour l'occasion) Site officiel

 

En quelques mots : le paradis du concept-album à la japonaise, qui aura de quoi ravir les fans de manic shooter façon Touhou, du JDK Band sauce Falcom (Ys, Sorcerian...), d'Hatsune Miku à la mode Project Diva ou, justement, de Bravely Default, dont le compositeur nouvellement consacré (et popularisé par les génériques de Shingeki no Kyoujin) voit s'étirer derrière lui une longue carrière de doujiniste au sein de sa (grandiose) formation Sound Horizon... et si l'on pourrait être enclin à croire que la qualité reste anecdotique, du fait de l'absence de label ou de caution officielle, on ne pourrait pas plus se fourvoyer : bien que la musique doujin ait aussi ses codes, ses limites et ses redondances, elle constitue un véritable vivier de talent, de fougue et d'inventivité qui fait plaisir à entendre et que décrasse bien les tympans, au point qu'on pourrait presque acheter au hasard (ce que j'ai fait) sans risquer d'être déçu (ce que je ne suis pas).

Beaucoup de gens s'arrêtent sur le stand par curiosité, explique l'interprète, un peu amer, mais s'en désintéressent quand ils apprennent que ces CDs ne sont pas liés aux animés qu'ils connaissent. C'est dommage.

Dommage, c'est bien le mot car il y a des mondes entiers, enregistrés sur ces galettes. Des histoires à découvrir ou à s'inventer. Des envolées lyriques. Des sursauts expérimentaux. Des performances d'auteur. De l'inspiration à revendre. Des supports à l'imaginaire. De la passion, encore de la passion, toujours de la passion. Sans prétention, ni pédantisme, ni orgueil mal placé. Et bon sang de bon sang, qu'est-ce que ça fait du bien ! Voir des artistes aussi heureux de vous signer une dédicace que vous ne l'êtes vous-mêmes d'en obtenir une de leur part, et toujours prêts à discuter, en toute simplicité, de leur engagement créatif, c'est à vous réconcilier avec vos semblables, si misanthrope que vous soyez (car non, qu'on se le tienne pour dit, je ne fais pas semblant).

Je suis donc reparti avec un petit stock d'albums et un sourire grand comme ça, plus ravi que je ne l'aurais été si j'avais gagné la dédicace de Tetsuya Nomura (mise en jeu la veille quelque rangées plus loin), et enthousiaste en proportion : ce que j'avais laborieusement cherché entre les stands pendant près de deux jours, je l'avais trouvé à l'endroit et au moment où je m'y attendais le moins - voire où je ne l'attendais plus. Quelque chose de rare, d’authentique et d'humain. Quand je disais que les belles histoires tiennent à peu de choses...

J'ose espérer, par conséquent, que vous vous mordez les doigts à pleine dents d'avoir manqué ce rendez-vous confidentiel et qu'au contraire de tant de méchants de shonen, à commencer par le grand stratéguerre, vous ne commettrez pas deux fois la même erreur. Car c'est officiel, la page Facebook de Showdo Records vient de le confirmer : ils seront bien présents à la Japan Expo 2015 (Hall 6, emplacement 6-P89), avec certes moins de choix, mais toujours la même énergie. Dans leurs bagages : trois compilations exclusives pressées pour l'occasion, conçues de manière à faire découvrir au grand public les mille et unes facettes de cette production hors-norme. Au programme : 12 titres inédits par galette, qui pousseront le concept de collector dans ses derniers retranchements puisqu'aucune d'elles ne sera vendu sur le territoire japonais. Intitulées R.G.B., ces trois CDs de collection proposeront, pour la modique somme de 6 euros pièce (15 euros les trois, à peine le prix d'un demi sandwich sur place), un panel d'artistes et d'expériences musicales aussi large que varié (Eclipseed et Popnessseizetheworld seront de la partie !), que vous pourrez découvrir en avant-première sur la page dédiée.

Ne vous faites pas prier.

 

EDIT : Si vous les avez raté, honte à vous, mais pas de souci : la boutique en ligne a ouvert, et elle ne demande plus qu'à s'étoffer ! A ce prix-là, bouder votre plaisir serait criminel.

 

Uekiya. Genre : rock/metal. Title : Allegoria. Official site.

Mariwo Fuka, la vocaliste de Popnessseizetheworld, présentera également son nouvel album, alors si pour vous aussi, la Japan Expo, c'est un peu toujours la même chanson, si vous avez le sentiment de connaître le refrain par coeur et si vous avez envie de changer de disque, vous savez à présent ce qu'il vous reste à faire et quel stand vous ne pouvez pas manquer.

Dans le cas contraire, il vous restera toujours les stands Declic et Kaze.

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Pour prolonger :

Site officiel (Showdo Records are Takuya Oishi and Yokunobu Ida)

Sélection 2013 (possibilité d'écouter des extraits en lien, pour peu que les sites en japonais ne vous effraient pas).

 

Site officiel de Popenessseizetheworld (Popenessseizetheworld are : Mariwo Fuka, YCK and MIDORI)

Site musical de Mariwo Fuka (vocaliste de Popenessseizetheworld)