Alors que le coeur de la vie médiatique de l’hexagone bat au rythme de ce qu’il convient d’ores et déjà d’appeler « l’affaire Dieudonné », nombreux sont celles et ceux qui s’inquiètent des conséquences (symboliques autant que concrètes) de cette chasse aux sorcières dans l'air du temps. Car si l’on peut être - ou ne pas être - réceptif au travail de l’humoriste (connu pour avoir signé des sketchs hilarants sur, par exemple, la communauté Juive, la communauté Juive ainsi que la communauté Juive), c’est une affaire de goûts et de couleurs - n’excluons pas, d’ailleurs, que ces dernières puissent constituer le noeud du problème pour bon nombre d’opposants à la cause du bonhomme -, il n’aura échappé à personne, surtout pas sur la toile où les idéologues et les rhéteurs de haut vol ne manquent pas, que c’était notre sacro-sainte liberté d’expression elle-même qui était en danger. On ne pouvait prévoir, par contre, que le microcosme vidéoludique serait l’un des premiers à tirer la sonnette d’alarme et à se regrouper en collectif, l’Organisme Militant des Gamers Bénévoles, pour faire entendre sa voix dans cette cacophonie de réquisitoires et de plaidoiries contradictoires.
 
L’idée fondatrice est de mettre en place une force d’opposition active, explique Montana_4eVEr, son fondateur. A force de fréquenter les forums de jeux vidéo, nous avons fini par y voir de véritables viviers d’intellectuels anonymes, qu’ils soient lycéens, étudiants en sociologie, en philosophie ou même simples demandeurs d’emploi, comme c’est le cas pour moi, moins portés sur les compromis ou les courbettes que leurs homologues adoubés par les chaînes de télévision, et prêts à avancer dans la même direction, tous, d’un même pas, pour peu qu’on leur propose un cadre approprié. Ce que nous avons fait, dans la mesure de nos moyens.

Il suffit souvent, on le sait, d’une impulsion, d’une petite étincelle pour rendre possible ce qui, la veille, semblait encore inconcevable ; et c’est précisément ce que souhaite représenter ce mouvement qui, sur le papier, se définit comme un "réseau d’intelligences alternatif".
 
(...)parce que les soi-disant penseurs du XXIème siècle ne sont plus que des pions à la solde du pouvoir en place, et ne défendent que leurs intérêts de petits bourgeois vendus aux multinationales - et, au-delà, aux lobbies qui les contrôlent.  

 

Qui aurait pu imaginer, cependant, que les amoureux du pixel se sentiraient plus concernés par la vie citoyenne de leur pays que par ce qui se cache dans le décolleté virtuel de Lara Croft ? Bien que ce ne soit pas son but originel, l’initiative devrait contribuer à mettre à mal bien des clichés en matière de loisirs interactifs, et à réhabiliter ceux qui les pratiquent aux yeux du grand public. 

 
La liberté d’expression est un héritage au nom duquel nous nous devons de nous battre, comme l’ont fait avant nous des grandes figures historiques telles que le Dalai Lama, Nelson Mandela , l'Abbé Pierre, Coluche ou Eric Cantona, pour ne citer que les plus illustres d'entre elles. Nous n’avons pas oublié que sur ce plan (comme sur tant d’autres), nous sommes une génération protégée, privilégiée ; et que si nous avons la possibilité de nous exprimer sans tabous ni craintes, c’est grâce à leur sueur - pour ne pas dire leur sang. C’est donc en leur mémoire que nous souhaitons inscrire notre action dans leurs traces. En toute humilité, bien entendu.
 
Surprenant, vraiment ?
 
Pas autant qu’on pourrait le croire car l’internaute en général, et le joueur en particulier, ont plus à perdre qu’il n’y paraît.
 
 
Si on en arrive à soumettre le moindre de nos propos aux chemises brunes de la censure, ça n'ira pas sans entraîner de graves répercutions - et ceci, à tous les niveaux. Il faut garder à l'esprit que si aujourd'hui, nous acceptons que Dieudonné soit condamné pour ses provocations - sommes toutes très innocentes -, demain, c’est chacun d’entre nous qui risque de se retrouver sur le banc des accusés.   

Bien qu’ils soient déjà des milliers, tous âges et toutes origines sociales confondues, a avoir intégré les rangs du collectif, certains restent néanmoins sur la réserve, convaincus que le jugement à venir n’aura aucune incidence sur leur quotidien.
 
 
C’est une erreur de croire qu’on n’est pas concerné. Si sous de fallacieux prétextes d’ordre ou de bien-pensance, on nous arrache l’une de nos libertés les plus fondamentales, cela ne se fera pas sans conséquences graves, pour ne pas dire dramatiques. On ne pourra plus, notamment, exprimer en public nos opinions politiques, artistiques ou religieuses, ni faire comme si celles-ci avaient de l’importance en les imposant à quiconque s’y intéresse comme à quiconque ne s’y intéresse pas. Vous vous imaginez, vivre dans un monde où vous ne pourriez pas la ramener à propos de tous les sujets que vous ne maîtrisez pas et auxquels vous n’avez jamais pris la peine de réfléchir plus de cinq minutes, juste parce que ça vous pète ou parce que vous avez, comme tout un chacun, une trop haute estime de vous-même ? Un monde où on vous interdirait de donner votre opinion quand personne ne vous la demande ? Vous avez conscience de la perte que ce serait, d’un point de vue humain ? Là où jusqu’ici, les gens parlaient pour ne rien dire, ils seraient forcés de se taire. Ce sont les fondements-même de la démocratie qui seraient mis à mal ! 
 
Sans compter qu’il n'est question ici que du haut de l’iceberg, comme le confirme l'interviewé.
 
 
(...) et encore ne faut-il voir-là que les effets les plus immédiats et les moins pervers de ce qui sonnera le glas de la civilisation, à moyenne échéance, car par extension - et c'est là que le bas blesse -, on ne pourrait plus ni prendre de haut, ni se moquer, ni galvauder, ni humilier, ni injurier, ni menacer, ni chier sur notre interlocuteur à longueur de journée parce qu’il affiche des positions qui ne sont pas les nôtres. Terminés, les montages-photo dégradants à base de pornos zoophiles. Terminés, les faux-comptes Twitter en déversoirs à excréments. Terminées, les plaisanteries subversives sur les trisomiques, sur les personnes de petite taille, sur les handicapés, sur tout ce qui est différent et facile à stigmatiser (tout ce qui est fédérateur, par conséquent) ; comme sur tout ce qui renvoie à une souffrance morale ou physique de l'ordre de l'intolérable, pédophilie en tête. On ne pourrait plus rire courageusement de tout en général, et de ce qui ne nous touche pas en particulier – comme on aime à le faire, parce qu’on est assez sages pour savoir que le courage des uns s'arrête là où commence celui des autres. Pire encore ! Il ne nous serait plus possible de calomnier, de harceler, de lyncher virtuellement (et en groupe !), de rendre public des données personnelles à des fins malveillantes, voire même de pousser des gamines, des journalistes ou des emo exhibitionnistes à se faire sauter le caisson, parce que nous n’approuverions ni leurs écrits, ni leur attitudes, ni leurs choix de vie. Nous ne pourrions même plus réclamer le licenciement d’une grabataire dont les propos nous auraient contrariés, ou la retraite anticipée de chroniqueurs spécialisés dans le jeu vidéo dont nous ne tolérerions pas les écarts stylistiques ! Nous n'aurions plus la liberté d'expression d'exiger qu'ils renoncent à la leur juste parce que ce qu’ils disent n’a pas l'heur de nous plaire ! Rien à voir avec le gouvernement français qui veut museler Dieudonné ! Ils l’ont mérité, eux ! Et même : nous serions condamnés à jouer aux multis de Call of Duty, de Battlefield ou d'Infamous le micro débranché puisqu’il ne nous serait plus possible, notamment, d’y traiter un bougnoule de négro, ou une greluche de salope, même sur le ton de la plaisanterie, dans le but avoué d'établir un lien de complicité au sein du groupe. Cela ne s’arrêterait d'ailleurs pas là puisque nous n’aurions plus l’opportunité d’inciter à la haine raciale, au repli dans le communautarisme, à la diabolisation des homos, à la dégradation du corps féminin, au conflit social, à la violence, à la bêtise et au chaos. Rendez-vous compte ! Nos artistes de rap se retrouveraient à la rue ! Que penseraient nos voisins européens de notre exception culturelle, à nous qui sommes censément le pays des droits de l'homme ?
 
 La question, légitime, a effectivement de quoi faire réfléchir - d’autant que ce n’est pas la première fois qu’on cherche à confisquer ces droits au nom de la raison.
 

 
Ce bras de fer métaphorique ne date pas d'avant-hier. Il y a quelques années de ça, on a voulu nous empêcher de tenir des propos fachos sous le fallacieux prétexte qu’ils étaient fachos. Heureusement, là encore, les internautes ont réagi très vite et ont, en réaction, inventé le Point Godwin - avec le succès que l'on sait. Coup de génie ou coup de chance, c'est difficile à dire. Ce qui est sûr, par contre, c'est qu'il s'en est fallu de peu. Sans ce dernier, nous aurions pu dire adieu aux vannes sur – comment vous dites, au juste ? Ha oui – le low cost. Ce qui nous rappelle combien nos progrès intellectuels sont fragiles, et comme il pourrait être facile de régresser sans en avoir conscience. Si nous ne nous montrons pas vigilants, plus que jamais, tout ce pour quoi se sont battus – voire sont morts ! - les héros de jadis, les Gandhi, les Nelson Mandela et autres Che Guevarra nous sera enlevé, et c'en sera fini de la République et de ses valeurs.

 
Un constat d’une implacable lucidité, que notre gouvernement fantoche serait bien inspiré de méditer.

Quand le peuple est plus sage que ses souverains, la révolution n’est pas loin.