Une étude de littérature comparée originale

La réflexion menée précédemment portait sur la relation entre le jeu vidéo et la littérature. Cette étude comparée avait pour intention de réfléchir à la transposition d'une œuvre d'un média à l'autre, autrement dit au cas de la transmédialité pris au sens strict du terme entre deux médias.


Plus précisément, il s'agissait de penser l'adaptation des romans de Jules Verne en jeux vidéo. La problématique posée dans le cadre de ce mémoire a été de voir si la transposition de l'univers du romancier au sein du média numérique conduisait à une fidélité ou à un détournement.

Jules Verne (jeune)

 

Une progression logique et des difficultés

Après la lecture des romans de Jules Verne sélectionnés pour ce mémoire, et après avoir terminé les jeux les adaptant, deux hypothèses s'imposent. D'un côté, on trouve des jeux transposant fidèlement le monde vernien et de l'autre des jeux détournant cette œuvre.


Seulement, en aucun cas les jeux analysés ne constituent des blocs pouvant être entièrement rangés sous l'une ou l'autre hypothèse. Il fallut donc affiner ces hypothèses et reconnaître tout d'abord des degrés, plus ou moins importants, de fidélité et de détournement dans les jeux étudiés.


De même, le terme « détournement » est une classification trop générique. Elle fit ainsi l'objet d'une segmentation interne. On ne peut pas parler simplement de jeux détournant les romans de Jules Verne, mais de détournements d'éléments existants et d'inventions.


Dans les deux cas, les jeux prennent des libertés avec le matériau d'origine mais de différentes manières. Dans le premier cas, il s'agit de réutiliser en le modifiant un élément des récits de Jules Verne. Dans le second cas, il est question d'inventions pures s'intégrant à une base qui demeure le livre de Verne.

Une vision de la transmédialité et de ses déclinaisons (Hypermédialité pour notre cas si l'on suit ce schéma)

Partant de cette triple segmentation, il fallut trouver un développement logique à l'intérieur des grandes parties de ce mémoire. Pour les deux premières parties, les sous-catégories pouvaient sensiblement être les mêmes. C'est pour cela que l'arborescence entre la première et la deuxième partie est proche.
L'idée consistait, en premier lieu, à saisir les éléments les plus génériques et évidents pour remonter vers ceux plus abstraits et complexes. C'est ainsi que les deux premières grandes parties du mémoire abordent, dans le même ordre : le cadre spatio-temporel, les péripéties des romans et les personnages.


Il ne fut pas évident de savoir où classer certains éléments observés dans les jeux. En effet, toute transposition d'un passage de roman au jeu vidéo est en soi un détournement. Il fallait donc garder à l'esprit une différence entre le détournement propre à la transmédialité (passage d'un média linéaire et non interactif comme la littérature au média jeu vidéo, plus éclaté et interactif) et le détournement conscient et assumé par les développeurs de jeux d'éléments propres aux récits de Jules Verne.


Pour la troisième partie, l'organisation des éléments observés ne pouvait suivre l'arborescence des deux premières parties. Comme il s'agissait d'inventions des développeurs, il semblait plus pertinent d'organiser les résultats sous  la forme d'une typologie. Il est plus intéressant d'observer les formes de création imaginées par les développeurs plutôt que ce sur quoi portent ces inventions.

La transmédialité dans le cadre d'un échange entre littérature et jeux vidéo

Comprendre le processus même de la transmédialité dans le cadre d'un échange entre la littérature et le jeu vidéo nécessite au préalable une compréhension de ce qu'est le jeu vidéo en tant qu'œuvre. Le développement préliminaire de ce mémoire l'a évoqué, le jeu vidéo est un média de la synthèse. Les développeurs de jeux, souvent nourris d'une culture variée, empruntent des procédés créatifs à de multiples moyens d'expression (cinéma, littérature, musique de film, etc.).


On ne peut pas dire comme pour un roman, qui est une forme de littérature, que le jeu vidéo est un média du texte. Ou, comme le cinéma, que le jeu vidéo est un média de l'image. Ou encore comme un album de musique, album classique ou album-concept, qu'il s'agit d'un média du son. Un jeu vidéo est à la fois un média du texte, de l'image et du son.


Aucun procédé, et donc aucun emprunt à un autre art, n'est isolé des autres. Si l'on devait évoquer une image symbolisant le jeu vidéo, on ne devrait pas choisir la vision de couches de sédiments posées les unes sur les autres en tant que strates. Il serait plus pertinent d'y voir une toile d'araignée étendue où chaque point est relié à un ou plusieurs points.

Le jeu vidéo ou la structure en toile d'araignée

A ces éléments plus traditionnels, déjà éprouvés au cinéma ou en littérature, s'ajoute dans un jeu vidéo un aspect ludique et interactif. Le spectateur est joueur et donc par conséquent n'est pas passif. Les développeurs de jeux le font agir lors de séquences plus ou moins longues, déconnectées ou non des procédés évoqués plus haut.


En comprenant ainsi ce qu'est le jeu vidéo en tant qu'œuvre, il est plus aisé de comprendre comment un jeu peut adapter une œuvre provenant d'un autre média. Cette transmédialité ne peut qu'être à l'image de ce qu'est le jeu vidéo, un réseau d'emprunts doublé d'une logique ludique et interactive.


Le passage d'un roman au cinéma démontre une traduction de procédés narratifs textuels en procédés filmiques. Une description d'un personnage peut se matérialiser par l'utilisation de gros plans ou d'un plan séquence (découvrant le protagoniste de bas en haut par exemple). Le passage d'un roman en jeu vidéo n'est pas aussi simple. Le roman sera traduit aussi bien par des procédés de l'image (scènes cinématiques) que textuels (notes, lettres, carnets, etc.) ou sonores (des thèmes sonores empruntant beaucoup à la musique de film).


Seulement, ce qui fait tenir ces procédés divers et variés au sein d'une même œuvre demeure l'aspect ludique du jeu vidéo. C'est autour de séquences ludiques et  interactives que viennent se greffer des passages empruntant aux procédés d'autres médias. C'est ainsi que l'on pourra avoir entre deux zones d'exploration et de collecte d'objets (exploration ludique et interactive), une scène cinématique. Ce qui fait la singularité du jeu vidéo, ce n'est pas simplement cette synthèse de procédés provenant d'autres arts mais également la capacité de lier ces éléments à des interactions ludiques. Les séquences jouables servant toujours de base.


Du fait de cette interactivité soutenue, on peut souligner que les spécificités du jeu vidéo par rapport au roman (une position de spectateur/acteur, etc.) remettent en cause certaines conceptions narratologiques[1] voire éthiques. Alors que l'on distingue traditionnellement dans la narratologie le personnage du narrateur et du destinataire (le lecteur), on remarque qu'avec le jeu vidéo le personnage et le destinataire ne font qu'un puisque le joueur dirige l'avatar.


De même, par ses actions singulières, et la possibilité parfois offerte de modifier plus ou moins le déroulement de l'histoire, le joueur se fait également auteur. Autrement dit, dans le jeu vidéo, le joueur peut vampiriser plusieurs statuts et être différents actants, comme dirait Greimas, à la fois. C'est un vrai bouleversement pour la narratologie, a priori caduque pour expliquer le déroulement du récit au sein du jeu vidéo.

Greimas

Il semble pertinent, suite à ces analyses, de chercher à synthétiser le procédé de la transmédialité pour le cas de la littérature et du jeu vidéo. Par littérature, on entend le genre du roman (roman d'aventure mais les caractéristiques de cette catégorie sont retrouvables en grande partie dans d'autres types de roman). Par jeu vidéo, on pense au genre du jeu vidéo d'aventure (point and click, jeux d'objets cachés et jeux d'aventure à la troisième personne). Ces précisions sont importantes car du fait de la diversité du jeu vidéo, on ne peut pas dégager des schémas applicables au média dans son ensemble mais seulement à un genre particulier.


Tout d'abord, il est possible de classer les différents éléments romanesques dont les créateurs de jeux vidéo s'inspirent lors de l'adaptation d'un roman :

  1. Cadre spatio-temporel
  1. Personnages
  1. Péripéties
  1. Idées du récit

On entend par « idées du récit » tous les éléments qui ont trait à la pensée, sous la forme de messages plus ou moins explicites, que diffuse l'auteur dans son roman. Pour resserrer la question à l'échelle de Jules Verne, on peut dire que la plupart des jeux valorisent des éléments romanesques propres au romancier. Le sens de la pédagogie est présent dans de nombreux titres sous des formes interactives ou non. De même, l'esprit des grandes inventions demeure dans plusieurs jeux. Jules Verne imaginait des machines du futur, de nombreux développeurs poursuivent cette entreprise.

 


[1] Wikipédia, Narratologie, Wikipédia, l'encyclopédie libre [en ligne], 2012, [11/05/2012], URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Narratologie#cite_note-0

 

Troisième partie du mémoire : 01/02; 02/02

Deuxième partie du mémoire : 01/02 ; 02/02

Première partie du mémoire : 01/03 ; 02/03 ; 03/03

Pour lire l'introduction : partie 1, partie 2

Pour le développement préliminaire : partie 1, partie 2

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