Les jeux vidéo adaptant les romans de Jules Verne détournent parfois certains aspects des récits du romancier. Par « détournement », on entend ici une réécriture d'éléments existant dans les aventures de Verne. En aucun cas, il ne s'agit d'invention pure. Cette dernière manière de faire sera le sujet de la troisième partie de cette étude.

I)Détournement du cadre spatio-temporel

Même si la plupart des jeux vidéo adaptant Jules Verne reprennent des éléments du cadre spatio-temporel des romans, certains le détournent.

A) Un cadre temporel modifié

Les jeux vidéo qui se veulent des suites ou des inspirations très libres des romans de Jules Verne proposent la plupart du temps un nouveau cadre temporel.


Il s'agit à chaque fois d'un saut dans le temps. Ainsi, Voyage au centre de la Terre de Frogwares imagine l'expédition de la photographe Ariane en Islande au cours de l'année 2005. Les mails[1] que reçoit la jeune femme sont datés  à partir de juin 2005. On peut d'ailleurs voir dans cette date un clin d'œil à la commémoration du centenaire de la mort de Jules Verne[2].

Ariane dans Voyage au centre de la Terre

Certains jeux imaginent des suites moins avancées dans le temps. L'écart entre le cadre temporel du récit de Verne et celui du jeu n'est parfois que de quelques décennies. C'est le cas du jeu 80 jours où le joueur suit le tour du monde du jeune Oliver Lavisheart au cours de l'année 1899[3].

B) Un cadre spatial simplifié

Le cadre spatial fait parfois lui aussi l'objet de quelques détournements de la part des développeurs adaptant les romans de Jules Verne.


Le principal détournement concerne la simplification du cadre spatial. Par exemple, le jeu 80 jours réduit considérablement les étapes du tour du monde qu'entreprend Oliver. Le jeune homme ne reproduit pas fidèlement le tour de force de Phileas Fogg.

Oliver dans 80 jours

Oliver n'ira pas à Calcutta, Hong Kong ou New York comme le personnage principal du roman de Jules Verne. De plus, certaines villes sont modifiées pour un même pays. Par exemple, pour le cas de l'Egypte, Oliver ne s'arrête pas à Suez comme dans le roman Le Tour du monde en quatre-vingts jours mais au Caire[4].


Le cadre spatio-temporel des romans de Jules Verne n'est pas toujours repris fidèlement dans les jeux adaptant l'œuvre du romancier. Certains le simplifient voire le modifient en opérant par exemple des sauts temporels. Au-delà du cadre, ce sont les grands événements des récits de Verne qui font parfois l'objet de réécritures.

II)Réécriture des évènements

Certains développeurs prennent des libertés avec les péripéties constituant les récits de Jules Verne. Les jeux vidéo les adaptant proposent différentes formes de réécriture.

A) Un nouveau déroulement passif

La réécriture d'événements peut être complètement injustifiée et intervenir sans réelle incidence sur le reste du récit. Par exemple, dans le jeu Le Tour du monde en 80 jours de Micro Application, les adieux de Phileas Fogg aux autres membres du Gun-Club ne se font plus, comme dans le roman, sur le quai de la gare[5] mais devant l'appartement du gentleman[6].

Gun-Club

D'autres réécritures d'événements se veulent plus ambitieuses. C'est le cas de Retour sur l'île mystérieuse. A la fin du jeu, Mina découvre le Nautilus du Capitaine Nemo. Cela est impossible si l'aventure se déroule des décennies après la fin de L'île mystérieuse de Jules Verne comme les développeurs le suggèrent. En effet, à la fin du roman, une éruption volcanique détruit l'île[7].

Le Nautilus retrouvé dans Retour sur l'île mystérieuse

En fait, les créateurs de Kheops Studio imaginent un subterfuge entre Jules Verne et le capitaine Nemo. L'explosion n'aurait été qu'un leurre pour conserver la paix du vieil homme misanthrope. Cette réécriture de la fin du roman de Verne se double donc d'une invention, une connexion entre la fiction et le réel, que l'on verra plus en détail dans la troisième partie de ce développement.

B) Un nouveau déroulement interactif

Certaines réécritures d'événements conduisent le joueur à remporter un jeu. L'événement détourné permet l'introduction de concepts ludiques. C'est le cas du jeu Le Tour du monde en 80 jours d'Anuman Interactive. Par exemple, l'enlèvement de Mrs Aouda[8] par Fogg et ses compagnons se déroule différemment par rapport au roman.


Un dialogue[9] introduit la vision du sacrifice humain de Mrs Aouda. Le texte prenant fin, le jeu propose au joueur de cliquer sur un bambou en surbrillance dans le décor et sur les fléchettes qui sont dans l'inventaire de Phileas Fogg. Après cette combinaison, le joueur doit cliquer sur les moines du décor qui correspondent à ceux visibles dans une barre en bas de l'écran. Ce jeu matérialise une attaque des moines par Fogg et ses compagnons à l'aide de fléchettes soporifiques.

Sauvetage de Mrs Aouda dans Le Tour du monde en 80 jours (Anuman)

Certains jeux se permettent une réécriture d'événements en sortant totalement du cadre du roman. Il n'est plus question de modifier légèrement le déroulement d'une péripétie mais d'en modifier également la tonalité.


Par exemple, le jeu 80 jours propose lors du passage d'Oliver en Amérique, à San Francisco, de visiter une fête foraine. Dans cette fête, Oliver s'attaque à des Indiens au cours d'une attraction. L'interlude est bouffon et dénote avec le caractère grave de l'attaque des Sioux, l'événement détourné du roman de Jules Verne[10].


Réécrire un événement de roman dans le cadre d'un jeu vidéo peut donc se faire à la fois de manière passive ou interactive. Via des dialogues ou des jeux, de nombreux développeurs s'amusent à détourner les romans de Verne pour amener les récits vers d'autres possibilités. Il peut aussi bien s'agir d'un nouveau déroulement que du prolongement d'une scène existante.

III)Prolongement de scènes

Tout en gardant intacts plusieurs événements, certains jeux adaptant les romans de Jules Verne se permettent de prolonger quelques scènes.

A) Enrichir une scène existante

Dans le jeu 20 000 lieues sous les mers d'Anuman Interactive, les développeurs reprennent à l'identique la scène de plongée sous-marine conduisant les protagonistes du roman sur les restes de l'Atlantide. A un moment l'expédition, composée entres autres du Capitaine Nemo et de Pierre Aronnax, se retrouve à proximité d'un volcan. Tous les personnages sont en combinaison de scaphandrier et observent les vestiges de la cité engloutie ainsi que le volcan à proximité. Un texte renseigne le joueur sur la progression de l'histoire : « C'était un volcan jonché de ruines et de forêts pétrifiées par le temps ! Mais qu'était donc cette portion du globe engloutie par les cataclysmes ? ».

20 000 lieues sous les mers d'Anuman Interactive

Seulement, au lieu de s'arrêter ainsi et d'expliquer, comme dans le roman, que l'expédition retourne au Nautilus, les développeurs prolongent la scène. Dans le roman, le narrateur fait mention d'éruptions de lave du volcan. Les développeurs reprennent ce postulat mais imaginent également des projections se dirigeant vers l'expédition sous-marine. Le joueur doit alors cliquer sur ces projectiles pour atteindre un certain score et remporter la partie. L'histoire reprend après cela sa progression par le texte.


Ainsi, les péripéties des romans font parfois naître d'autres péripéties qui y sont accolées et qui amènent souvent la naissance de concepts ludiques. Certains événements font eux l'objet d'un changement non plus au niveau du déroulement mais des conséquences.

 

%A9oludiques/121393444645752