Après analyse, il semble clair que la notion de transmédia est une notion trop large pour être définie avec précision. Il y a de nombreux courants, de nombreuses interprétations qui s'opposent à l'intérieur de cette idée. De ce fait, le terme de « transmédialité » correspond plus à l'étude qui sera menée ici. Le chercheur Sébastien Genvo utilise cette expression pour parler « d'emprunts transmédiatiques » ou « d'échange transmédiatique »[1]. Autrement dit, on parle ici de la réutilisation de contenus d'un média à l'autre. Il s'agit là d'une vision du transmédia transposable au travail de réflexion qui sera mené dans ce mémoire.

Sébastien Genvo


En cherchant sur différentes bases de données universitaires ou catalogues en ligne de bibliothèques[2], on constate une relative absence d'études sur le sujet. Il n'y a qu'une thèse d'Anna Gunder, Hyperworks : on digital literature and computer games, qui consacre une partie[3] de sa réflexion à l'étude de l'adaptation du roman de J.K. Rowling, Harry Potter et la pierre philosophale, en jeu vidéo (Electronic Arts, PC[4]). De même, en cherchant[5] dans les études réalisées à propos de l'œuvre de Jules Verne, aucune ne mentionne un travail portant sur l'adaptation du romancier en jeux vidéo.

Anna Gunder

C'est pour cette raison qu'une telle étude semble pertinente. L'absence de travaux de réflexion conduit à un vrai manque. Pourtant, le jeu vidéo est un média de plus en plus populaire[6]. C'est également un mode d'expression qui trouve progressivement sa place dans le champ universitaire[7].

Les premiers jeux vidéo basés sur l'œuvre de Jules Verne remontent à la fin des années 1980. En interrogeant le site mobygames.com[8], The Authoritative Video Games, une des bases de données américaines les plus exhaustives en la matière[9], on peut découvrir une longue liste de jeux s'inspirant, plus ou moins, de l'œuvre de Verne. Cette énumération[10] permet de constater que les jeux vidéo s'inspirèrent de Jules Verne quasiment dès leur début et que cette inspiration dépassa les frontières de la France.

Ne pouvant traiter toutes ces adaptations, il fallut faire un choix. Une des raisons motivant le corpus de cette étude concerne la disponibilité des produits. Comme pour tout média, chaque jeu vidéo connaît des périodes de commercialisation. Lorsque les jeux sont anciens et en dehors du marché, certains font l'objet de rééditions, d'autres sont simplement oubliés. Dans le cas de notre étude, de nombreux titres, datant des premiers micro-ordinateurs (période Atari ST par exemple), étaient inaccessibles ou injouables sur les ordinateurs actuels[11]. Des émulateurs permettant de jouer à ces vieilles machines existent mais ces derniers sont illégaux si l'on ne possède pas les jeux originaux. Seulement, l'achat de ces derniers est très souvent prohibitif du fait de leur rareté. Il fallut donc écarter ces jeux faute de pouvoir les traiter. Les œuvres étudiées sont trouvables actuellement ; soit sous la forme d'un support physique, soit dématérialisées[12]. De plus, les jeux choisis fonctionnent sans problème sur des ordinateurs récents.

Atari ST

L'autre restriction du corpus concerne la nationalité des développeurs. Il était intéressant de se focaliser sur des développeurs français afin de voir comment ces derniers pouvaient adapter une partie de leur propre patrimoine dans le monde du jeu vidéo[13]. Le studio Kheops Studio[14] est basé actuellement à Paris. Il s'agit de la société à l'origine du jeu Retour sur l'île mystérieuse et Voyage au cœur de la Lune. Le studio Frogwares[15] a réalisé les jeux 80 jours et Voyage au centre de la Terre. Bien que basé actuellement en Ukraine, le fondateur du studio, Waël Arm, ainsi que les premiers collaborateurs sont Français. D'ailleurs, le nom de l'entreprise vient de l'expression « froggies »[16], désignant pour les pays anglo-saxons les Français.

Waël Arm

Ainsi, du fait de ce foisonnement d'adaptations en jeux vidéo, l'œuvre de Jules Verne semble propice à une analyse comparée mettant en regard la littérature et le jeu vidéo. Même si l'objet de cette étude ne concerne pas une possible narration transmédia s'appuyant sur des médias convergents, comme l'évoque Henry Jenkins par exemple, l'adaptation des romans de Verne en jeux vidéo reste un cas de transmédialité aussi riche que neuf. Il demeure pourtant la question de l'angle d'approche. En quoi peut-on analyser ces productions à la fois littéraires et vidéoludiques ? Les Voyages extraordinaires de Jules Verne sont des romans d'aventure aux multiples péripéties, mêlant fiction et vulgarisation scientifique. De quelle manière les développeurs de jeux vidéo peuvent-ils s'emparer de ce matériau très classique voire daté du fait d'un didactisme propre aux grandes entreprises du XIXème siècle ? Plus précisément, et c'est là toute la problématique de ce mémoire, la transposition de l'univers de Jules Verne sur le média numérique incite-t-elle à la fidélité ou au détournement ?

Les Voyages extraordinaires de Jules Verne

L'étude qui va suivre se déroulera en trois temps. Une première partie se concentrera sur les reprises fidèles par les jeux d'éléments des romans de Jules Verne. La seconde se focalisera sur les détournements du matériau d'origine dans ces jeux. Enfin, la troisième partie analysera la part d'invention que se permettent les jeux vidéo par rapport aux récits du romancier français.

Il s'agit donc d'une étude en trois parties nous permettant de valider ou non les hypothèses avancées dans la problématique de cette réflexion. Chaque partie développera des analyses sur les différents jeux du corpus, chacun apportant sa propre vision de l'adaptation des romans de Jules Verne.

 


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