On parle souvent du Japon comme d'un pays alliant la tradition et la modernité. Un pays sachant compter sur la scène internationale, économique et culturelle, sans trahir son âme, son identité. Les Japonais seraient repliés sur leur culture, refusant tout apport de l'extérieur, imposant sans concession leurs visions des choses au monde entier via des productions diverses comme les jeux vidéo ou les mangas. Malgré cette posture identitaire, les Japonais sont-ils véritablement, dans leur politique d'achat, les conservateurs chevronnés d'une culture ancestrale ? Premier élément de réponse avec cet article.


Puiser dans la culture des autres

Afin d'avoir une première réponse, il semble intéressant de s'attarder sur les meilleures ventes de jeux vidéo d'une année au Japon. On peut penser, a priori, qu'un peuple ayant une si haute estime de sa culture va légitimement privilégier celle-ci dans le cadre d'une consommation de biens culturels. L'année 2009 va servir de base pour cette étude. Plusieurs titres du classement seront analysés afin de voir, au final, si les résultats concordent avec la vision que l'on peut avoir du peuple japonais.


 

Dragon Quest IX

Dans le haut de ce top de l'année 2009, on retrouve le gros succès de la DS : Dragon Quest IX (4 089 136). Pourtant, ce titre signé Level-5 a pour cadre un monde médiéval, voire d'heroic-fantasy, fantasmant une Europe imaginaire. Le joueur retrouve des épéistes, des lanciers. Les villages font très vieille France voire vieille Angleterre la plupart du temps. On tient là une synthèse de cultures européennes de l'ouest. En aucun cas, ces jeux ne s'imprègnent de la culture asiatique.

Le seul élément révélateur de l'identité nippone des créateurs : le character-design. Akira Toriyama en a la charge et reproduit sa patte si appréciée depuis Dragon Ball ou Docteur Slump. Et pourtant, il y aurait à redire tant les gros yeux, les grandes tailles, ce que l'on appelle bien rapidement « l'esthétique manga », exacerbent des caractéristiques physiologiques européennes ou plus largement caucasiennes.

Autre gros succès de la DS en cette année 2009 : Pokémon Cœur d'or et âme d'argent totalisent les 3 301 873 unités vendues. Pourtant, là encore, quand on regarde l'univers du jeu, on se rapproche plus d'un futur américano-européen que d'une saillie asiatique. Les monstres du bestiaire sont des déformations d'animaux réels et non une mise en avant d'un folklore national. L'architecture des lieux est propre à une ville industrialisée insérée dans le système des flux mondialisés.

On passe maintenant à la Wii avec 1 897 089 de jeux écoulés pour New Super Mario Bros. Héros mythique s'il en est, Mario n'en demeure pas moins un plombier italien. Tous les personnages qu'il rencontre, ainsi que les univers qu'il traverse, sont à mi-chemin entre l'imaginaire des contes (bien souvent européens comme ceux de Grimm ou d'Andersen) et la douce absurdité quasi onirique qu'aime à distiller Miyamoto. Là encore, point de trace de culture nippone.

Une des épreuves de Wii Sports Resort

Toujours sur Wii, on relève la présence de Wii Sport Resort (1 499 058). Il s'agit d'une compilation de plusieurs disciplines sportives. On retrouve des compétitions se déroulant dans des lieux assez impersonnels car non marqués par le sceau d'un quelconque pays. Un environnement de montagne, une plage, etc. Seul le kendo, un sport parmi tant d'autres, nous renvoie au pays du Soleil Levant.

On passe maintenant à la PS3 et à la 360. Le succès nippon de ces deux consoles n'est autre que Final Fantasy XIII (1 455 505 pour la PS3). Pourtant, dans ce nouvel opus de la longue saga de Square-Enix, le joueur est plongé dans un univers futuriste lorgnant fortement du côté du Star Wars de George Lucas (les cinéphiles me diront que c'est un juste retour des choses, que Lucas s'est lui-même inspiré de La Forteresse cachée de Kurosawa pour créer sa saga). On trouve des robots (des boules volantes), des soldats futuristes, de grands vaisseaux à la Star Trek, bref un univers se rapprochant bien plus de références américaines que nippones.

Du côté des consoles portables, on dénombre un peu moins d'un million pour Monster Hunter Portable 2nd G, l'épisode PSP (878 880). S'il y a bien une licence qui est une valeur sûre là-bas, c'est bien elle. Seulement, le monde que développe le jeu s'inspire pour beaucoup de peuples nordiques, des Inuits, ou encore, d'une tradition (déformée certes) chevaleresque très européenne. Là encore, malgré quelques rares détails, rien ne reflète véritablement l'identité du pays des développeurs.

On pourrait poursuivre encore longtemps cette longue liste des meilleures ventes avec des titres comme Inazuma Eleven 2 et sa mise en avant du football (malgré l'esprit fou-fou très nippon, il s'agit d'un sport par essence européen) ; Mario Kart et son univers si singulier (mêmes remarques que pour New Super Mario Bros sur Wii) ou Professeur Layton et son héros très anglais. Seules exceptions, Drum Master sur Wii (jeu de taïkos, tambours japonais) ou encore Dynasty Warriors : Strikeforce même si on est plus du côté de la mythologie et de l'Histoire de la Chine que du Japon.

Drum Master, sur Wii

Jeux « identitaires » ? Des flops assurés ?

Okami sur Wii

A l'inverse de ces succès majoritairement non marqués par la culture japonaise, on est étonné de voir que lorsque des développeurs proposent des jeux très nippons (pour les références utilisées par exemple), le succès n'est pas vraiment au rendez-vous. Il n'y a qu'à regarder les faibles ventes d'Okami et de Muramasa sur Wii. Des succès modestes pour ne pas dire mitigés.

Dans la liste des meilleures ventes de jeux vidéo en 2009 au Japon, on ne trouve pas de titres très porteurs de la culture insulaire. Il y a bien quelques jeux s'imprégnant d'éléments culturels japonais comme Kingdom Hearts 358/2 Days sur DS ou Yakuza 3 sur PS3 mais ces titres ne se hissent pas au niveau des dix meilleures ventes et ne sont pas forcément les meilleurs porte-étendards de la culture nippone. Avec Kingdom Hearts, on trouve un cross-over entre des icônes de la culture pop japonaise et les personnages de Disney. Yakuza 3 est déjà plus symbolique du Japon même si l'on reste plus dans une vision contemporaine (croquis quasi sociologique de certains quartiers ou villes). Tout de même, un peu plus de 500 000 ventes pour Yakuza 3, c'est peu en comparaison des 4 089 136unités vendues du médiévaliste Dragon Quest IX, numéro un du top.

Conclusion

Le jeu vidéo est un média populaire au Japon, même si l'on parle depuis quelques années d'un déclin des ventes. Le premier constat à faire est qu'on ne retrouve pas dans l'espace numérique cette vision du Japonais étriqué, replié sur lui-même et sa culture. Au contraire, les jeux vidéo de ce top font preuve d'ouverture à force d'emprunts, même si souvent déformés, à des cultures tierces comme celles provenant d'Europe ou des États-Unis.

Les Japonais sont insulaires et ont une haute estime de leur identité, ce qui n'empêche pas la reprise d'éléments extérieurs pour le domaine de la création. La contradiction semble plus apparente que réelle. Une posture identitaire ne veut pas dire un rejet des cultures tiers. Il est possible de vouloir protéger une certaine homogénéité raciale tout en réutilisant les inspirations des autres. La cohérence d'un peuple, ou pour parler rapidement les questions d'immigration, n'est pas à confondre avec les intérêts de créatifs.

Il serait intéressant, afin de faire suite à cette première réflexion, de comparer d'autres années afin de voir si les jeux identitaires sont moins fédérateurs que des jeux plus universels, gommés de cultures nationales. Si ces jeux accusent un déclin ou non. On pourrait même aller plus loin et voir si la production de tels titres est, quantitativement, faible ou raisonnable par rapport à des productions plus « classiques ».

La question de l'exportation d'un produit joue forcément sur la production du produit. Si l'on juge qu'on ne pourra pas exporter tel jeu parce qu'il est culturellement trop marqué, il faudra regarder si la quantité mise sur le marché, raisonnablement plus faible qu'un Mario par exemple, trouve son public.

La réflexion qui se profile est dense et passionnante mais ne sera pas menée en l'espace d'un billet de quelques pages. Tout ceci nécessite quelques approfondissements. Ce premier article n'en constitue pas moins une ouverture salutaire.


L'article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=200:reflexions-les-contradictions-nippones&catid=35:reflexions&Itemid=29

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