La « durée de vie » d'un jeu est une expression que tout joueur rencontre régulièrement dans les écrits de la presse spécialisée. D'ailleurs, au-delà des journalistes professionnels, c'est presque l'ensemble des blogs amateurs qui semble contaminé par cette grille de lecture. Lire un test est, généralement, une épreuve difficile. La progression est balisée, la réflexion formatée. L'approche du jeu se réduit à quelques données quantifiables, on pourrait presque faire une opération mathématique. Il y a les graphismes (720 p, 1080 p natif, etc.), le descriptif des modes et, entres autres, la fameuse durée de vie. Le testeur lâche l'information se fiant à une sorte de canon. Si le jeu est en-dessous de la norme, il perd des points.  Le plaisir de jouer à un jeu vidéo est-il résumable à un chiffre ? Le palier avancé par le testeur suffit-il à concrétiser le plaisir a priori ?


Une histoire de chiffres

 


 

I) Quand j'étais enfant


La Nintendo Entertainment System (NES)

Enfant, je découvris mes premiers frissons interactifs avec la NES ou la Game Boy de Nintendo. Asterix, Mario et un jeu de catch au nom oublié étaient pour moi l'occasion de m'amuser, seul ou à plusieurs. A aucun moment, durant ces jeunes années, je ne me suis demandé si la durée de vie du jeu que j'essayais était correcte, bonne ou mauvaise. Je jouais et, d'une certaine manière, appréciais sur pièce.

Le seul critère, c'était le plaisir. Le plaisir de prendre la manette et de s'amuser avec mon personnage, de gagner ou, le plus souvent, de surmonter un obstacle. Comme beaucoup d'enfants, je ne finissais pas vraiment mes jeux à l'époque et pourtant, le plaisir demeurait. Alors, pourquoi aujourd'hui un tel engouement pour la durée de vie d'un jeu ?

Plusieurs raisons me viennent à l'esprit. D'une part, je ne suis plus un enfant. J'ai un travail qui m'apporte un salaire et des obligations comme tout homme responsable et indépendant (appartement, assurances, etc.). Alors forcément, je n'ai plus la même vision qu'avant. Acheter un jeu, en dehors du PC et des smartphones, demande un investissement de plusieurs dizaines d'euros. Du coup, acquérir un titre n'est pas un acte anodin. Ce n'est pas une action que je puisse répéter des dizaines de fois dans le mois.

Jouer au jeu vidéo, légalement, reste un loisir onéreux, surtout en comparaison avec les autres arts. Le cinéma offre des tarifs privilégiés (dimanche matin, salles spécialisées : Utopia, Printemps du cinéma...), la littérature reste abordable (format poche, bibliothèques...) tout comme la musique (spotify pour l'écoute en ligne, promotions de grands magasins type Fnac...). Avec Internet, jouer est devenu plus abordable, plus abordable ques les boutiques spécialisées du style Micromania, mais le coût reste en général assez conséquent pour un modeste salaire.

Du coup, l'âge est un argument. Comme la partie que j'alloue à mes loisirs n'est pas extensible à l'infini, donner quelques dizaines d'euros pour un jeu amène à une certaine attention à la durée de vie. On attend forcément un retour sur investissement correct. Je pense que c'est le cas de nombreux joueurs. Soucieux de jouer le plus possible au plus bas prix.

II)  L'impasse du +

Mais est-ce bien judicieux de réclamer toujours plus ? Toujours plus de temps de jeu ? J'ai comme un doute. En quoi avoir deux, trois heures de plus voire dix serait un gage de qualité ? Sous prétexte que le jeu propose des modes, des missions annexes et autres éléments de ce type, le joueur est-il certain de prendre du plaisir ?

Glissons un temps du côté de la cuisine, une métaphore culinaire semble nécessaire. Vous souhaitez acheter une entrecôte chez le boucher. Vous regardez les produits et choisissez un modèle. Le boucher pèse puis en pèse encore un autre. Les deux n'ont pas le même poids. Soucieux d'en avoir « pour votre argent », vous jetez votre dévolu sur l'entrecôte au poids le plus conséquent. Ainsi, dans votre esprit, vous aurez plus de plaisir culinaire qu'avec l'autre morceau de viande, plus petit.

Une entrecôte sans trop de gras

Pourtant, après cuisson, vous vous rendez compte que votre entrecôte, bien qu'énorme, est bourrée de nerfs, de gras. Vous enlevez ces partis indésirables et vous vous retrouvez avec un morceau de viande finalement plus petit que celui non désiré à la boucherie, ou alors, votre ressenti est finalement mitigé puisque le goût de la viande fut altéré par ce gras indélicat.

Sous cette métaphore culinaire, on comprend que la taille n'est pas une condition absolue, et a priori, de plaisir. Taille de la viande à manger ou taille de la durée de vie du jeu. Au contraire, à vouloir trop en mettre, à gonfler artificiellement ma viande de gras ou mon jeu de modes insipides, j'en perds presque toute notion de plaisir. Alors qu'une viande plus petite mais de meilleure qualité m'aurait permis d'apprécier pleinement mon repas, ou mon jeu qui se serait concentré sur l'essentiel quitte à ne durer « que » quelques quatre-cinq heures, je me retrouve avec un goût amer dans la bouche.

Le plaisir ne se calcule pas avec des comptes d'apothicaire. Il semble absurde d'ériger des normes pour tel ou tel genre, telle ou telle époque. Un jeu est bon car il offre une narration intéressante, des interactions ludiques et ingénieuses avec l'univers fictif proposé, des personnages qui ont du corps, un plaisir qui sait se maintenir stable tout au long de l'aventure, etc.

Cinq heures de jeu peuvent vous laisser un souvenir bien plus fort et durable qu'un jeu deux ou trois fois plus long pour un même genre. Certains développeurs ont la fâcheuse tendance à étirer les bonnes idées pour gonfler artificiellement cette fameuse durée de vie. Rockstar, par exemple, ne cesse d'utiliser les mêmes trucs pour contenter le fan qui veut « plein d'heures » de GTA.

Du coup, on se retrouve avec des missions répétitives (une dizaine de missions à la gatling dans Red Dead Redemption, etc.) ou, pour le dire un peu moins gentiment, l'on constate progressivement l'épuisement des quelques schémas proposés par le jeu : la mission de protection, d'infiltration, les courses-poursuites de voitures...le tout étant repris jusqu'à la lassitude la plus extrême.

Mission de Gatling dans Red Dead Redemption

Je ne veux pas refaire la même mission avec des personnages différents. Cela peut arriver mais cela doit être justifié et surtout il ne faut pas en abuser. Le jeu Alan Wake a de bonnes idées mais au lieu de nous proposer une aventure de sept heures au maximum, les développeurs arrivent au double en enchaînant les phases de shoot (redondantes, fatigantes). Court et bien pensé vaut mieux que long et bancal.

Le bon retour sur investissement n'est pas celui d'un grand nombre d'heures pour un certain prix mais plutôt celui d'un plaisir de haute volée pour un jeu payé. Ne jugeons que le plaisir et conduisons notre attention sur des considérations artistiques (développement des personnages, système de narration, travail esthétique...) plutôt que sur des détails techniques de comptable. Le plaisir peut émaner de bien des façons.

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