En 1993, le créateur Kazuhiko Hachiya proposait une installation onirique et étrange. Son nom, Inter Discommunication. Une affaire d'ailes, de casques et de déambulations virtuelles/réelles.

 

Le concept

Cette installation nécessite un binôme. Deux braves cobayes s'équipent d'un casque de réalité virtuelle et d'ailes à accrocher dans le dos (l'un porte des ailes noires, l'autre des ailes blanches). Grâce au casque intégral que chacun porte, les deux participants échangent leurs champs de vision et d'audition. Chacun voit et entend comme s'il était l'autre. Les casques contiennent deux moniteurs et une caméra vidéo. Les participants portent également un sac à dos qui contient une batterie, un tuner TV et un transmetteur.


Disséminés dans une pièce vide, les participants cherchent à se retrouver. Seulement, un sentiment de gêne est rapidement développé. On se sent comme transgressant le corps de l'autre. Cette pénétration auditive et visuelle est une vraie violation de l'intime. Et puis, du fait d'un tel système, chaque acteur est déstabilisé puisqu'il doit s'accommoder d'un décalage entre son propre corps et ses sens, faussés.

L'idée

Avec une telle installation, Hachiya nous questionne sur notre vision du monde, en déplaçant notre subjectivité sensorielle dans un autre corps. Autrement dit, en troquant notre subjectivité pour celle d'un autre nous nous mettons à réfléchir sur ce qu'est la subjectivité et sur la possibilité de créer une pensée objective.


Avec la vision et l'audition d'un autre, je perçois différemment une même situation. Il n'y a pas de vérité unilatérale, juste des perceptions. Mais entre ces perceptions, on peut dresser des ponts, trouver des similitudes.

Des ailes et des mangas

Les ailes dans le dos des participants renvoient à l'image d'anges cybernétiques. On peut retrouver une telle inspiration dans des mangas type steampunk comme Armitage par exemple. L'ange bricolé est une sorte d'icône dévoyé. Il n'est plus pur, baigné d'une lumière blanchâtre et irréelle, mais organique et mécanique à la fois, naturel et factice. Un véritable assemblage. Une sorte de vision divine improbable et presque grotesque qui se base sur les résidus de l'humanité (objets jetés, cassés...). L'ange que l'on incarne dans Inter Discommunication est de cette catégorie. De chair et de technologies.

Les ailes, noires et blanches, ne sont pas un choix innocent. Cette bipolarité a une connotation religieuse. Hachiya nous présente une vision manichéenne, le Bien et le Mal. Des symboliques qui tranchent, par leur netteté, avec les corps des anges. Ces derniers incarnant à merveille la synthèse et donc le mélange.

De plus, sous ce manichéisme se cache un réel plus complexe. On veut nous faire croire à une segmentation aisée à comprendre, l'antagonisme religieux, mais la réalité en est tout autrement. Nos impressions se mêlent à celles de l'autre, ce qui rend délicat notre jugement et notre capacité à apprécier une situation. On ne peut pas affirmer une chose ou une autre, on doit simplement s'accommoder de ce double niveau de perception composé de l'acte physique et du ressenti d'autrui.

Jeux vidéo et casque de réalité virtuelle

Dans les années 90, même décennie que cette installation, le jeu vidéo s'emballait sur l'idée d'une réalité virtuelle expérimentable via un casque. On pensait alors que le futur des jeux vidéo passerait pas une immersion totale du joueur dans le jeu. Plus de projection par un avatar, avec la distance de la télévision, mais la fusion du corps réel et virtuel du fait du partage des ressentis et l'annihilation presque totale des barrières.

Casque de réalité virtuelle de Sony (2011)

Quelques essais se firent, rien de bien louable. Globalement, les rares créateurs misèrent plus sur l'esbroufe marketing du produit que sur le produit lui-même. Seulement, l'idée n'est pas morte. Et même si nous ne jouons pas avec des casques de réalité virtuelle, comme cette expérience dans Inter Discommunication, quelques créateurs n'abandonnent pas l'idée.

C'est pourquoi, en octobre 2011, Sony montra lors du Salon des jeux vidéo à Paris pour la première fois, en France, son casque de réalité virtuelle. Un casque permettant une plus grande immersion dans la jeu grâce à une qualité graphique et auditive de haut niveau. Seulement, avec son prix tournant autour de 800 euros, on peut difficilement parler de démocratisation de la chose.

Un autre essai, plus lointain, du casque de réalité virtuelle dans le jeu vidéo se fit avec Nintendo. Même s'il ne s'agissait pas d'un casque à porter, le Virtual Boy (1995) proposait une plongée forte dans l'univers d'un jeu puisque le joueur devait regarder par un espace dédié aux yeux, une sorte de jumelle. La machine fit un flop et cette esquisse, qui était aussi une tentative du jeu en 3D, du jeu vidéo par casque échoua.

Virtual Boy de Nintendo

Pour l'instant, le renouveau du casque de réalité virtuelle est timide, tout comme les ambitions artistiques de l'objet dans le monde du jeu vidéo. Au final, en dehors d'une meilleure qualité sonore et visuelle, le reste n'est que fantasme. On ne retrouve pas encore, comme dans Inter Discommunication, un jeu subtil sur les sens, une réflexion sur le ressenti. Le casque dans le jeu vidéo reste jusqu'à présent au stade de la progression technologique ascendante. Le futur nous préserve peut-être de plus belles choses.

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