Vous avez probablement entendu parler des serious games sans trop savoir de quoi il en retournait. En lisant un très bon article sur le sujet dans la revue Mediamorphis, consacrée alors aux jeux vidéo, je me suis décidé à vous proposer une sorte de condensé pour mieux comprendre ce pan du jeu vidéo.

Un schéma illustrant  les composants d'un serious game

 

 

Naissance et définition

Le jeu Hydro Hijinks

C'est en 2002 que la notion de serious game émerge. Par cette appellation, on désigne les jeux dont le but est de véhiculer un message sérieux. La plupart du temps, un message politique. Du coup, on a tendance à relever une opposition, qui à mon sens n'est que superficielle, entre les jeux traditionnels (le divertissement, du style Uncharted 3 et autres jeux testés dans les médias spécialisés) et ces titres plus matures..

Prenons un exemple concret. Le jeu Sim City vous propose de gérer une ville. Il faut donc s'occuper, entre autres, des canalisations et des usines d'épuration d'eau. Il s'agit ici plus d'une composante ludique que d'un réel problème que l'on pose au joueur. Dans Hydro Hijinks, un serious game, la gestion de l'eau s'inscrit dans une problématique plus vaste. Les droits d'accès à l'eau potable enrobés de rapports de force internationaux. Disons que, pour la faire courte, la différence se fait dans cette volonté d'inscrire dans la réalité, la nôtre, nos actions effectuées dans des mondes virtuels.

Du coup, comme les serious games cherchent à faire de la pédagogie, on joue pour apprendre, pour dresser diront les mauvaises langues. On pourrait comparer ce pan du jeu vidéo aux fameux logiciels ludo-éducatifs qui pullulèrent dans les années 90. Jouer oui mais jouer intelligent. Jouer avec un message derrière, une critique sociétale, économique...

Une distinction nécessaire

Les amateurs de serious games effectuent bien souvent une distinction qu'il ne faut pas oublier de mentionner. En fait, dans ce domaine du « jeu sérieux », on distinguera les productions indépendantes des productions publiques. Je m'explique.

Le jeu Peacemaker

Dans les productions indépendantes, on retrouve régulièrement la mise en scène de luttes politiques réelles. Les « sans » comme on a tendance à dire. Sans droits, sans abris voire les précaires. Les critiques que développent ces jeux sollicitent chaque joueur individuellement mais ne proposent jamais un espace collectif de contestation. Et pourtant, c'est la masse qui fait bouger les choses. L'esprit de groupe. « Prolétaires de tous pays, unissez-vous » comme disait Marx à la fin de son manifeste du parti communiste.

Certains théoriciens des jeux vidéo relèvent même une grosse contradiction dans ces productions. La reproduction d'un schéma qu'elles dénoncent. Autrement dit, malgré une critique de l'individualisme, le jeu proposé, n'agissant qu'à un niveau individuel, ne cherchant pas à créer des procédés d'union, est le produit de l'individuation et de l'atomisation du groupe. On peut critiquer cette critique en disant que la reproduction de schémas est justement un moyen de faire comprendre, sous la forme de mécanismes ludiques à s'approprier, au plus grand nombre en passant par le joueur seul. S'amuser, comprendre, réfléchir. Le reste n'est qu'une affaire de lent regroupement : 1 + 1...

En réalité, ces jeux amateurs dénoncent souvent l'inefficacité ou l'illégitimité d'actions politiques. Une sorte de populisme 2.0, de bon sens du peuple. Les productions publiques elles veulent la plupart du temps légitimer une action politique. Proposent ainsi une sorte de bras armé ludique, surfant sur la vague des nouvelles technologies et de l'engouement général pour les jeux vidéo. Comme exemple de légitimation d'une politique publique, on peut citer le besoin d'une coopération internationale dans le sens humanitaire du terme.

Évolution du marché

On parle de plus en plus d'une supplantation des jeux amateurs par ceux dits publiques. Tout cela résulte d'une standardisation qui peut s'expliquer par la compétence technique requise pour la création des jeux (de plus en plus difficile, demandant une équipe), les contraintes légales (droit de la propriété intellectuelle pour l'utilisation des moteurs de jeu) et le travail de lobbying des game designer regroupés autour de la Serious Games Initiative qui n'aspire qu'à une chose : la standardisation des marchés.

Pourtant, on ne peut que regretter cette standardisation. La professionnalisation de la chose peut apporter son lot de limites aux développements les plus en marge. Bien souvent, le message politique des jeux indépendants va à l'encontre de l'idéologie dite dominante : le libéralisme, le contrôle des médias... On peut citer par exemple le jeu Oiligarchy ou encore Mc Donald's Video Game.

Le jeu Oiligarchy

Intérêt du serious game

Le philosophe Habermas

On peut se demander au fond, et c'est bien la moindre des choses, quel est l'intérêt des serious games. La réponse est simple. Dans un jeu de ce type, un conflit politique est un enjeu contextuel de gestion pragmatique. Il suffit d'équilibrer les ressources du système présenté. Cette idéologie de communication s'incarne dans des impératifs de transparence (le game over est une mauvaise connaissance du système de jeu), de rationalité (mettre en équation les actions pour arriver à l'équilibre), et d'instantanéité (régler en une heure des siècles d'histoire).

En clair, des jeux comme les serious games permettent de rationaliser, et donc d'expliquer de manière schématique, les problèmes de notre réalité. Malheureusement, la petite critique que l'on peut faire à cette intention pourtant louable, c'est de verser dans la « scientificisation » du social (Habermas, 1973) et ainsi de dépolitiser ces problèmes. Une critique qu'on pourra battre en brèche en affirmant que la conscience politique est une affaire personnelle et qu'en soit ces jeux ne portent pas en eux la mort de l'acte militant. Tout dépend du joueur, de sa lecture du jeu et des conséquences qu'elles provoqueront en lui. Bref, l'homme est toujours plus surprenant qu'une loi suggérée. Ne l'oublions pas.

Conclusion :

Les political games, autre nom des serious games, ne peuvent être définis comme un média de masse traditionnel. Ce pan du jeu vidéo a vocation à développer des critiques intelligentes et ludiques sur des problèmes issus de notre réalité. Un moyen de réfléchir, débattre autrement que par le verbe. Encore faut-il que ces productions gardent leur indépendance et ne se retrouvent pas sous la coupe de ministères ou de partis politique. Disons pas exclusivement.

Merci à la revue Mediamorphis pour l'aide qu'elle m'apporta à la rédaction de cet article

L'article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=159:reflexions-introduction-aux-serious-games&catid=35:reflexions&Itemid=29

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