Fragile Dreams avait su capter notre attention dès les premières images diffusées. Jeu étrange, survival déformé, on se demandait bien ce que pouvait donner cette singulière production. Après de longs mois d'attente, nous pûmes essayer le jeu. Au final, un bon jeu, avec malgré tout des faiblesses et une fin calamiteuse.

 

 

 

Un univers délabré et mélancolique

Les fameuses affiches du métro

L'univers de ce Fragile Dreams est assez surprenant. En aucun cas, le soft ne cherche à jouer la carte de la surenchère en ayant recourt à quelques effets gore. Au lieu d'utiliser des environnements glauques où la crasse, le gluant et le sang se marient à merveille, Fragile fait dans la subtilité et préfère suggérer la décrépitude.

Chaque lieu a sa tristesse d'une certaine manière. Le métro abandonné où les affiches jaunissent comme les sols se fragilisent, le vieil hôtel où les chambres portent encore les signes des derniers occupants. La profonde mélancolie du jeu se développe grâce à cet univers d'abandon, de « fin de race » qui entoure le joueur tout au long de sa progression. Des lieux toujours délabrés mais jamais dévastés.

On sent qu'il y eut de la vie dans tel ou tel endroit. Une vie plus ou moins récente. Cette fête foraine respire presque. On a en fait un peu l'impression que le temps s'est arrêté brusquement alors que la vie battait son plein et que tous les êtres vivants sont partis...ailleurs.

Par l'utilisation d'un filtre bleu/gris, le soft poursuit sa volonté de créer un univers atypique. Déstabilisant car non prévisible. La lettre du vieil homme, mort il y a peu, que l'on découvre au début de l'aventure participe là encore à cette étrange mélancolie qui gagne le joueur. Un monde dévasté sans que l'on sache pourquoi. Qui conserve à la fois une patine de cette vie antérieure et l'ombre terrifiante de la mort.

Entre Lynch et l'horreur à la japonaise

Un homme-animal digne d'un film de Lynch

Avec Fragile, les développeurs s'amusent à nous proposer un univers où s'entremêlent des influences autant asiatiques qu'américaines. Le jeu de Tri-Crescendo mise avant tout sur une ambiance, un climat dans lequel viennent s'inscrire un sentiment de tristesse et de déliquescence. Le bestiaire du titre va fortement emprunter aux films d'horreurs japonais. Entendez par là l'esthétique de productions comme The Ring, Dark Water ou The Grudge.

C'est pourquoi, dans une chambre d'hôtel lambda, on croisera au hasard des jeunes filles en suspension dans les airs, baignant dans des robes en dentelle. Ces garces volantes vous tourneront toujours le dos et sangloteront entre deux rires grinçants. On pourra également croiser des jambes d'enfants dont le reste du corps n'existe plus. Ne subsiste qu'une vague protubérance ressemblant à une fumée solidifiée. De salles gosses courant, disparaissant sans cesse et n'hésitant pas à vous botter les fesses si vous n'êtes pas assez attentif.

A un autre moment, dans les décombres d'une station de métro abandonnée, le joueur se faufilera dans le couloir serré d'un wagon désertique. Des mains chercheront à nous attraper. Élastiques, blanchâtres, elles nous renvoient là encore à cette matérialisation très nippone de la peur.

Seulement, Fragile Dreams, bien que japonais, ne se restreint pas au folklore national. De façon aléatoire, on croisera à plusieurs moments durant notre périple un vendeur ambulant entièrement déguisé. L'homme pousse un landau garni de vieilleries et porte sur sa tête un masque géant de poulet. L'homme-animal renvoie ici à cette hybridation, autant symbolique que visuelle, qu'aime à utiliser le réalisateur David Lynch. Véritable incarnation d'un monde oscillant entre le réel et l'onirisme, représentation frappante d'une certaine vision du fantastique.

Le mystère et l'ambiance

Durant tout le jeu, on se demande quelle est la raison qui pourrait expliquer le vide des lieux que l'on traverse. Les seuls êtres rencontrés sont des chats (bien vivants mais non humains) et des fantômes. Il n'y a que lors de l'exploration de l'hôtel abandonné que le joueur tombe sur un être humain, dame très âgée respirant encore mais faiblement, allongé sur un lit. Seulement, cette rencontre est de courte durée. Après quelques paroles susurrées, la vieille femme meurt tranquillement.

Le mystère englobe donc le titre de Tri-Crescendo. Un mystère malheureusement dévoilé de manière brutale, qui ne provoque que la déception, à la toute fin de l'aventure. Une fin à oublier tant les révélations, et cette volonté de boucler la chose d'une certaine manière, n'apportent rien à l'expérience, au contraire.

Un objet qui nous livre ses secrets

Revenons plutôt à notre mystère. C'est bien cette suspension qui fait la qualité du titre. A côté de cette désertion non expliquée, aucun humain n'est visible, excluons la vieille dame qui n'est qu'une apparition fugace, mise à part la jeune fille aux cheveux d'argent qui a plus l'allure d'un rêve qu'autre chose. Ainsi donc, plus que des rencontres avec d'autres êtres humains, précaires voire irréelles, les développeurs nous proposent de récupérer de nombreux petits objets dispersés ici et là. Des vestiges de ces vies antérieures qui occupèrent les lieux que l'on foule. Ces petites choses qui se rattachent à des existences lointaines sont inconnues du joueur jusqu'à ce qu'il trouve un feu. C'est à la lumière de ce feu de camp que l'objet mystère se dévoilera entièrement.

Ce jeu, subtil malgré le manichéisme qui colle à une telle image, entre la lumière et l'obscurité est touchant. C'est autour de ce halo, faiblard et mouvant, qu'assis en tailleur on découvre ce qui était encore enfoui dans quelques coins sombres. Dans une pièce, au bout d'un couloir. Une lumière qui dévoile l'objet, concrètement, et les souvenirs qui s'y rattachent, cette abstraction qu'est la mémoire. Un ensemble qui suggère la fragilité. Fragilité du feu qui révèle, de ces vies rapidement tombées dans l'oubli, de ces objets déjà obsolètes.

Une angoissante solitude, une parole salvatrice

 

Seto et son assistante


Au cours de l'aventure, on constatera que le jeune héros questionne régulièrement l'assistant personnel qu'il a ramassé. Il s'agit d'une machine accrochée à son dos. A chaque étape importante, l'enfant se met à lui parler. En rassurant l'assistant, le jeune garçon se rassure lui-même. Il explique qu'ils sont unis, qu'il va bien, qu'il n'y a pas à s'en faire car il est là, qu'il veille. Cette angoissante solitude du monde exploré amène à une nécessité de dialoguer, parfois même sans retours. Il faut briser ce lourd silence qui enveloppe ces terres désolées, quitte à monologuer.

On peut également voir dans cette solitude, qui commence dès le début de l'aventure avec la mort du tuteur, le vieil homme qui nous héberge, une quête identitaire ou plus précisément un voyage initiatique pour sortir de l'enfance. Le jeune homme que l'on est, couvé par l'ancien, se voit désormais livré à lui-même. Ses déambulations lui permettront de trouver des repères, de se forger un caractère en surmontant des obstacles. Se construire sur les ruines d'un monde fait d'obscurité, une tâche bien délicate.

La résilience ou comment rebondir après la mort


L'une des thématiques que Fragile Dreams traite intelligemment n'est autre que la question de la résilience. Pour les psychologues, comme Boris Cyrulnik, la résilience c'est cette capacité à se remettre de la mort d'un être cher. Je résume bien entendu. Autrement dit, se reconstruire après avoir subi un acte aussi destructeur que la disparition d'une personne importante à nos yeux. Une perte de liens, bref d'une partie de nous-mêmes.

Le jeu démarre par l'annonce de la mort de votre tuteur. Un vieil homme astronome. Vous vous retrouvez ainsi dans un observatoire vide, le lit du vieillard est défait mais aucun corps ne s'y trouve. Dans la bibliothèque, vous découvrez une lettre. Il s'agit des adieux, touchants, du vieil homme.

Le jeune Seto doit donc se reconstruire. Faire cet acte de résilience, accepter la mort pour ne pas sombrer dans la dépression et donc l'inaction, bâtir de nouveau sur ces fondations ébranlées. Dans ce lieu vide et lugubre (l'observatoire), le jeune Seto se sent, fort logiquement, mal à l'aise. Sa thérapie à lui consiste à partir à la découverte du monde, à rechercher un alter ego.

Au lieu de pratiquer l'ascétisme et le dépassement d'un tel état par l'attente, le jeune garçon part à la recherche d'un idéal matérialisé. Il a perdu son protecteur, il en cherche un autre. C'est pour cela que, dès les premières minutes de l'aventure, lorsqu'il découvrira la jeune fille aux cheveux argentés il n'aura de cesse de la poursuivre. Par son irréalité (pas de nom, une couleur de cheveux inhabituelle pour un enfant), la jeune fille incarne cet idéal. Cet autre nécessaire à la reconstruction de soi.

Mais ce phénomène psychologique qu'est la résilience se voit développé à d'autres moments dans le jeu. Comme, par exemple, lors de la « mort » de l'assistant personnel à la sortie du métro. Sa batterie arrivant à son terme, l'assistant s'éteint. C'est un second être qui trépasse près de Seto et donc un second besoin de rebondir pour se reconstruire.

La tristesse du jeune garçon se voit dépassée par la volonté de poursuivre un idéal mais également par le recours au fétichisme. Seto conserve dans sa poche une vis du robot après son trépas. Une manière symbolique de porter près de soi, et continuer à faire vivre, cet être et donc cette amitié révolue.

Des souvenirs en pagaille

Au cours de l'aventure, le joueur découvrira des petits objets déjà évoqués plus haut. Ces petits riens sont le seul moyen pour le joueur d'en savoir un peu plus sur les vies passées qui emplirent ces lieux jadis. Des couples qui se déchirèrent, des familles recomposées où la tension était palpable...autant de petites histoires gravitant comme les planètes du système solaire autour du soleil. Donc autour de l'histoire de Seto.

Ainsi donc, une bouteille de soda rappellera le souvenir d'un enfant se remémorant ce goût unique qu'il aimait tant ; un ballon de baudruche à plat évoquera l'abandon d'un enfant lors du voyage. On a même droit à un collier, celui d'un chien, nous renvoyant aux sentiments du canidé consolant son maître.

Grâce à cette narration fragmentée, le joueur est libre de partir ou non à la collecte de ces petits objets. Libre de chercher à en savoir plus sur ces déchirures passées, ces existences meurtries qui renvoient forcément à celle du pauvre Seto. Soigner sa propre douleur, tromper sa solitude en essayant de se repaître des douleurs des autres.

Mention

Commentaire :

Fragile est un jeu étonnant sur bien des points. Un jeu d'ambiance, intelligent dans son propos si on oublie la dernière heure de jeu. Les problèmes, c'est tout d'abord le gameplay. Poussif et rigide, on a l'impression que les développeurs ne savaient pas trop quoi proposer aux joueurs. Autre problème, j'y reviens, la dernière heure de jeu. Clairement, l'heure de trop. L'heure qui vient plomber l'expérience vécue jusque là. Le titre devient redondant, inutile et atrocement difficile. On n'en voit pas le bout. Mieux vaut donc oublier cette fin, qui déçoit plus qu'autre chose, et se concentrer sur l'avant. En bref, le meilleur.

L'article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=154:chronique-fragile-dreams-wii&catid=29:wii&Itemid=28

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