La notion de chef d'œuvre oublié relève autant du fantasme que de la réalité. Il est de vrai qu'il est assez croustillant de penser que le patrimoine d'un domaine artistique renferme, dans des coins sombres et oubliés, quelques pépites qui ne demandent qu'à revoir un peu le soleil. Qui ne s'est pas demandé un jour si la littérature française ne contenait pas un deuxième Balzac ? Si le cinéma ne possédait pas, dans des archives poussiéreuses, quelques films d'un Clouzot ignoré ?

C'est un fantasme bien légitime que celui-ci, un fantasme qui semble reposer autant sur une envie secrète de découvrir quelque chose que les autres n'ont pas vu que sur un désir profond d'accéder à ce que l'on fit de mieux dans tel ou tel domaine. Kid Dracula se rapproche grandement de cette idée du chef d'œuvre oublié. Œuvre de Konami bourrée de qualités avec une identité forte, elle méritait bien une chronique.

 

 

 

I) Dérision, parodie et clins d'œil

Un peu de parodie

Après une première sortie sur NES, Kid Dracula revint sur Game Boy dans une nouvelle version. Les crocs affutés, le vampire court sur pattes apporte avec cet opus adapté aux joueurs nomades quelques savoureux éléments d'autodérision.

« Homme de valeur est celui qui sait se moquer de lui-même », c'est un adage que l'on pourrait attribuer aux développeurs de chez Konami. Castlevania bat à l'époque des records de vente et s'installe en peu de temps comme une nouvelle licence phare pour le créateur japonais. Se payer la tête de sa nouvelle poule aux œufs d'or est aussi tentant que risqué.

Kid Dracula renverse complètement le postulat de départ de la série Castlevania. Ici, on ne chasse pas le comte Dracula, au contraire on l'incarne. D'ennemi numéro 1, le suceur de sang le plus célèbre devient ainsi un véritable héros. Ce retournement constitue le volet parodique du jeu, la dérision vient elle du fait que l'on ne contrôle pas le comte mais plutôt son fils. Un vampire à la bonhommie certaine faisant plus penser à un sale gosse qu'à un seigneur de la nuit.

Emprunts et détournements

Couverture du one shot Cowa d'Akira Toriyama

Le bambin aux canines acérées fait penser à un personnage issu de l'univers d'Akira Toriyama. Une bonne bouille, des quenottes, des cheveux dressés sur la tête et une certaine bonhomie. C'est dans le one shot Cowa qu'Akira Toriyama développe un personnage type semblable sur bien des points au Kid Dracula. Même si esthétiquement les deux héros sont différents, ils incarnent une même tendance parodique du vampire (une copie carbone inversée du Dracula originel : grand, terrifiant...).

Mais revenons au jeu lui-même. Konami se joue de ses propres licences à tel point que le développeur japonais réutilise des éléments du level-design de la série Castlevania dans Dracula Kid. La parodie se fait ici dans la minutie la plus complète, emprunts et détournements sont de la partie.


Les pièges par exemple, éléments marquants des aventures de la famille Belmont, sont toujours présents dans Kid Dracula mais prennent parfois, contrairement à son modèle, des allures de bouffonnerie. Les embûches sont loufoques et bien que dangereuses ne produisent pas le même effet sur le joueur. On est terrifié à l'idée de perdre un peu de vie face à une fleur géante au style cartoon, pas de l'ennemi lui-même. Le signifiant (la fleur) ne provoque plus la crainte mais au contraire le rire. C'est le signifié auquel il renvoie (la mort) qui inquiète. Un décalage loufoque et subtil.

Le bestiaire lui aussi se retrouve plus ou moins déformé. Tous les dangereux ennemis que le joueur rencontrera aborderont ainsi un air cartoon. De quoi désarmer la sauvagerie et la violence des monstres à abattre du jeu modèle. Grâce à de tels pas de côté, Kid Dracula se fait petit à petit un nom. Il se libère de l'empreinte étouffante de la saga Castlevania pour mieux, si j'ose dire, voler de ses propres ailes.

Le héros, enfin, subit également les foudres du détournement. Le jeune Dracula est en effet un vampire peu orthodoxe. Il se ballade en plein jour, jette des boules de feu et ne boit pas la moindre goutte de sang. On tient là une véritable réécriture des codes existants. Konami détourne intelligemment le modèle qu'il avait auparavant construit.

Anachronismes et petites absurdités

Quelques éléments du level-design viennent achever cette lente gestation du titre. Des anachronismes voulus, de tendres absurdités qui viennent se glisser au milieu d'un univers stéréotypé. C'est ainsi que le joueur pourra découvrir, entres autres, des ascenseurs futuristes, des bateaux pirates volants et  même des fêtes foraines au détour d'un niveau.

Jason Voorhees

La douce absurdité dans laquelle flotte le jeu de Konami se confirme avec les boss que l'on affrontera au fil de l'aventure. Kid Dracula combattra par exemple un clone de Jason Voorhees (le tueur de Vendredi 13), vivant dans une cabane en bois et tirant des coups de chevrotine. A un autre moment, notre héros à la cape noire ira en découdre avec un fantôme à la barbe blanche, esprit quasi sénile. Autant d'absurdités et de douces moqueries permettant aux développeurs de prendre une salutaire distance avec les poncifs du genre.

II) Des pouvoirs et un classicisme efficace

Une structure classique

En dépit d'un univers parodique et décalé, Kid Dracula n'en demeure pas moins un jeu de plateformes très classique. Le joueur retrouve les traditionnelles phases de saut, les réflexes primordiaux à avoir face aux ennemis. En résumé, rien de nouveau au soleil. La structure semble aussi solide que classique mais cela ne gêne à aucun moment. L'intérêt du jeu ne se niche pas là.

Des pouvoirs intéressants

Le jeune vampire redécouvre tout un tas de pouvoirs au fur et à mesure de sa progression, c'est là que le titre prend son ampleur. L'idée des pouvoirs est loin d'être neuve mais est ici particulièrement bien traitée. Ainsi, à chaque nouveau monde abordé le seigneur en culotte courte se voit doter d'une nouvelle capacité.

Après les traditionnelles boules de feu, le jeune Dracula pourra également marcher au plafond, se transformer en chauve-souris ou même ouvrir un parapluie pour se protéger de projections comme des blocs de pierre (encore une fois, l'humour doucement absurde n'est jamais loin).

Les différents obstacles obligent le joueur à switcher en permanence entre les nombreuses capacités du jeune héros. A partir de ces possibilités, ce sont de véritables stratégies que l'on élaborera pour battre tel boss ou passer telle embûche. C'est en particulier face aux ennemis que ces tactiques de pacotille deviennent efficaces. Terrasser un grand vilain peut se faire selon une technique bien précise mais libre à vous d'emprunter d'autres chemins (plus ou moins ardus).

III) Des phases de jeu variées

Mini-jeux en série

Dernier élément clef du titre de Konami, la variété de ses phases de jeu. Histoire de briser la monotonie qui peut facilement régner dans un jeu de plateformes, le développeur japonais incorpore à son aventure quelques mini-jeux.

Chaque fin de niveau nous propose de choisir un jeu. Le choix n'est pas entièrement nôtre puisqu'il dépend du libre arbitre d'une sorcière mirant sa boule de cristal. La boule donnera ainsi accès au jeu sélectionné.

Certes ces petites récréations ne sont pas nombreuses mais demeurent globalement réussies et amusantes. On se prend facilement au jeu, à tel point qu'on en redemande. Mais l'intérêt de telles ruptures ne réside pas que dans un plaisir purement ludique mais également dans le fait qu'elles permettent au joueur de gagner quelques vies.

Chaque jeu coûte dix pièces d'or, il est d'ailleurs possible de gagner quelques piécettes avant même de tenter sa chance. Ce petit plus hausse encore un peu la difficulté et pousse le joueur à bien réfléchir. Ici, on ne donne pas de vies comme dans les autres jeux, on doit les mériter. Et le mérite passe autant par l'argent que la compétence du joueur.

Mention

Commentaire : Kid Dracula ne connaîtra pas de grand destin comme ces modèles qu'il a parodiés avec malice. On ne peut que regretter ce choix de Konami qui tenait pourtant là un héros charismatique et capable de servir aux développeurs de joyeux défouloir. Mais n'enterrons pas trop vite le jeune vampire, après tout on dit bien que ces gens là sont immortels.

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