Fin de règne et décadence

La grande force de Shadow of the Colossus, c'est son ambiance. Mot un peu passe-partout, il prend pourtant tout son sens dans cette production de Fumito Ueda. L'ambiance se construit, petit à petit, par divers médias, divers sens mis à contribution. C'est le bruit sourd du vent qui semble parcourir ces plaines sans fin qui nous font face, quasiment jamais obstrué par un obstacle. Ce sont également ces vestiges de temples, sorte de mausolées, où l'on prie/sauvegarde, couverts de lierre qui donnent la sensation de parcourir un monde sur le déclin, « fin de race », presque mort. Comme si l'on redécouvrait les traces d'une grande civilisation, à la veille de son trépas.


Le fait de chevaucher seul ces immenses plaines, ce monde désertique, rajoute à la mélancolie présente par essence dans ces lieux. Seul au milieu de cette ambiance de mort, le joueur au fond ne remplit qu'une mission : donner la mort. Donner la mort à des colosses, certes dans l'espoir de redonner la vie, donc ajouter un peu de noirceur à ce tableau déjà bien terne.

Tuer n'est pas fun

Le cœur du jeu reste l'affrontement des colosses, seulement la mise en scène qui accompagne le combat et celle qui annonce le terrassement d'un des géants sort du cadre elliptique, nerveux, stylisé censé nous montrer que la mort d'un boss, forcément difficile, est fun et donc que cette débauche visuelle est en quelque sorte une récompense.


Ici, point d'éclatements, de pulvérisations excessives, de giclées orgiaques de sang (la veine Doom d'ID Software), tout se fait dans la retenue. Un plan large en général pour montrer le lieu du combat, le colosse, et une scène au ralenti lorsque le dernier coup a été porté. La mort est comme un recueillement. Elle est nécessaire, par rapport à la quête initiale de notre héros (ramener à la vie son amour), mais en même temps cruelle, profondément triste.

Les géants ne sont pas belliqueux comme dans de nombreux jeux. Le monde parcouru n'est pas rempli de monstres hautement hostiles dont l'affrontement n'implique aucun questionnement moral. On tue car sinon c'est la mort qui nous attend. Dans Shadow of the colossus, les colosses ne viennent pas vous agresser. C'est en rentrant sur leurs terres voire les temples qu'ils protègent qu'ils se réveillent et s'en prennent à nous. D'un coup, l'aspect moral, et a priori justifié, en prend un coup. Qui est le monstre ? Celui qui souille une propriété ou celui qui réplique à cet affront ?

Comme une tragédie grecque

La fin du jeu, le terme de cette histoire d'amour difficile, a tout de la tragédie grecque. Notre héros, après avoir terrassé tous les colosses, se retrouve possédé par les esprits des dieux qui l'avaient guidé à ce génocide en règle. Un pion, nous n'avons été qu'un pion au service de puissances supérieures. Comme dans une tragédie grecque classique : le jouet des dieux.


Un autre élément vient souligner ce combat perdu d'avance, la scène au cours de laquelle, transformé en monstre noir, notre héros se voit happer par une puissance occulte émanant de notre épée gisant alors au fond d'une mare. C'est la fin et l'on aura beau lutter, rien n'y fera, nous sommes condamné. Le joueur peut marcher à contre-courant de cette aspiration démentielle, peut même s'accrocher aux quelques marches qui le séparent du trou béant qui l'engloutira, rien n'y fait. Agir ainsi ne fera que retarder l'échéance.

Il faut baisser les bras, la fatalité se joue là. Tout d'abord jouet des dieux, puis incapable de triompher des êtres qui cherchent à nous condamner dans ce temple, enfin happé par une puissance supérieure. Le joueur est prisonnier dans un gameplay à sens unique, stérile dans ses actions comme le héros, victime de la fatalité.


L'épique dans le combat

Chaque combat est un moment intense, en moyenne on passera environ vingt à trente minutes sur un même colosse. Le mot « épique », pourtant galvaudé, se comprend ici dans son sens initial. D'une part, parce que l'affrontement est tragique dans son dénouement comme expliqué  plus haut mais aussi parce que la lutte qui s'engage entre notre héros et un géant n'est pas une mince affaire. Un combat difficile.

Il faudra déjà atteindre le lieu du combat, pas toujours simple d'accès, parfois caché, parfois en hauteur. Le simple fait d'arriver jusqu'à un colosse est parfois une épreuve en soit. Comme le géant qui se trouve sur une plateforme de pierre au milieu d'un lac et qui nécessite, pour l'atteindre, de gravir une sorte d'escalier ancien, à moitié cassé, de sauter sur une plateforme pour enfin atteindre la large coupole où se déroulera le combat.


Face à ces géants, notre personnage semble fragile. Il lui faut gravir ces colosses, s'agripper tout en faisant attention à ne pas lâcher prise à cause de la fatigue. Le combat mêle ainsi équilibres délicats (le héros titube, tombe...), pauses pour récupérer, explorations à la recherche de points faibles (plusieurs parfois) et coups d'épée. Un programme long, harassant, qui permet, du fait de sa durée par exemple, de faire ressentir toute la difficulté de la tâche au joueur.

Mention :


Commentaire : Shadow of the colossus est un jeu quasi-unanimement louangé...à raison. Beau, poétique, puissant comme une tragédie grecque, touchant dans sa fragilité, la production de Fumito Ueda réussit à concilier le beau et l'intelligent dans un jeu qui, dans son remake HD, n'a rien perdu de sa superbe.

L'article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=131:chronique-shadow-of-the-colossus-ps3&catid=3:ps3&Itemid=28