Le second volet de l'étude "spiritualité et jeux vidéo" aborde, dans cet article fleuve à faire pâlir un sauron1968, le thème du capitalisme libéral. Est-ce que les jeux vidéo de gestion, comme The Sims ou Theme Park, qui se focalisent sur l'idéal capitaliste d'accumulation de possessions ou de fortune, peuvent aussi nous enseigner une leçon spirituelle ? Comment comprendre que Tout ne se ramène pas qu'à une taille de "High Score" ?

 

 

 

 

Les jeux de stratégie et de simulation comme la série des Sims, Theme Park, Rollercoaster Tycoon, Sim city, etc. ont souvent remporté un succés populaire auprès des joueurs qui se plaisent à construire des univers virtuels à partir de rien. La progression de cette construction est assurée par des outils adaptés à pour satisfaire la double quête principale du jeu, centrée sur l'accumulation d'une richesse et l'expression créatrice du joueur : de l'argent, des visiteurs de parc, des habitants d'un ville, des passagers d'un train, un nombre d'amis, de fiancées, de chiens morts, un nombre de points combinant divers élements... Sans accumulation, le jeu stagne : et le joueur s'ennuie.

 

  • Quand les Sims ont la grosse tête :

    Dans The Sims 2, le joueur commence en créant un individu ou une famille imaginaire, et se voit par défaut hérité de 20000 simoleons, l'unité d'échange Siméenne. La somme étant relativement faible, le joueur n'a donc pas le choix : pour éviter de stagner, et donc pour voir son univers de fantasme évoluer, il doit jouer le jeu de l'accumulation.
    D'abord accumulation d'argent, qui est ensuite convertible en biens de possession : mobiliers ou amitiés. La quête de l'univers virtuel est donc l'amusement permanent, et l'acquisition de nouvelles sources de distraction devient alors le but du joueur. Le jeu devient une mise en scène, un spectacle, pour faire oublier l'ennui. Paralèlle intéressant avec le philosophe français Guy Debord, qui avait décrit dans son livre La Société du Spectacle paru en 1967 : « Le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.» Le spectacle est donc autant présent dans les Sims à travers les symboles et jauges utilisés pour représenter les relations que dans une certaine représentation de notre société capitaliste. Ainsi, il a décrit dans ce livre les mécanismes du capitalisme en tant que Jeu illusoire, celui du spectacle.

    Le sevrage d'origine dans les Sims oblige le joueur à chercher du travail dans les journaux. En se pliant une discipline de fer, le personnage virtuel développe alors de nouvelles capacités (intellectuelles, musculaires, culinaires, poitrinaires, etc.) qui sont exploitables non seulement dans sa vie personnelle, celle de la liberté des relations de voisinage, mais aussi la vie professionnelle. Des bonus apparaissent au fil de l'évolution du perso dans la maîtrise d'un sujet particulier : à chaque level up, il valorise son atout en bonus d'argent. A l'instar du formattage capitaliste moderne, la quête d'accumulation des savoirs (suivre des études, appartenir à des groupes influents détenants le couple informations / pouvoirs) est donc au coeur de la quête de possession de richesse du capitalisme. Le savoir en tant que culture devient un capital profitable et valorisé. « La culture, devenue intégralement marchandise, doit aussi devenir la marchandise vedette de la société spectaculaire » écrivit Debord.

    L'impressionnante série des Sims avec ses nombreuses extensions dévoile d'une part la créativité des développeurs de jeux (ajout de nouveaux métiers, de nouveaux endroits pour rencontrer des amis, de nouveaux animaux de compagnie, des indispensables nouveaux poêles à bois, de nouveaux meubles comme le pertinent pack Ikéa, etc.). La convergence entre les deux univers, réels et virtuels a bien eu lieu. Le capitalisme est rentré dans le jeu à travers l'innovation de produits, et le renouvellement perpétuel du désir de consommation. Le capitalisme possède-t-il le vidéoludisme, ou est-ce l'inverse ? Autrement dit : notre monde réel, celui du spectacle, est-il un jeu multijoueur à la Sims, s'appelant capitalisme ? Une théorie maintes fois abordée par les geeks les plus intégristes, et qui trouve quelques éléments de réponse dans le jeu du même nom : ce jeu de gestion sorti en 1995 qui s'appelle Capitalism. Le capitalisme s'est-il inspiré de ce jeu (il n'y a aucune preuve de son existence avant 1995, mais le doute scientifique est possible à cause des incertitudes liées à la datation au carbone 14). Le débat ne peut pas être tranché objectivement puisque la question de "qui est apparu avant qui" existe depuis Platon... Alors là, je prends donc carrément position et j'annonce : je crois que c'est la poulet qui est arrivé avant l'oeuf.

    Capitalism 2 sorti en 2001, sous-titré : "Le Jeu de Stratégie Ultime d'Argent, de Puissance et de Richesse". La théorie du Tout à portée de main du charmant JR Ewing qui prend sa pose Dallassienne... Vivement le troisième épisode mentionnant le Sexe et la Drogue, indubitablement dans les cartons des jeux à tester par le DrRotule.

  • Theme Park, la théorie des attracteurs :

    Dans le sympathique Theme Park (cf. ma critique) de Peter Molyneux à l'époque Bullfrog, années 90, le joueur doit construire un parc d'attractions et se voit doté d'une parcelle de terrain vierge et d'un paquet de brouzoufs : le rêve du grand ouest sauvage à dompter comme un étalon breton est alors à portée de clic. Acheter des "attractions" (dont le nom à lui seul souligne l'aspect mystérieux), employer du personnel, gérer des stocks de marchandises, virer les incompétents, mater les grèves : la partie n'est pas une mince affaire. Devenir un manager efficace, optimal, accro au clic, est la nécessité de la victoire. La satisfaction d'attirer les foules comme un gourou illuminé qui aurait entendu des voix extra-terrestres en est la récompense méritée. Quant au processus de renouvellement, il est assuré par la Recherche et Développement, assurant de créer de nouvelles attractions, nouveaux désirs, prêts à attirer les clients statistiquement les plus chiants. Donc toujours plus de challenge pour le joueur qui s'ennuie. La quête n'est plus l'accumulation d'une monnaie dans sa poche, mais l'accumulation de la foule dans son royaume du divertissement.

    L'exploitation abusive de machine entraîne des accidents techniques et humains. Malheureusement le jeu est peu réaliste car il est impossible de tuer ses propres clients et employés.

    La notion de "stratégie" est souvent mentionnée dans les aides et les FAQ de jeux vidéo de gestion. Ce terme est identiquement abordé dans les grandes écoles de commerce et les entreprises côtés sur les marchés mondiaux. Ainsi, il ne serait pas impossible de démontrer qu'un cours de Marketing Industriel et Finance Internationale serait pompé sur la soluce de Risk : mais je prierais le lecteur de GameKult de ne pas perdre son temps avec cela. Cette similarité évidente nous rappelle simplement la puissance des mathématiques : une stratégie n'est qu'une étude de fonctions qui permet d'extrapoler, selon les données connues à l'instant présent, l'évolution de la partie. La prédiction dans le futur devient alors possible. Pour accumuler un max et s'en mettre plein les fouilles, il n'y a pas de secret, il suffit en théorie de connaître toutes les variables de la fonction... ce qui confère à un stratège d'avoir une conscience déterministe du monde : il s'élève au rang de prêtre prêchant la vérité capitaliste, à l'instar des unités d'évangélistes jouables dans Civilization. Le Jeu de l'accumulation n'est pas exclusivement axé sur la valeur "argent", et passe aussi par le "nombre de personnes qui adhèrent en une idée". Si la peur peut surgir à l'évocation de cette adhésion des foules à forte connotation totalitaire, il suffit de se remémorer les paroles du père du capitalisme, Karl Marx pour trouver l'espoir de changer les choses : "Une idée devient une force lorsqu'elle s'empare des masses". Si cette idée évoque les totalitarismes du XXe siècle, une lecture de l'allemande Hannah Arendt avec Les origines du Totalitarismes couplé à un visionnage des épisodes des Bisounours (Die Glücksbärchis en allemand) nous rassurera : la paix est toujours possible même en temps de totalitarisme, car le déterminisme des prophètes manipulateurs peut être décrédibilisé.

    Risk, créé en 1957, est doté de vertus thérapeutiques puisqu'il soigne les pulsions de domination globale.

    En effet, le connaissance de tous les mécanismes de l'environnement qui est certes possible mais difficile dans les jeux vidéo, devient clairement absurde dans la vie réelle : le déterminisme scientifique étant mort depuis le siècle des Lumières et enterré depuis la connaissance des Lois du Chaos. Est-il raisonnable de croire en la météo sur 10 jours (ou 1 seul jour si on habite en Normandie) ? Il devient presque trop simple de démontrer que le capitalisme en tant que science est naturellement une escroquerie. Pour éviter de tomber dans cette évidence qui achèverai ma carrière de blogueur aussi violemment que celle de Jordy, j'emprunterai donc à un grand gourou le bon vocabulaire. Le respectable et ô combien honnorable Alan Greenspan qui, comme son nom l'indique peut être, est tout sauf un ami de Greenpeace : ancien président de la Banque Centrale des États-Unis, il clairement été nommé dans les milieux de la finance "l'oracle de Wall-Street". Il a écrit dans son livre le plus abouti, Le temps des turbulences : "l'économie n'est pas une science exacte, il existe une grande part d'intuition". Or l'intuition est la connaissance spontanée de la vérité, sans l'intervention du raisonnement. Donc le capitalisme n'est pas rationnel. Donc c'est n'importe quoi ! Donc c'est inutile d'en avoir peur. Donc ça suffit cette mascarade, rebellons nous ! Ou mieux, amusons-nous ! 

L'article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=105:reflexions-spiritualite-et-jeux-video-le-capitalisme-liberal-partie-12&catid=35:reflexions&Itemid=29