Il arrive un moment dans la vie d'un homme où le jeu vidéo ne présente plus l'attraction de son enfance. J'y suis depuis un an, j'ai le plus grand mal à m'investir corps et âme dans une aventure qui me semble, à mesure que les obligations professionnelles et sentimentales se font insistantes, d'un intérêt ludique éphémère, ou bien d'une vacuité artistique et intellectuelle sidérante.

Les jeux vidéos ont bercé mon enfance, accompagné mon adolescence, aujourd'hui ils parviennent avec peine à me distraire.

J'ai cru d'abord à une phase passagère, enfin à un abandon inéluctable synonyme d'une nouvelle étape dans ma vie : je devenais un adulte.

J'ai réfléchi sur les causes de ce désamour, mais il m'a fallu rebrancher mes anciennes consoles pour en tirer des analyses concrètes.

 

 

Premièrement, la technique s'est considérablement enrichie, les moteurs graphiques ne limitent plus la créativité des développeurs et les productions sont d'envergure hollywoodienne. Pourtant il manque à la plupart de ces jeux une mise en scène. Les plans fixes, la recherche esthétique dans le cadre, la composition autour du personnage qui faisaient la force d'un Resident Evil 2 n'existent plus dans les survival horror. Le joueur n'est plus prisonnier de l'espace créé par les développeurs, il le dirige au même titre que les mouvements du héros. Autant qu'une bande sonore, la mise en scène participe de l'atmosphère qui se dégage d'un univers. Même dans Silent Hill 2 où la caméra est plus ou moins libre en mouvements circulaires, elle conserve une certaine indépendance dans son rapport au personnage (décentrée, en plongée etc.). La tendance à recentrer la caméra sur le personnage, à l'inexpressivité de l'espace, a profondément modifié la relation entretenue entre le joueur et l'univers vidéoludique.

Resident Evil 2  /  Silent Hill 2

Deuxièmement, alors que les jeux sont de plus en plus courts, ils ont perdu la notion du temps. Le mot d'ordre est de ne plus laisser le consommateur s'ennuyer une seconde, des scripts se déclenchant dès qu'une action est accomplie pour en relancer une aussitôt. L'action a phagocyté l'exploration au détriment du développement du scénario, qui devient une toile de fond, un prétexte à un tsunami de combats sans fins. C'est le cas de la série Uncharted, où malgré la réussite des phases d'exploration et de plateforme, le joueur passe plus de temps à tirer dans tous les sens qu'à rassembler les pièces d'un puzzle. A quoi bon s'investir dans un scénario s'il est réduit à l'état de cinématiques n'ayant pour seule fonction que d'établir une transition entre deux séquences de castagne. L'hyperactivité du personnage, la démesure quantitative d'ennemis à abattre, la répétition de schémas guerriers, à défaut d'immerger le joueur, n'ont pour effet qu'un appauvrissement de l'intensité scénaristique et par là même de l'aventure, dont la nature cérébrale, affective et imaginaire est bradée au profit des pulsions reptiliennes.

Enfin, ces deux évolutions, d'une part l'absence de mise en scène à travers l'expressivité de la caméra, et d'autre part la rentabilisation du temps par une dynamisation de l'aventure au détriment du développement scénaristique, ont fluidifié les genres traditionnels du jeu vidéo pour en édulcorer leurs spécificités contemplatives et les unifier au sein du paradigme de l'action. C'est le cas de Resident Evil 5, Dead Space, Alan Wake et Mass Effet qui sont fondamentalement des jeux d'action - des jeux de tir - habillés d'une surcouche d'aventure, d'horreur ou de jeu de rôle.

Jeu de tir 1 / Jeu de tir 2 /Jeu de tir 3 / Jeu de tir 4

Deux contre-exemples me viennent toutefois à l'esprit. Heavy Rain, œuvre cinématographique, assume la mise en scène, en ce qu'elle appuie le caractère des personnages et restitue une vision de l'espace propre à l'imaginaire des développeurs. Aussi, la contemplativité de l'aventure prend le contre-pied des productions actuelles en permettant au temps et à l'espace d'installer leur univers et non pas seulement d'être un champ de tir.

Demon's Souls prend lui la défense du jeu de rôle, malmené par des scénarios et personnages infectes et des combats à répétition sans intérêt. Le scénario est minimaliste, obscur et mystérieux, tandis que l'aventure en elle-même est flegmatique, nécessitant de la part du joueur une appréciation constante de la situation et une immersion totale dans un univers labyrinthique où chaque affrontement restitue l'intensité du combat entre la vie et la mort. Pas d'esbroufe, mais une alchimie qui transforme le plomb en or.

Heavy Rain / Demon's Souls

Ces constatations - sans aborder le sujet de la stagnation de genres tels que la plateforme ou la baston depuis une décennie - m'amènent à comprendre les ressors de mon éloignement progressif du jeu vidéo contemporain. Des productions relancent parfois mon intérêt, mais il est vrai que je regrette une époque où la limitation technologique semblait protéger le juste équilibre entre gameplay et scénario, entre action et contemplation.

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