Depuis le succès foudroyant du premier Guitar Hero sur PS2 (2005 aux Etats-Unis), un nombre incroyable de clones est venu creuser la brèche. La série à la guitare en plastique a constitué en quelques années une famille nombreuse, peu après Rock Band est arrivé pour titiller ce beau monde et prendre un peu de parts de marché. Du coup, assez vite, le secteur du jeu musical a connu la saturation. Du rock à l'électro, tous les domaines étaient exploités pour faire raquer un peu plus le gogo. Accessoires multiples, déclinaisons sur toutes les plateformes existantes ou presque de chaque opus. Un trop plein qui n'apportait rien de plus à la formule originelle si ce n'est quelques billets aux éditeurs opportunistes.

Guitar, Hero

Let's rock !!!

 I) La mimésis absolue ou la pauvreté créative

Ce billet ne sera pas l'occasion d'une critique de cet opportunisme mercantile de la copie, du clone sans saveur, de l'ultra segmentation des morceaux en une foultitude d'épisodes (peu de titres pour beaucoup de volumes et donc beaucoup d'argent), des DLC onéreux à la longue (cher le titre), de cette focalisation encore opportuniste sur des groupes anciens ou récents pour rajouter de nouveaux volumes à la formule traditionnelle (Queen, Beatles...)...

Bref, au lieu de critiquer cette machine financière (tous ces procédés pour générer des petits revenus qui à la longue sont colossaux), attardons-nous plutôt sur l'aspect purement créatif de ces jeux en regardant précisément plusieurs points. L'esthétique, le gameplay et le « récit » ou plutôt l'univers. Penchons-nous et analysons en détail les soft musicaux de cette génération avec ceux de la précédente,  pas avare (même si la copie à la limite de l'overdose n'existait pas encore) non plus pour alimenter le genre.

Actuellement, et donc depuis cette explosion Guitar Hero (phénomène culturo-financier majeur de cette génération de consoles, même si la saga commence sur PS2, le premier opus, dès le second la série prend son envol avec les consoles HD et la Wii. Les casual gamers trouvent là une vraie religion ; jeu festif, incroyablement communautaire, pas complexe à prendre en main du fait des accessoires...), on constate une volonté d'imprimer une mimésis presque absolue aux jeux musicaux. Autrement dit, l'envie, par des accessoires toujours plus nombreux et développés (guitare, batterie, micro, platine de DJ...) de se passer du pad (codification geek, complexe pour le profane et connoté no life) pour avoir une sorte de guitare, simple d'accès (là est la limite de la mimésis, son accessibilité. Impossible avec une vraie guitare donc rupture brutale avec le réel imité).

rock, band

Chant, guitare...il y a de tout

Cette imitation du réel, de faux instruments similaires formellement aux vrais, passe par une codification pour que le ludique demeure. La pratique de la guitare est loin d'être une partie de plaisir, au début, il faut bien se plier à cette cruelle phase qu'est l'initiation. L'apprenant devra assouplir ses doigts, mémoriser et réussir des combinaisons d'accords, déchiffrer une tablature avant de passer aux partitions, etc. Un apprentissage qui nécessite un investissement et donc un effort, des ratés, d'éternels recommencements. La douleur avant la maîtrise.

L'objectif est donc de faire vrai sans les contraintes du vrai, d'où la codification. Une codification qui se résume à une guitare sans cordes (pas de mal aux doigts, pas l'embarras de la corde bien pincée...), avec de gros boutons (plus faciles à toucher, plus simples pour les combinaisons : pression plutôt que pincement), colorés (ludiques et facilement identifiables contrairement aux cordes en nylon, toutes similaires), un bidule à chatouiller (une sorte de pression à la place du grattage des cordes, éminemment complexe selon le rendu sonore que l'on veut obtenir. Peau, ongle, la surface pour gratter peut varier).

Il en va de même pour la batterie où il suffit de taper n'importe où sur les cymbales, encore une fois de couleur pour bien les différencier, contrairement à la réalité où l'endroit de réception du bâton a son importance. Grâce à ces accessoires, le jeu se rapproche du réel, une mimésis presque parfaite.

Seulement, à part une codification bien pensée, le gameplay n'a rien de bien original, pas vraiment créatif. On reste dans un décalque, plus ou moins fidèle, du réel. C'est à peu près tout. Exit la créativité, encore plus avec la série des clones, à quelques micro-détails près, de la matrice Guitar Hero.

Pas de créativité non plus du côté de l'esthétique. Mis à part un traitement cartoon des musiciens pour la série des jeux musicaux rock, Guitar Hero ou Rock band. Ces deux séries phares jouent la carte du plan-plan. Quelques modélisations de stars, anciennes ou récentes, et c'est tout. On reproduit des jeux de caméra type concert, des mimiques de rockeurs enflammés et dodo.

Ne parlons même pas de l'environnement. Certes, les quelques vannes et clins d'œil à l'univers du rock, entre l'hommage et l'ironie, durant les écrans de chargement d'un Guitar Hero III par exemple sont de bonnes initiatives mais n'apportent rien de vraiment créatif. Un décalque, une fois encore, plutôt bien pensé mais rien de plus. Aucun récit, aucun environnement véritablement travaillé.

II) Un pad et une créativité foisonnante

Lors de la génération précédente, nos consoles de salon n'étaient pas encore obsédées par la manne de l'accessoire, la mimésis quasi absolue, mais plus la codification à partir de la contrainte. Cette contrainte, le pad. Cet objet charnière entre le réel et le virtuel, cette médiation physique pour l'immatériel, voilà à partir de quoi les jeux musicaux se bâtiront. Sans prendre plus, sans rien rajouter. L'accessoire basique que se réapproprie chaque jeu, quelque soit le genre auquel il se rattache.

Plusieurs titres pour plusieurs exemples.

. Parappa the Rapper 2 :

Parappa, 2, rappeur

Parappa est un sentimental au fond

Parappa the Rapper 2, c'est avant tout une histoire d'amour contrarié et une invasion de nouilles chinoises. En premier lieu, ce qui marque, c'est le travail esthétique. Comme des personnages de papiers, fraîchement découpés, les protagonistes évoluent dans un monde entre la 3D et le plat belge. De là naît un sentiment de bizarrerie. Cet univers enfantin d'un premier abord est en réalité férocement absurde dès qu'on s'y plonge.

Un univers qui a du cachet doublé d'un vrai récit, sorte de parodie de l'éternelle conquête de l'alter ego féminin associée à un hommage aux films catastrophes kitsch comme L'Attaque de la moussaka géante l'a fait pour le cinéma. Les nouilles envahissent dla ville, même les hamburgers sont infestés. A côté de cela, les personnages loufoques s'enchaînent comme le karatéka/oignon qui nous offre une leçon d'amour à base de tatanes. D'ailleurs, il n'est pas surprenant de lire sous la plume d'Alexis Blanchet, Des Pixels à Hollywood, que le design du jeu a été réalisé par un artiste américain, Rodney Greenblatt, graphiste reconnu. De quoi souligner, une fois de plus, l'effort créatif fourni (faire appel à un créateur extérieur au monde du jeu vidéo).

Le gameplay lui fait dans la simplicité, c'est une question de timing. Une pression au bon moment sur les boutons ou les gâchettes, les combinaisons se complexifiant au fur et à mesure. Mais plus que le gameplay, pour rester dans le cadre musical, la force du titre ce sont ses chansons. Il s'agit d'un rap hautement narratif, presque littéraire, davantage dans le récit que la musicalité (le flow est presque toujours le même et ne propose pas de grandes innovations de chanson en chanson). Humour, développement de l'univers...les utilités de ces chansons sont multiples.

. Gitaroo Man :

Gitaroo, Man

Le pouvoir du kitsch et du rock jap

Gitaroo Man baigne lui aussi dans une esthétique très singulière. On est plus du côté du Japon et de sa bouffonnerie kawaii, les protagonistes adoptent un style volontairement naïf entre la découpe grossière et le visage figé. Les couleurs sont criardes, s'enchaînent avec la joie du mauvais goût parfois. On frise l'épilepsie à tout moment.

L'univers, soutenu par cette esthétique, est tout aussi délirant. Un jeune garçon, ordinaire et qu'on suppose introverti, se projette dans un univers parallèle dans lequel il pourchasse avec son chien des démons habillé en super-héros kitsch, à force de grands riffs de guitare. De la chambre à la ville, la chasse est ouverte.

Musicalement, le jeu lorgne du côté de la Jpop et de la chanson acidulée enfantine. C'est guilleret, joyeusement idiot et auditivement limite. Mais c'est là tout le plaisir de la chose. Ne pas proposer des standards, classiques et sûrs, mais des nouveautés souvent étonnantes. Si c'est pour se refaire les canons du rock, autant écouter un best-of.

Question gameplay, Gitaroo Man est bien plus créatif qu'un Parappa.  Il est certes question de timing mais un timing malmené par les possibilités offertes. Les symboles tombent : à droite, à gauche, en haut, en bas. Et encore, c'est sans compter sur la direction à tenir avec le joystick. Des courbes plus ou moins sinueuses associées à ce travail de précision.

. Amplitude et Frequency :

Amplitude

Le futur du côté des U.S.A

Avant de faire un carton plein avec Guitar Hero, les petits gars de chez Harmonix affutaient leurs armes avec des titres comme Amplitude ou Frequency. Produits purement américains, ces jeux musicaux profitent d'une vraie mise en situation, à défaut d'une histoire. Dans Amplitude, le narrateur/voix off nous explique rapidement le fonctionnement du vaisseau que l'on conduit. Car le joueur dirige un vaisseau pour faire de la musique.

Il s'agit ici de déployer un imaginaire, et cela afin de ne pas rester dans le strict cadre du jeu musical (reproduction de chansons). Pas des cordes, pas des pistes de mixage mais des routes futuristes parcourues par un bolide du futur. Chaque couloir symbolise un instrument (batterie, guitare...) la réussite d'une ligne active un instrument. Plusieurs et une mélodie se fait. Ce qui a le mérite de montrer que la création d'un morceau de musique est un travail éminemment collectif (plusieurs instruments, une cohérence entre les sons...).

Pour la partie purement musicale, même si on échappe au rock et ses classiques, le jeu reprend tout de même des artistes existants (Garbage ou No Doubt selon les jeux).  Le domaine est plus celui de l'électro, de la pop-électro. Pas de grande créativité à ce niveau-là.

Conclusion 

On ne peut même pas parler de différences culturelles, les jeux japonais d'un côté et les américains de l'autre. Au contraire, l'aspect créatif, parfois narratif, souvent esthétique, en terme de gameplay également, se voit (d'une façon bien différente certes, on retrouve là l'aspect culturel : coloré et délirant chez les nippons ; futuristes chez les américains) autant chez les uns que chez les autres. Désormais la tendance, car il s'agit d'une tendance créative avant tout, est à la mimésis par les accessoires plutôt qu'une transposition codifiée au pad, au détriment d'une créativité soutenue.

Finalement, il n'y a que du côté des consoles portables que l'on trouve encore un peu de cette fraîcheur qui nous manque tant. Maestro ou Oendan, sur DS, constituent quelques exemples de ce rarissime effort constituant à innover dans un genre désormais soumis au filon de l'accessoire.

Maestro, jump

Et vive la musique !!!

Article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=72:mimesis-absolue-et-absence-de-creativite&catid=39:reflexions&Itemid=29