Le professeur Layton,
en à peine quelques épisodes, s'enchaînant assez rapidement d'ailleurs,
est devenu une licence que l'on attend désormais et surtout le promoteur d'un genre. Il n'est pas question aujourd'hui de parler des origines de ce genre, si ce cher professeur en est le créateur ou non, mais plutôt
d'analyser cette tendance de l'énigme dans le récit à travers deux jeux
radicalement différents. Solubilité ou non du
casse-tête dans le récit, voilà en quelque sorte la question autour
duquel s'articule le pivot que je vais m'efforcer de présenter ici.

voiture, professeur, layton

Le début d'une longue route...de succès

I) Archaïsme et segmentation brutale

La saga de Layton se vend pour ses casse-têtes. C'est aussi pour cette raison que la
licence a rapidement conquis le cœur du grand public. Des petites
énigmes, des problèmes comme en primaire (qui rappelle même aux plus
anciens le certificat d'étude, bref de quoi surfer sur la vague
« nostalgique » qui transpire actuellement dans le cinéma et ailleurs),
de la logique bref des recettes universelles, trans-générationnelles
pourrait-on dire. D'ailleurs, dans un quotidien gratuit du style Metro, lors de la sortie en France de L'Etrange village, on pouvait voir des publicités d'une page avec une énigme à résoudre.
Une pub interactive en quelque sorte, promouvant aux yeux de tous ce
nouveau né.

C'est bien là l'argument central de la série. Testez votre logique, mettez en ébullition votre matière grise et surmontez, seul ou à
plusieurs (convivialité donc) les problèmes. Sans oublier le fait que
tout cela se joue sur portable donc se plie parfaitement aux règles du
jeu nomade (accessibilité partout, petite énigme pour petit temps de
jeu, métro, train, bus...). Seulement, Layton, on l'oublie un peu, surtout le joueur casual qui « veut se faire une petite énigme » et rien d'autre parfois, Layton c'est également une histoire. Un univers même, intéressant dans ses réécritures et détournements (Dans la continuité d'un Sherlock Holmes ou des autres grands duos policiers, un monde franco-anglais entre
fantasme et réalité....), aux histoires fantastiques mais toujours très
réelles au final. Pas du fantastique pour le fantastique.

Si on oublie cela, c'est bien parce que le parti-pris du développeur Level 5 conduit à une segmentation brutale de son jeu en deux instances. En
aucun cas, ce qui est une position qui, à la longue, peut rebuter
certains joueurs, les énigmes ne cherchent à se dissoudre dans le récit. Dans aucun épisode, jusqu'à présent, on observe un tout cohérent avec
des allers et des retours entre le narratif et le ludique.

La segmentation est brutale. Le système, archaïque. D'un côté le narratif avec des dialogues, des
déplacements, des cinématiques. Et de l'autre, le ludique, l'énigme.
C'est simple, la majorité des problèmes sont posés via un twist scénaristique confinant au grossier bien souvent. Un villageois vous parle dans L'Etrange village et après avoir donné quelques indications qui font progresser
l'histoire (la petite fille est par là, l'histoire du parc d'attraction
abandonné...) termine sa parlotte par un « Au fait, j'ai une énigme » ou « J'ai un problème, pouvez-vous m'aider ? ».

enigme, professeur, layton

Un twist pour amener une énigme à résoudre

A chaque fois ou presque, l'énigme nous sort du récit, impose une rupture franche avec l'histoire pour faire un pas de côté non justifié, trop souvent
tiré par les cheveux. Pas de solubilité. A part sur quelques rares
énigmes qui restent cohérentes par rapport aux paroles du personnage
rencontré (une énigme qui symbolise le problème sur lequel il bute), le
plus souvent les casse-têtes n'ont même pas le moindre lien avec le
dialogue précédent, et encore moins avec l'histoire. On segmente pour
créer deux entités complètement imperméables. Un choix, certes, mais qui a le désavantage de briser la fluidité nécessaire à une bonne
narration.

II) La solubilité dans le récit, la fluidité avant tout

Autre jeu, autre exemple, autre univers. Dracula III ou la voie du dragon nous propose une aventure type point and click en vue subjective avec des déplacements très ordonnés (tableau par
tableau). Dans ce jeu, on suit le périple d'un prêtre envoyé par le
Vatican en Roumanie, un village lugubre et isolé, pour examiner le cas
de Martha, une croyante considérée comme une sainte ayant opérée
quelques miracles sur la population locale. Le but, se renseigner sur
cette défunte et voir si l'on doit ou non la canoniser.

Au cours de votre aventure, vous amenant à remettre en question vos principes moraux, vous aurez droit à
quelques énigmes insérées dans le récit/fonctionnement classique du jeu
d'aventure : dialogue, objets et compagnie. Seulement, contrairement à
la saga Layton, les développeurs de chez Kheops Studio cherchent à rendre soluble ces fameuses énigmes dans le récit.

En aucun cas, un villageois rencontré ne vous proposera, sans réelle raison, de résoudre une énigme du style « J'ai trois récipients et quatre litres à transvaser... ». Comme ça, pour le fun, sans le moindre souci de cohérence. Au contraire, plusieurs problèmes
se résolvent comme des énigmes, un problème donc une solution (ou
plusieurs mais pas ici). C'est le cas lorsque notre personnage se
retrouve dans une bibliothèque et doit surmonter un casse-tête pour
dénicher un livre (des indices nous signalent où est le livre, c'est un
travail de déchiffrage reposant sur une logique à trouver).

En aucun cas, on ne nous impose cette
énigme sans motivation, elle arrive logiquement comme la suite, et la
concrétisation, de nos recherches et dialogues avec tel protagoniste
pour faire avancer notre enquête sur Martha et cette ombre étrange qu'est Dracula. Casse-tête, oui, mais motivé. Car le document est dissimulé (objet de
convoitise, logique donc de le cacher) et parce qu'il permettra
d'éclaircir certains mystères comme je viens de le dire.

énigme, dracula, 3

Une énigme ou la vie

Autre exemple, à la toute fin du jeu, en route vers la vraie demeure de Vlad Tepes (le vrai nom du comte Dracula), notre héros se retrouve perdu dans un
dédale. Labyrinthe dangereux car constitué de portes avec d'énormes
piques. Il y a un truc à trouver pour sortir, tout court, et vivant
aussi, de ce labyrinthe. On est pile dans l'énigme à la Layton (qui l'utilise dans L'Etrange village à plusieurs reprises). Une entrée, une sortie, comment y arriver en
tant de fois, sans se faire avoir et compagnie. Ici, l'objectif se
réduit à sortir en vie.

Contrairement à un Layton aux énigmes déconnectées, ce casse-tête s'insère une fois encore
parfaitement dans le récit. Il fait parti du récit, il fait sens et
permet la progression, fluide ou non (selon son capacité à résoudre
rapidement ou pas ces problèmes) de l'histoire. Le repère de Dracula est protégé, il recèle de pièges pour écarter ses ennemis. On doit
surmonter ces pièges pour atteindre et détruire Dracula en sa demeure. C'est cohérent.

Conclusion

On peut difficilement sortir d'une telle analyse sans porter un jugement de valeur. Il est clair que pour les
amoureux du récit vidéoludique, de la fluidité et de la solubilité, Layton est, malgré son charme et sa créativité, un archaïsme difficilement
surmontable. Deux approches différentes pour deux narrations possibles.
L'énigme comme pause récréative et déconnectée ou moteur à part entière permettant de faire progresser le récit. A vous de choisir.

ville, dracula, 3

Vous referez bien un petit tour ?

L'article d'origine : https://www.levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=67:de-la-solubilite-des-enigmes-dans-le-recit-videoludique&catid=39:reflexions&Itemid=29