Commercial, vendeur, vente

Il est dynamique, il est beau, il sait parler aux jeunes

I) Quelques expériences en vrac

L'emphase, toujours l'emphase

  David, Cage, Heavy, Rain

David, créateur et commercial

Les lecteurs ne savent pas forcément comment se déroule la présentation d'un jeu dans les locaux d'un éditeur. Pourtant, c'est une pratique récurrente, on pourrait presque parler d'un rituel, à laquelle il faut bien se plier lorsque l'on travaille pour un magazine ou un site spécialisé dans les jeux vidéo. Je vais relater dans les lignes qui suivent quelques expériences vécues pour que vous comprenniez comment tout ceci fonctionne.

C'était durant un mois de juillet, il me semble. Un éditeur/développeur japonais me convoque dans ses locaux. Leurs bureaux sont situés à Paris, dans un quartier huppé. Je m'y rends à pas tranquilles, bien que la pluie commence à s'acharner, pour tester un jeu de sport fantaisiste. Le titre a tout du jeu opportuniste, cross-over plus marketing que créatif, date de sortie collant à un grand événement sportif. J'y vais malgré tout.

Arrivé à destination, je me retrouve dans une pièce entièrement dédiée aux tests et autres previews. Je ne suis pas seul puisqu'un brave type s'y trouve déjà. Il travaille pour un site de fans, ce que l'on appelle communément un « site communautaire ». On attend le responsable de la communication, parti on ne sait où. Je discute un peu avec l'autre rédacteur, histoire de passer le temps. Le responsable arrive enfin avec sa belle chemise et ses mocassins qui brillent.

Look sérieux mais classe, décontracté mais habillé. Il nous invite à faire un bout d'essai, au final on passera une heure et demi dessus. Rien de palpitant, c'est globalement amusant mais ça sent surtout l'opportunisme à plein nez comme je le disais plus haut. Mes a priori se confirment. On retrouve l'ossature du premier épisode, pas de progrès au niveau des graphismes et quelques gadgets histoire d'appâter le chaland.

Franck, Sebastien, Sega, France, communication

Sérieux et décontracté

Notre chargé de la communication entre en jeu. Durant 1h30, il cherchera à nous convaincre. Superlatifs, adjectifs de haute volée, il ne laisse pas la place à la critique négative. La seule qu'il tolère ou émet concerne l'opus précédent. Évidemment, le titre qu'on nous présente est forcément meilleur que le précédent, c'est d'une logique implacable. La logique du commercial qui justifie à elle seule son emploi. Les créatifs bossent et parfois se plantent, lui doit vendre à tout prix le nouveau produit en montrant qu'il y a bien une courbe de progression...même si c'est faux.

Bref, le bonhomme joue son rôle à la perfection, il communique de manière emphatique tout du long sans se rendre compte qu'autant d'éloges nuisent forcément à son discours, disons à la crédibilité de son discours. De communicant, il prend rapidement le statut de vendeur (pourtant j'attends de la vraie communication autour du projet, pas des arguments de vendeur). En clair, c'est lui qui met le papier cadeau autour du jeu. Le type capable transformer une Lada en Lamborghini. C'est tout un art. On appelle ça la rhétorique.

 voiture, roumaine, cassée, pourrie

"Je te jure, elle est neuve"

La présentation continue, on s'attarde sur les épreuves mais pas sur la présentation des commandes qui est toujours aussi mal foutue ou sur certains mini-jeux, franchement ratés. Des épreuves et rien que des épreuves. Les seules questions qu'il nous adresse, à nous deux, braves testeurs, ce sont des phrases interrogatives totales (pour éviter justement qu'une vraie discussion débouche, avec une phrase interrogative partielle il était cuit) : « C'est bien, hein ? ». On ne va pas lui dire le contraire, on est un peu lâche dans ces moments-là. On n'ose pas le titiller, lui poser des questions un peu dérangeantes du style « C'est pas un peu une suite de fainéants quand même ? » ou « Y ont pas d'ambition chez...? » ou encore « Ça fait quoi de voir que le jeu de ... qui cartonne s'est fait avec des responsables de chez ...(autrement dit une collaboration entre deux ex-rivaux) ». Pour la dernière question, c'est l'autre testeur que je crains le plus. Complètement bloqué dans les années 80, il pense encore que les deux grandes firmes à l'origine du jeu s'opposent. On ne titille pas la corde sensible du fan buté.

Il faut donc subir le discours formaté du responsable de la communication, frôler les murs et essayer de poser des questions intelligentes mais pas pertinentes (on sait très bien qu'en tant que petite structure, site amateur ou semi-pro, un faux pas peut être fatal : plus de jeux envoyés, fin de la communication donc moins de tests à faire, moins d'événements à proposer aux lecteurs). On se met naturellement à débiter des banalités du style « Combien d'épreuves ? » ou « Y a encore les épreuves... ? ». Des questions parfaites pour un test canonique mais d'une nullité affligeante quand il s'agit de faire un bon papier et d'essayer de bousculer cette pratique conformiste et soporifique. Le problème c'est que la plupart des sites se contentent de ne pas trop changer leurs habitudes et de remplir les cases prédéfinies de la preview un peu comme mon garagiste lorsqu'il me fait le contrôle technique.

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"Voilà le communiqué de presse, tu as toutes les infos pour ton test"

Quelques fois, notre responsable de la communication s'occupe avec son iphone. Il tapote des messages, lit ses mails ou téléphone à certains moments, l'occasion de sortir de la pièce. Cerise sur le gâteau il mastique un chewing-gum durant toute la session de jeu. Ce n'est pas dans un tel milieu que je risque de trouver un passionné avec un minimum de tenue. C'est dans ces moments-là qu'on se rend compte à quel point ce média artisanal, il y a quelques années encore, est devenu une vraie industrie. Et une industrie qui pèse, ça tourne avec des gens comme lui. Des commerciaux aux dents blanches, présentant bien, mais pas des initiés...surtout pas.

D'ailleurs, petite parenthèse, notre ami Néant a lui aussi rencontré le bonhomme à une reprise. Dans le cadre d'un reportage vidéo, pour la télé, il a pu le questionner à propos d'un énième jeu de la mascotte du groupe. Un ratage quasi complet qui succédait à un autre ratage. Mais, rien à faire, le bougre s'efforçait, face à cette interview bilan, de légitimer les précédents étrons des développeurs. L'auto-critique n'était pas au rendez-vous. Il vendait, aveuglément.

Ignorance et dents blanches

Autre expérience, cette fois-ci pour le compte d'un des géants du jeu vidéo. Je me rends aux bureaux d'une société chargée de la communication de cette entreprise auprès de la presse française. Accueil chaleureux, on me propose des jus de fruit, du café, des viennoiseries, je retrouve des jeunes cadres dynamiques au sourire bright ainsi que de charmantes donzelles ne dépassant jamais la trentaine.

 Cindy, Sander, grosse

Trop grosse pour bosser dans le relationnel

C'est une règle d'or dans ce métier, il faut être jeune et mince. Je n'ai encore jamais vu de clone de Maïté ou de Cindy Sander dans des rendez-vous de ce type. C'est un premier impératif au niveau du physique, le second impératif est lui d'ordre vestimentaire. Ils arborent tous ce style classe mais sérieux dont je parlais plus haut (pas le commercial ringard qui vend des encyclopédies, plus le bobo tendance Le Grand journal). Afin de nous montrer qu'ils nous comprennent, les testeurs sont souvent jeunes, mais qu'ils occupent malgré tout un certain statut. En même temps, du fait de ces quelques constantes esthétiques on retrouvera toujours notre chargé de la communication au milieu de journalistes spécialisés lors de la présentation d'un jeu. Pratique.

Après une rapide présentation, je m'exécute et teste des jeux comme une simulation de fitness et de mode. De grands titres. J'essaie de poser quelques questions au type qui me fait essayer l'extension du soft (gros succès) qui fait perdre des kilos. Je sens rapidement que je n'ai pas intérêt à aller trop loin dans mes interrogations. Le jeune cadre nage dans le potage dès qu'il s'agit de répondre avec précision à une de mes demandes, même les plus élémentaires : « La date de sortie ? Le prix ? Les coachs ont changé, non ? ».

Le plus souvent il me répond par un « peut-être » ou un « je ne sais pas ». Les seules informations qu'il peut me divulguer sont relatives aux quelques minutes qu'il a passé sur le jeu depuis qu'ils ont reçu le soft. En clair, pas grand-chose. A la fin de la session, j'en sais plus que lui sur le titre qu'il est censé présenter.

boite, com, Nintendo

L'esthétique avant le savoir

Lors d'un autre rendez-vous, celui-ci concernait un jeu mettant en scène une louve, j'avais un peu discuté avec la responsable de la communication en charge de l'événement. Je lui demandais comment elle était arrivée jusqu'ici, ce qui avait motivé son choix. La réponse était simple et limpide, elle avait fait une école de communication et, devant trouver du boulot, s'était rabattue sur le secteur du jeu vidéo. Secteur en pleine explosion depuis quelques années. Un choix de carrière plus qu'une motivation sincère voire passionnée.

II) La fin d'une époque, le début des calculs

Des opportunistes

Ce sont donc de braves gens, pas forcément méchants mais plutôt ignorants et opportunistes. Ils sont là parce que la conjoncture économique les conduit à travailler pour des éditeurs et développeurs de jeux vidéo. Si le secteur tendance du moment était la métallurgie, soyez certains qu'ils viendraient défendre avec leur jeu d'acteur si singulier les dernières plaques de métal produites par les ouvriers de leur usine.

maupassant, bel-ami

L'opportunisme du côté du journalisme,  une vieille histoire

C'est un métier comme un autre, je n'ai rien contre ces gens mais un tel phénomène reflète malgré tout l'opportunisme de l'époque (même si l'on sait tous que l'opportunisme est intemporel, Maupassant et son Bel-Ami nous le prouve. Pour percer dans le journalisme, pas besoin d'être une grande plume. Il faut savoir coucher et avoir des relations). Si l'on parle du jeu vidéo aujourd'hui, si les grands médias, les personnalités politiques se penchent sur le sujet ce n'est pas pour leur amour du pad, ce n'est pas parce qu'ils sont convaincu que ce domaine peut renfermer des richesses (ludique, du point de vue de la création) mais bien parce que ce secteur connaît une croissance incroyable. Même si l'on parle aujourd'hui de la crise et que certaines conséquences se font ressentir dans le secteur, le jeu vidéo reste un domaine où la croissance ne fait pas défaut...ou si peu.

De l'artisanat à l'industrialisation

Sans de tels chiffres d'affaires, le ministère de la culture se serait-il intéressé au cas des jeux vidéo pour les couvrir de ses longues ailes protectrices (petit à petit : des lois, des chevaliers des arts et des lettres) ? Certainement pas. Si le jeu vidéo avait conservé son statut d'artisanat électronique, ne générant pas de grands bénéfices, ces pique-assiettes ne seraient jamais venu frapper à la porte de notre réalité virtuelle. Il faut faire avec, malheureusement. Ce ne sont plus des passionnés qui parlent ou présentent des jeux, pouvant vous conduire à des échanges enflammés mais toujours sincères. Voici le règne des opportunistes aux petites mallettes, ces vendeurs déguisés qui pourraient vous refourguer n'importe quoi du moment qu'on les paie.

Article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=51:les-opportunistes-du-jeu-video&catid=39:reflexions&Itemid=29