Admettons l'existence de deux mondes. Le monde du joueur et le monde du jeu. Le joueur joue pour se projeter dans une nouvelle réalité. Il s'oublie dans le monde du jeu, s'offre la possibilité spirituelle de vivre ailleurs. Rien alors ne doit freiner son immersion. Il ne doit y avoir que le monde virtuel. Plus de traces de notre réalité.

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Un jeune joueur

 

 

Mais le jeu vidéo est interactif et, à ce jour, il nous est impossible d'altérer le monde virtuel, au sein même de ce dernier. Se dessine alors la nécessité du pad et toute son hybridité et son paradoxe. Le rôle de la manette est de nous faire interagir dans le monde virtuel, celui dans lequel on veut « vivre », alors qu'elle existe en tant qu'objet physique, appartenant à notre réalité, celle là même qu'on veut oublier.

Pad, Megadrive

La manette de la Megadrive

Le pad est la charnière entre deux mondes, le prisme à travers lequel on regarde. Et pour qu'on y croit, ce prisme doit être propre, totalement transparent. Aucunes tâches, aucunes rayures ne doit pouvoir nous ramener à notre réalité physique et nos tracas quotidiens. Parlons plus concrètement. Un bon pad se résume en trois critères : limiter au maximum les mouvements des doigts, limiter les inconforts ou douleurs et éviter toute spatialisation.

Dans un premier cas, il doit donc faire en sorte d'offrir un minimum de mouvement pour atteindre ses commandes. En effet, rien de plus ennuyant qu'aller chercher un bouton start par exemple. Ou encore les deux derniers boutons de la Megadrive, assez déstabilisants. Même problème chez Microsoft et sa première Xbox avec ses boutons noirs et blancs. Quatre touches de façade semblent être le maximum, ce que tout le monde a adopté aujourd'hui.

Pad, Gamecube

Le pad officiel de la Gamecube

Mais même au sein de la disposition des boutons de façade, il y a des différences. Une disposition en losange est le plus utilisé aujourd'hui. Chez Sony, le pad offre un réel inconfort lorsqu'il s'agit d'atteindre deux touches opposées, de la croix au triangle ou du carré au rond. Pire encore, lorsqu'il faut appuyer sur les deux en même temps, dans un jeu à combinaisons de touches. C'est aussi le cas de la manette de la 360, un peu moins celui de la première Xbox, les boutons du pad étant plus rapprochés. Il y a aussi le cas de la wiimote, où aller chercher le bouton 1 et 2 se révèle être un véritable casse-tête si l'on veut maintenir sa manette en place. De ce côté là, il n'y a jamais eu de manette aussi réussie que celle de la Gamecube. Les quatre boutons venaient se placer autour de la touche principale et offraient des allers-retours optimums des uns aux autres.

Chez Sony encore, un problème majeur se pose toujours, celui du stick gauche. C'est terriblement inconfortable d'aller le chercher aussi bas. Sa place est celle de la croix directionnelle. Sony a la même manette depuis sa première console, elle est aujourd'hui tout à fait perfectible. Dans les tentatives de renouvellement, les gâchettes R2 et L2 qui s'enfoncent sont un exemple. Elles sont plates, lisses et peuvent potentiellement glisser, alors que sur toute autre manette les gâchettes sont (très logiquement) incurvées.

Je pense qu'aujourd'hui, sur un pad traditionnel, le maximum de boutons a été atteint. L'index et le pouce, dans la limite du confort, ne peuvent pas être plus sollicités. Seule ouverture encore possible : l'utilisation des majeurs, et donc l'ajout de deux boutons ou gâchettes sous la manette.

Pad, Nes

Les fameux coins anguleux du pad de la NES

Dans un deuxième temps, le pad doit limiter toute douleur, tout inconfort. Il y a moins à dire, car c'est le premier travail sur lequel les constructeurs se penchent. Souvenez-vous des manettes de NES ou de Master System, toutes deux rectangulaires. Après quelques minutes à peine, nos paumes souffraient déjà de leurs coins anguleux. J'en reviens encore à Sony, chez qui les branches de la manette sont un poil trop courtes et trop fuyantes. Elles viennent s'enfoncer dans la paume au lieu de se glisser dedans comme chez tous les concurrents.

Enfin, un bon pad ne doit pas souffrir de spatialisation. C'est le souci le plus actuel, et le plus important que soulève cet article. Aujourd'hui, certaines formes de jeu vidéo viennent ancrer leur gameplay au sein de nos lois physiques. C'est ce que j'appelle maladroitement spatialisation, pour généraliser, car les procédés se déclinent de diverses façons. Il s'agit de prendre en compte nos mouvements physiques afin d'altérer le monde du jeu. Il ne s'agit plus de se projeter dans un monde virtuel, en s'oubliant, mais de projeter le jeu dans notre réalité.

Ne nous attardons pas sur les balbutiements de la spatialisation des manettes, comme l'ingérable Sidewinder de Microsoft et son détecteur de mouvement à billes (repris plus de dix ans après pour la PS3), ou, d'une autre manière, sur les contraintes spatiales qu'imposaient les premières manettes sans fil infra rouge. Allons au cœur du sujet avec la Wii et sa wiimote, l'iphone, ou dans une moindre mesure la DS. L'outil, la manette (ou la console pour les portables), devient le jeu. Et un jeu, en tant qu'objet physique, c'est un jouet. D'où le concept de « jouet-vidéo ».

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Le parfait exemple du "jouet-vidéo" sur Iphone

Je m'explique à travers un exemple simple et efficace : sur Iphone, il existe un jeu qui consiste à faire évoluer une bille dans un labyrinthe, sans tomber dans les trous qui le parsèment. Or pour ce cas précis, c'est juste la transcription virtuelle d'un jouet déjà existant. On y joue de la même façon, l'Iphone répondant aux lois de la physique. Voilà l'exemple parfait de ce que j'appelle « Jouet-vidéo ».

Continuons dans ce sens et revenons sur ce que j'avais avancé sur le rôle et la nature du pad. Sa fonction est de donner l'accès à l'altération du monde virtuel mais sa nature est physique. Ainsi, pour ne rien laisser de notre réalité lorsqu'on se projette dans le monde virtuel, le pad doit tendre vers une dématérialisation. Dans sa quête d'immersion, le jeu vidéo doit chercher à intégrer les commandes qui l'altèrent dans sa propre réalité. C'est ce à quoi aspire le jeu. Ce n'est pas un simple jouet. Il a le pouvoir et l'ambition de nous emporter dans une autre réalité, interactive.

Mais le « jouet-vidéo » prend le chemin totalement opposé. Il rapproche le pad de sa nature physique, et par la même occasion le joueur de son monde. Le « jouet-vidéo » fait donc l'inverse d'un travail d'immersion. C'est là où le terme « jouet-vidéo » prend également son sens puisque le jouet a pour but de projeter dans notre réalité. Jouer avec une petite voiture, un super-héros, une dinette, c'est nous projeter dans notre monde. C'est pourquoi la Wii connait si peu de succès auprès des gamers confirmés. On s'amuse mais on ne « vit » pas. Les quelques jeux qui cherchent à aller en profondeur se heurtent à ce problème.

wiimote

Là n'est pas l'avenir du jeu vidéo

Enfin, la spatialisation des commandes de jeu va trouver ses limites dans les contraintes que l'on connait de notre monde. Elle va d'abord se trouver confrontée aux lois de la physique. Effectivement, impossible de faire courir le joueur pour que son personnage courre. Vous vous imaginez si on devait un jour contrôler le prince de perse de cette façon ? Jusque là rien de mieux que le stick. Mais la spatialisation va aussi être confrontée à nos capacités physiques. On fatigue, on subit des inconforts, des douleurs.

L'avenir du jeu vidéo n'est pas dans la détection des mouvements du joueur, qui resteront à jamais limités, et qui les reverront à jamais à ses propres limites. Il n'y aura pas de prochaine Wii. L'avenir du jeu réside au contraire dans la recherche de l'immobilité du joueur, dans la dématérialisation. Le jeu se doit d'intégrer ses commandes en son sein. La meilleure image de ce vers quoi le jeu vidéo doit tendre se retrouve dans un film comme Matrix. La Matrice est contrôlable depuis l'intérieur seulement, et une fois dedans c'est peu dire qu'on oublierait la « vraie » réalité.

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