Le premier jeu de Suda Goichi sur Wii avait fait bonne impression lors de sa sortie, très bonne impression même (malgré une ville vide, une caméra pas forcément au top...des détails). Un héros otaku, idiot et attachant, de l'action débridé, du sang qui gicle avec la même démesure qu'un Miike. Bref, le jeu de Suda, véritable melting-pot de pop culture bouillonnant, réussissait à produire au final une œuvre de grande qualité, transcendant toutes ses inspirations. Pour ce second opus, les développeurs ont corrigé les quelques défauts du premier opus pour proposer une suite plus maîtrisée mais toujours aussi délirante. Ouf.

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Deux sabres pour plus de sécurité

Un hommage délirant aux oldies

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L'hommage passe par la création de petits jeux

Suda 51 ne cache pas son amour pour l'esthétique propre aux oldies. Les gros pixels, les bip bip, les sprites antiques sont autant d'éléments du passé que le créateur japonais aime à chérir. Le premier opus mettait en avant cela grâce à quelques clins d'œil empruntant certains codes des jeux 8 bits.

Cette suite fait plus fort et propose un hommage plus visible, plus inspiré pourrait-on dire. Le jeu conserve plusieurs éléments du premier comme le tigre pixellisé qui se transforme en bête sauvage à chaque fois que l'on réussit des combos ou encore la direction du coup de wiimote à faire lors des finishs (une flèche constituée de gros carrés). Mais surtout, ce second opus propose quelques ajouts savoureux qui rendent cet hommage sincère et jouissif.

Après avoir battu un boss, un des tueurs faisant parti de ce grand concours sanglant organisé à Santa Destroy, on voit Travis modélisé façon 8 bits courir vers la droite, sauter par-dessus l'ennemi abattu (lui aussi modélisé de la sorte) et filer en chevauchant sa bécane. Pendant ce temps-là, un affichage, à l'ancienne là encore, vient nous révéler le score obtenu. Le scoring des vieux jeux est ici évoqué par ce clin d'œil malicieux.

Mais, comme je le disais précédemment, Suda ne fait pas que se réapproprier cette esthétique désuète, il va également rendre hommage à tout ce pan du jeu vidéo via quelques détails amusants. Par exemple, au début de chaque mini jeu, on entend Travis souffler dans la cartouche et mettre cette dernière dans la console. Des bruits caractéristiques qui rappellent une manière de faire aujourd'hui révolue. Une façon amusante de créer un lien nostalgique avec le joueur qui relèvera l'allusion.

Autre détail amusant, lorsqu'un mini jeu est lancé une voix digitalisée (à la Mortal Kombat par exemple) vient scander le titre du jeu. C'est donc par une foule de détails que Suda 51 réussit à créer une ambiance particulière. Une ambiance qui mélange l'hommage, le regard nostalgique mais pas passéiste. L'idée n'est pas de dire, "C'était mieux avant". Au contraire, ces éléments constituent notre culture de gamer et l'évolution technique, au lieu d'annhilier ces antiques productions (c'est dépassé donc sans intérêt), peut au contraire participer à l'assimilation de ces traits caractéristiques comme pour consolder le lien qui existe entre ces premiers âges du jeu vidéo et aujourd'hui. Un lien nécessaire à l'élaboration de cette culture.

Esthétique

Techniquement, le jeu reste très proche de ce que l'on avait pu voir dans le premier opus. Autrement dit, un rendu correct avec quelques faiblesses et de l'aliasing. Il n'empêche que l'esthétique de ce No More Heroes 2 est particulièrement réussie. Le moindre élément est prétexte à créer cet univers de bric à brac entre le kitsch, le punk et l'esthétique des jeux 8 bits. Un vrai régal pour qui aime.

Les mini-jeux ou la précarisation du travail

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Travis ne fait jamais dans la discrétion

Ce second opus de la saga No More Heroes n'hésite pas à développer un peu plus le concept des mini-jeux. Grasshopers reprend le principe même du premier épisode. Autrement dit, Travis enchaîne les petits boulots pour se faire un peu d'argent et ainsi se payer ce qu'il veut. Dans le premier épisode, il s'agissait par exemple de techniques de catch apprises via la vision de VHS louées ; dans ce second épisode, ce sont quelques heures de sport avec un coach gay pour nous fortifier. Bref, tout se paie.

La formule est bien rodée et permet quelques moments jouissifs. On peut ainsi faire de la livraison de pizzas, réparer des tuyaux pour permettre un bon écoulement des eaux, dératiser les étages d'un immeuble, ramasser des scorpions et j'en passe.

Le point commun entre tous ces métiers, c'est le caractère avilissant de ces jobs. Aucun travail digne d'intérêt, glorifiant un tant soi peu notre personne, permettant un investissement et, pourquoi pas, un développement intellectuel (d'ailleurs, le type qui vous refile ces jobs use de l'ironie pour se foutre ouvertement de vous du style, "Les nanas craquent pour les plombiers..."). Nous n'observons qu'une ultra segmentation du travail en une multitude de petits boulots ennuyeux au possible. Des tâches ultra répétitives à la portée de tous.

On trouve ici une première critique du monde de travail. Derrière l'aspect amusant de ces missions, le labeur. La pénibilité totale du travail. Il faudra à tout prix en passer par là pour gagner de l'argent (en dehors des meurtres bien évidemment). En plus du caractère avilissant de ces tâches, on constate un système de paiement propre à ces emplois précaires.

Scénario et dialogues

Le scénario se base sur le canevas simple de la vengeance mais propose également quelques prolongements intéressants. Comme, par exemple, la relation ambiguë entre Sylvia et Travis. Mais, la force du jeu c'est de développer des critiques pertinentes sur la société, l'environnement et cela toujours de façon ludique. Les dialogues sont de qualités mêmes si un peu sous-exploités. Ils participent en tous les cas à développer la douce folie dans laquelle baigne le titre.

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Un sabre bien chargé et c'est la réussite assurée

En effet, on ne sera jamais payé après avoir signé un quelconque contrat. CDD, CDI, peu importe. Ici, on emploie une main d'œuvre servile et malléable au possible. Et surtout, on la paie une fois la tâche effectuée, au coup pour ainsi dire. Tu as livré des pizzas aujourd'hui ? Très bien, voilà ta paie. Tu reviendras si tu le souhaites. Aucun confort financier, aucun statut stable. Ces petits jeux nous montrent le caractère tangible et incroyablement fluctuant d'un monde du travail précaire. En plus de sa pénibilité, le fun du mini-jeu devient rapidement agaçant tant la marge d'action est limitée et l'action répétitive. Tout cela est cohérent.

Enfin, dans la lignée de ce mode de paiement, on retrouve le bon vieux procédé du « travailler plus pour gagner plus » ou comment éviter une réévaluation nécessaire des salaires. Pour gagner plus d'argent, on travaille plus. En aucun cas, on ne va prendre en compte l'âge ou la pénibilité d'une tâche. Si Travis veut engranger les billets, il ne peut pas compter sur une paie se gonflant au fur et à mesure. C'est simplement en livrant plus de pizzas, en dératisant plus de nuisibles qu'il aura plus d'argent.

Ainsi donc, à travers quelques mini-jeux à l'esthétique rétro, le dernier né de Suda cache une critique ludique mais intelligente du monde du travail. Un domaine instable où la précarité rejoint la stupidité de tâches ennuyeuses et avilissantes. On ne peut que lui donner raison quand on voit la multiplication des stages, CDD et autres difficultés conduisant désormais, même chez nous, à considérer un CDI quasiment comme un graal (j'exagère à peine).

Gameplay

Le gameplay reste très proche de celui du premier épisode. On peut regretter une caméra parfois capricieuse mais question maniabilité on a pas vraiment à se plaindre au final. Les prises de catch sont malheureusement moins nombreuses. Un manque probablement compensé par des combats avec deux sabres. C'est carré, simple et ne cherche jamais la complexité.

Des critiques sociétales et environnementales derrière la bouffonnerie

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Des déchêts, l'espace sera notre poubelle

Mais ce No More Heroes 2 ne s'arrête pas là. Sa critique prend quelques chemins étonnants et arrive à développer des remarques pertinentes sur le cas de l'environnement ou à propos de la société. Ce sont donc des critiques sociétales et environnementales qui viennent se greffer aux critiques déjà évoquées du monde du travail (précarisation).

Dans un mini jeu, encore, Travis a pour mission de jeter des ordures dans l'espace. Derrière cet exercice aussi idiot qu'amusant, Suda semble pointer du doigt les errances environnementales de notre époque. C'est le traitement anarchique des déchets qui est ici évoqué. Entasser et jeter, polluer.

Sans reprendre la ritournelle fatigante du réchauffement par le gaz carbonique, Suda fait plus dans l'écologie pragmatique. Autrement dit, montrer la gravité de l'irresponsabilité quant au traitement des déchets. Le créateur japonais a l'intelligence de ne pas désigner de coupables. On peut donc, soi-même, épingler quelques responsables. Du beauf qui fait du camping sans respecter l'environnement aux tuffeurs qui pourrissent des champs avec leurs bières jusqu'aux grands groupes industriels qui préfèrent faire de la communication verte plutôt qu'un recyclage responsable. Ce sont eux les responsables de ces gros tas informes que Travis doit bazarder dans l'espace.

Mais ce petit jeu, loin d'être anodin, développe également une critique sociétale un brin poujadiste. Suda incarne par là même une sorte de bon sens populaire. En fait, l'opération à laquelle participe Travis conduit à des dépenses, du contribuable forcément, astronomiques (c'est le cas de le dire). Le tout se chiffre en milliards de dollars. La dette qui s'ajoute à la dette, des sommes folles à peine compréhensibles par le commun des mortels. Ca ne vous rappelle rien ? Même pas une situation disons...nationale ?

Derrière cette rhétorique simple et implacable, on retrouve des schémas bien réels. Comme par exemple, pour aller chercher dans un passé proche, le financement des grandes banques après la crise de subprimes. Pourquoi financer des établissements qui sont les seuls responsables de leur chute ? Ou plutôt, pourquoi le contribuable doit payer pour leurs erreurs de quelques traders ?

Humour délirant et gore à tout va

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Un premier boss qui va passer un sale quart d'heure

Ce Desesperate Struggle se présente également comme un petit bijou d'humour gore. Suda nous livre sa déconnade survitaminée avec le plaisir du cabotin. Copland, le premier boss du jeu, est un modèle à ce niveau-là. Accompagné de deux poufs, notre rappeur black balance ses deux trophées au visage de Travis lorsque celui-ci se rapproche de lui. Les braves donzelles se voient sévèrement charcutées par les balles et les coups de sabre.

Un boss qui joue la carte du gore mais également de la déconnade. En effet, boss idiot à l'extrême, il n'hésitera pas à vous lancer de grosses rockets sortant directement de sa chaîne hi-fi portable. Autre ennemi délirant, le joueur de football américain, Mc Donald, et son mécha. L'affrontement donne lieu, non pas à un combat dans une arène, classique, mais à une sorte de relecture de Rampage. Le jeu de destruction où l'on incarne un monstre, comme les films de kaiji-eiga.

Level Design

Le jeu supprime, pour notre plus grand plaisir, les phases de déplacement en moto. Lourdes et inutiles, elles sont remplacées par un choix des lieux à visiter qui se fait par un déplacement automatique. Choix facile mais efficace. Pour les phases d'action, on se retrouve la plupart du temps face à des niveaux tout en couloirs. Mais il ne faut pas croire que le soft se résume à cela. A certains moments, le titre prend des libertés et offre quelques structures labyrinthiques comme le niveau se basant sur un lotissement. Bref, on n'est jamais perdu. Certains pourront ne pas aimer.

Deux robots géants s'affrontent et se mettent joyeusement sur la gueule. Le robot de Mc Donald est alimenté par une horde pom-pom girls en délire aussi sexy que dangereuses. Autre passage croustillant, l'achèvement du boss Welsh qui voit, via une QTE, sa cervelle découpée en plusieurs morceaux.

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Un combat de robots digne de ce nom

Suda 51 n'a jamais caché son admiration pour le réalisateur japonais Takashi Miike (d'ailleurs on peut voir ici que Miike n'est pas la seule référence du bonhomme (1)). Réalisateur très inégal et n'arrivant jamais à construire un film globalement solide, je veux dire de bout en bout, à une ou deux exceptions près, ce doux dingue réussit néanmoins à nous marquer à chaque production par une ou deux scènes délirantes et originales.

Audio

Les thèmes sont, là encore, de qualité. On retrouve le thème principal du premier opus ainsi que de nouvelles créations. Les bruitages et les doublages, en anglais, forment là aussi une belle réussite. On sent le travail soigné.

Goichi suit les traces de son mentor, qu'il citait d'ailleurs dans le premier opus via le marchand de VHS (ce dernier nous demandait sans cesse si nous avions vu le dernier Miike), en réutilisant des giclées de sang incroyables, l'explosions en milliers de particules des ennemis et quelques boss truculents (aussi grandiloquents que ridicules). L'humour est là, débridé, absurde, et cherche à chaque fois à opérer des alliances entre le gore et une bouffonnerie nécessaire pour ne jamais tomber dans un sérieux qui ruinerait totalement la qualité du soft.

Durée de vie

Pour terminer l'aventure, il faudra tabler entre 8 et 10 heures. Tout dépend de votre volonté à booster ou non votre personnage en achetant des sabres ou en faisant du sport par exemple. Une bonne durée de vie puisque le plaisir lui ne décroît jamais. Pas de volonté de trop tirer sur la corde.

Mention

note, A, -, chronique, levelfive.fr

Commentaire : Ce No More Heroes est résolument une très bonne suite et donc, forcément, un très bon jeu. En gommant les quelques défauts agaçants du premier opus, Grasshopers nous livre un soft plus maîtrisé tout en gardant l'identité forte de la saga. Des boss un peu moins délirants peut-être qu'avant mais au bout du compte une œuvre solide et atypique. Résolument, une valeur sûre.

 Sources :1 - Les références dans les jeux de Suda Goichi, par Wikia

La chronique originelle : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=58:chronique-no-more-heroes-2-wii&catid=34:wii&Itemid=28