Peter Molyneux clôt avec ce nouvel opus sa trilogie commencée sur Xbox première du nom. Fin d'un premier cycle en Albion. Sorti peu après le second épisode, on était en droit d'avoir quelques doutes sur la qualité du nouveau bébé de Lionhead Studio. Mais, Molyneux étant un vieux briscard malicieux, le bougre nous propose pourtant quelques moments savoureux et surtout un retournement final audacieux qui font de ce Fable III un très bon jeu malgré un premiers tiers laborieux.

Les combats sont toujours là

I) Mise en abyme, de la moquerie à l'autodérision

Une des quêtes de ce Fable III, quête importante par son butin, en effet elle vous rapporte pas mal de boucliers (nécessaires pour ouvrir divers coffres permettant d'améliorer nos armes, nos pouvoirs et compagnie). Mais quête importante également pour sa qualité, son humour et surtout son traitement de la mise en abyme.

Partant d'un principe mathématique que je ne saurais vous expliquer, la mise en abyme a rapidement envahi les domaines de création. Procédé permettant d'exercer une certaine virtuosité dans l'élaboration d'une oeuvre, comme en peinture avec Les Ménines de Vélasquez par exemple ; mais procédé offrant aussi la possibilité de prendre du recul vis-à-vis de l'action pour créer un cadre plus propice à la réflexion.

La Nuit américaine où le film hommage au cinéma de Truffaut

La Nuit américaine de Truffaut, un film sur un film qui se fait (post-production, caprices des acteurs, décors...), permet au réalisateur à la fois de décortiquer tout ce processus créatif pour rendre hommage au travail collectif, sous-jacent à la réalisation d'un film, mais également démystifier, par l'exposition du réel, une œuvre toujours un peu magique vue de l'extérieur (l'idéalisation du spectateur).

Le jeu vidéo n'est pas forcément le média le plus prolifique en la matière. On se souvient de Day of the tentacle (1) dans lequel on pouvait refaire intégralement Maniac Mansion (autrement dit l'épisode précédent de la saga). Une manière comme une autre de confirmer la légitimité de cette suite et de créer un encastrement amusant (un jeu dans un jeu pour montrer au fond que tout cela n'est qu'un jeu...justement).

Fable III nous propose, avec la mission « Le jeu », un titre aussi impersonnel que générique, manière d'englober le jeu auquel on participera dans le jeu Fable III, nous propose donc d'incarner le héros d'une aventure issue du cerveau de quelques adolescents un peu attardés. Seulement, rien n'est laissé au hasard.

Vous allez en voir du pays

Réduit par magie à l'échelle lilliputienne, vous allez pouvoir vous balader dans l'univers en carton de ces adolescents (ils ont réalisé une maquette grossière). D'une part, ce jeu à échelle réduite permet aux développeurs de se moquer des propres limites d'un jeu vidéo. On connaît tous les limites d'un jeu, techniques en premier lieu amenant des limitations de l'univers lui-même. Les murs invisibles qui vous bloquent un chemin, les passants que l'on rencontre et qui ne réagissent pas ou peu. Bref, tous ces éléments qui trahissent la volonté d'illusion du jeu. Le factice devenant cruellement visible.

On retrouve ces limites dans la mission Le jeu. En déambulant dans cette maquette, les personnages rencontrés (issus d'une énième histoire de princes et princesses) apparaissent sans relief. Tels des bouts de papiers peints, ils gesticulent dans une raideur confinant au ridicule. De même pour les objets trouvés, comme l'épée qui sort du coffre, que l'on ne peut saisir. Ils sont aussi rigides que les personnages. Des éléments raillant ces limites de l'illusion que l'on retrouve dans le jeu vidéo lui-même.

Audio

Les thèmes entendus sont agréables sans être exceptionnels. Du style, "voix fantomatiques" et violons lancinants. Efficaces sans être originaux, les thèmes font leur boulot. Pour ce qui est des voix françaises, on retrouve les habitués du genre (je parle des doubleurs bien entendu), c'est toujours pas le grand pied mais par rapport à la moyenne on s'en sort plutôt bien.

Cette moquerie proposée en filigrane est également là pour railler la propre histoire du jeu et, plus largement, de la saga (voire même de l'univers heroic-fantasy), puisque cette aventure de la mission Le jeu est une nouvelle, fadasse et caricaturale, histoire de princesse prisonnière d'un roi maléfique. Un scénario qui n'est pas sans rappeler également une autre saga, mondialement connue, du jeu vidéo avec un certain plombier moustachu. La distance permise par cette mise en abyme offre un joyeux jeu de massacre généralisé. Les développeurs arrosant autant les collègues qu'eux-mêmes.

D'ailleurs, pour rester dans l'ironie à propos des jeux vidéo, on relève aussi quelques détails se moquant cette fois non plus du factice visible mais de l'arbitraire parfois absurde des productions vidéoludiques. Les créateurs, vous observant vous débattre dans leur petite maquette, s'embrouillent à plusieurs moments. L'un demandant aux autres, pourquoi une épée dans ce coffre ? Ou, pourquoi une énigme ici ? Pourquoi cette énigme ? Cette mission semble expliquer cet arbitraire bien connu par la difficulté de produire à plusieurs. L'œuvre collective ou les compromis dans la douleur au détriment d'une certaine lisibilité...parfois.

Plus évident, mais également moins pertinent, la mission offre quelques moments de pure drôlerie renvoyant à un humour à la Monthy Pithon (les animaux mignons mais tueurs) où le regard est acerbe, gentiment moqueur plutôt, envers les rôlistes par la représentation de créateurs/joueurs légèrement attardés et obsessionnels.

L'animal mignon mais tueur, humour typiquement anglais

II) L'histoire littéraire déformée

Au cours d'une mission annexe, intitulée « Sandwich jambon », on devra résoudre une querelle littéraire entre deux amoureux du théâtre. Utilisant une fois encore, de façon plus détournée, moins conventionnelle peut-on dire, la mise en abyme la mission propose un récit dans le récit ou, pour être plus précis, un jeu théâtral (incarner un comédien et faire des bouts de pièces) dans le jeu vidéo.

L'exercice ici est de pasticher les pratiques théâtrales voire les genres en les caricaturant allègrement. Du coup, pour amadouer le spectre d'un dramaturge cherchant à dissimuler une pièce (mêlant tragédie et comédie) que les querelleurs vous somment de retrouver, vous allez devoir incarner une femme éperdument amoureuse déclarant sa flamme, un soldat mourant au combat et j'en passe.

Chaque scène est emphatique à souhait comme pour ridiculiser cette emphase dans lequel le théâtre, Comédie française ou productions contemporaines à la Chéreau dans le cas de la France, tombe trop souvent malheureusement. Mais, au-delà de cette raillerie et de ce travail, réussi, du pastiche théâtral, on admire également la réécriture fantasque de l'histoire littéraire. La vraie.

Phèdre de Chéreau, l'emphase et le mal de tête

La tragi-comédie (2), avec ou sans trait d'union, est une vieille lubie théâtrale. L'expression date du XVIème siècle mais c'est surtout au XVIIème qu'on voit des pièces « tragiques au dénouement heureux » comme les comédies de Molière ou Le Cid de Corneille. Le XIXème, par l'entremise d'Hugo, tentera via un drame plus moderne une nouvelle alliance des « contraires ».

Comme une réécriture de l'histoire littéraire donc, les développeurs nous font découvrir, à la fin de notre enquête, et après la découverte du manuscrit caché, la première tragi-comédie de l'histoire. La caricature est une fois de plus utilisée pour imaginer une histoire parallèle, tordre l'officielle à souhait. En clair, cette première tentative, se déroulant face à un public improvisé, dans une rue, est un fiasco. La faute à une écriture idiote incapable d'assimiler deux genres pour en faire un. Les deux écoles s'associent sans se conjuguer. Le comédien pro-tragédie fait son emphase habituelle tandis que le pro-comédie répond à son partenaire en lâchant une bonne grosse blague, plus ou moins, en lien avec ce qui vient d'être dit. Une réécriture étonnante et drôle.

III) Les limites d'une saga ?

L'heure peut aussi être à la plainte. Comme reproches, on peut mentionner, entres autres, une réutilisation un peu pénible d'anciennes formules.

Prenons un exemple, l'infiltration d'une société secrète (dirigée par le gérant des usines de Bowerstone). Jusque là, rien à dire, c'est nouveau. Mais nous proposer des arènes avec à chaque fois un type d'ennemis à latter copieusement...je ne sais pas vous mais moi ça me fait lourdement penser à un épisode similaire de Fable II. D'autres exemples, ici et là, viennent nous montrer cette tendance qu'a la série, tranquillement mais sûrement, à verser dans un recyclage fainéant. De là à dire qu'on atteint les limites de la saga, on pousse le bouchon un peu loin mais quand même...c'est un avertissement.

Gameplay

Molyneux continue son entreprise de simplification. Du coup, on comprend très rapidement le truc, mais c'est au détriment d'une certaine richesse. On se retrouve très vite à refaire la même chose pour éliminer les ennemis (un coup d'épée, de fusil, de magie et une direction choisie). Certes, il est possible d'acquérir de nouvelles armes, de nouveaux sorts, d'augmenter en puissance mais malgré tout rien pour dynamiser véritablement les combats.

IV) La politique, gestion et pragmatisme

Dès le début, il est question de choix

Le début de l'aventure et déjà un choix à faire

La politique a une place importante dans le dernier Fable. Tout le jeu est comme hanté par ce spectre, de l'ambition à l'action pour terminer par la gestion, le dernier né de la trilogie molynesque fait sens et surtout mouche à plusieurs reprises.

Pour commencer, après un lever gracieux dans des draps en soie, notre personnage va très rapidement passer du conflit familial (l'opposition au frère, l'aîné), à l'opposition politique pour ne pas dire à un contre-mouvement tendant vers la révolution.

Outré par le comportement de votre frère, matant un début d'insurrection aux portes du château, vous fuyez la demeure cossue de votre enfance pour vous mêler au peuple. Des communautés fragmentées et peu enjouées. Pour renverser votre tyrannique frère, il faudra réunir le maximum de personnes car comme le dit l'adage « L'union fait la force ».

Convaincre les différents groupes ethnico-culturels, obtenir leur aide en échange d'une promesse (protection, donation d'une terre...). Les premiers temps sont à l'action et à la tractation. Une opposition politique vivante. Rien que des combats et de l'oral, pour le dire vite de la rhétorique politicienne. Le tribun armé, le Che de l'Albion.

Seulement, après avoir réuni un maximum de sympathisants, après un renversement éclair de votre frère, vous voilà aux manettes. Et, au lieu de s'arrêter là, le jeu continue malicieusement. Cette fois-ci, fini l'action classique du TPS sans conséquences ni réflexions véritables, place à la gestion politique où économie et social se mêlent.

Le tour de force est de nous proposer de siéger, gérer et voir que nos actions précédentes, voire notre grande quête révolutionnaire (fun au premier abord), implique aussi un lot de responsabilités. Chose rare, les conséquences de nos actes nous retombent dessus et nécessitent un traitement souvent délicat.

Les promesses faites, pour constituer une armée révolutionnaire, entraînent (si elles sont respectées) des conséquences économiques dures. Construire une école, une usine de traitement des déchets, assurer la protection promise, laisser une partie du domaine à une communauté...toutes ces actions ont un coût. Des dépenses, encore des dépenses. Seulement, la trésorerie d'un royaume n'est pas extensible. Faire des projets culturels et sociaux, c'est bien, mais ça ne rapporte rien et, pragmatisme oblige, un royaume a besoin d'argent pour soutenir une économie et assumer des tâches variées afin que son peuple ne crève pas.

Le dernier tiers du jeu vous demandera de faire de nombreux choix politiques

Finalement, la tyrannie du frère ne l'était pas tant que ça tant on voit dans les choix proposés que ceux du précédent roi sont probablement les plus prudents et équilibrés (entre le contentement du peuple et une rentrée d'argent suffisante). Il faut donc constamment jongler entre des mesures populaires mais coûteuses (école, écologie, relance de l'économie...) et des mesures impopulaires mais nécessaires pour engranger suffisamment de monnaie afin que le royaume ne fasse pas faillite (ouvrir un bordel, augmenter les impôts...). Une vraie leçon de pragmatisme politique, ludique et intelligente.

Surtout que, s'il n'était question que d'argent on pourrait hausser les épaules en se disant, comme Louis XIV, « L'Etat, c'est moi », mais ce n'est pas aussi simple. En effet, votre royaume est sous pression, une attaque d'ennemis est imminente. Du coup, il faut faire vite. En un an, renflouer les caisses au maximum pour pouvoir mieux protéger son peuple (l'armée est une source de dépenses) en cas d'attaque. Tout d'un coup, notre jeu d'équilibre mettant en scène l'affrontement du principe de réalité prend une toute autre dimension.

Etre un roi généreux, et c'est la faillite du royaume donc un peuple non protégé et trucider par paquets (sur qui règne-t-on, alors ?). Un roi sévère, engrangeant un maximum d'or et c'est un peuple qui survit dans sa globalité mais mécontent et pouvant par la suite vous déloger vous aussi du trône. Un vrai jeu d'équilibriste.

Par ce revirement, double articulation comme le dit Molyneux lui-même (3), Fable III distille une critique du politique sans virer dans la caricature. En aucun cas il ne s'agit de faire une charge, une raillerie un peu lourde, mais bien de proposer au joueur d'être aux manettes comme les gens qui le gouvernent. Et de voir ainsi toute la difficulté de l'exercice mêlant choix moraux (un bordel, mal ou bien ?), positionnements économiques (la relancer ou pas...), sociétaux (une école ou une usine) et j'en passe. Un volet critique assumé par l'auteur. Un volet critique surtout montrant toutes les limites de l'exercice politique lorsqu'il est question de choix et d'argent. Encore une fois, un positionnement ludique et intelligent.

Durée de vie

L'aventure reste dans la moyenne de la saga. Une bonne moyenne qui évite la frustration du "trop court" et l'ennui du "trop long". Concrètement, en une quinzaine d'heures on aura clôturé ce dernier opus de la trilogie molynesque. Seul le premier tiers est ennuyeux, la faute à un rythme un peu lent et une trop grande similitude avec le précédent épisode. Le reste s'améliore progressivement jusqu'à un beau final.

Note :

Commentaire : Fable III débute certes avec une premier tiers moyennement satisfaisant, trop proche du II, mais s'améliore grandement par la suite. Des missions prenantes, originales qui débouchent enfin sur une dernière partie bluffante, sorte de revirement intelligent nous forçant à expérimenter la gestion politique du royaume conquis. Ce dernier volet de la trilogie se termine donc en beauté nous montrant, une fois encore, que Molyneux, quoi qu'on en dise, est un vrai créateur.

Sources :

1- La mise en abyme, par Wikipédia

2 - La tragi-comédie, par Wikipédia

3 - Interview de Peter Molyneux, par le site Chronicart