Titre : La Ligne Rouge

Réalisateur : Terrence Malick

Titre VO : The Thin Red Line

Année : 1998

Cet article dévoile tout ou partie du film. Malgré tout, La
Ligne Rouge n'étant pas un film « à suspense », je ne vois pas de
contre-indication à la lecture de cet article si vous n'avez pas vu le film. Au
contraire, j'ose espérer qu'il vous donnera envie de le regarder.

Sorti en 1998, et éclipsé par Il faut sauver le soldat Ryan, La
ligne rouge
, (The thin red line en VO) de Terrence Malick est à première
vue un film de guerre traitant de la campagne américaine dans le Pacifique.
Mais en réalité, il est bien plus que cela. Là où Il faut sauver le soldat Ryan se « contente » de dépeindre
le débarquement allié en Normandie, d'en mettre plein la vue et les oreilles,
en enchaînant avec un rythme effréné des scènes d'une violence encore peu
commune à l'époque (je pense à la scène du soldat qui ramasse ses tripes sur la
plage),  La ligne rouge adopte une optique diamétralement opposée.

Si Il faut sauver le soldat Ryan s'ouvre
sur la célèbre scène du débarquement, La
ligne rouge
s'ouvre sur des soldats US déserteurs jouant sur la plage avec
des enfants polynésiens. Scène de rires et de jeux, qui surprennent quelque peu
lors du premier visionnage, et ce d'autant plus que celle-ci est assez longue.
C'est d'ailleurs un point important à noter. Terrence Malick aime prendre son
temps pour montrer les choses.

Nous
retrouvons donc le personnage « principal » (à vrai dire, il n'y a
pas de véritable personnage principal dans ce film), dénommé Witt, trouffion de
son état,  qui se fait pincer lui et ses
potes, par une patrouille venue lui rappeler son devoir envers l'Oncle Sam.
S'ensuit alors une discussion entre son sergent (campé par Sean Penn) et Witt,
nous livrant ces paroles qui s'inscriront comme un leimotiv tout au long du
film :

« - In this world... a man himself is
nothing. And there ain't no world but this one.

- You're wrong there, Top. I seen another
world. »

Le
spectateur avide de sang et de larmes, comprend alors qu'il va passer une
mauvaise soirée. L'autre, l'éclairé, celui qui s'accrochera, sera alors à même
de saisir la substantifique moelle de cette œuvre : l'émotion et la
réflexion.

C'est au moyen de longs plans posés sur la faune et la flore
de l'île de Guadalcanal, ou de ses indigènes, accompagnés de monologues , que
le première piste de réflexion se dévoile : Qu'est-ce que l'homme au
milieu de toute cette nature ? Que représente-t-il ? Il n'est rien,
et sa propension à s'entretuer le montre : s'il venait à disparaître, cela
n'affecterait pas l'ordre des choses. Cela nous pousse à nous demander : "si je
suis capable de tuer mon prochain, mérite-je de perdurer ?" Si le réalisateur a choisi de montrer un
crocodile tapi dans la vase à l'affût comme toute première image du film ce
n'est pas anodin.  « Finalement, la violence ne
fait-elle pas partie intégrante de la nature ? ». « La
nature est violente par essence, l'homme n'a rien inventé », semble répondre
le reptile...

Et pourtant... ces tribus polynésiennes vivent en
paix. Les enfants jouent avec des cailloux, se les échangent dans une
ronde qui murmure : « n'aies pas peur de ton prochain, échange avec
lui ! Cela vaut mieux que de le tuer  ». Plus loin, une colonne de soldats
(apeurés par la menace japonaise invisible), croise un grand père indigène dans
la forêt. Si ce dernier ne bronche pas, les soldats se retournent et le
dévisagent avec un air disant : « Qui est cet homme étrange, calme au
milieu de cette bataille, qui croise dix soldats sans éprouver la moindre
crainte ? », alors que notre esprit occidental formaté par notre
civilisation « dominante » nous crie que c'est ce grand-père qui
devrait être effrayé devant ces  dieux de
la mort venus sur son île !

Et la guerre me direz-vous ? Nous y arrivons. Mais
d'abord, un peu d'histoire. En 1942, l'île de Guadalcanal voit s'affronter pas
moins de 60 000 soldats US contre 30 000 soldats japonais pour la prise
d'un terrain d'aviation stratégique.  Mais
un obstacle se dresse entre la plage et le terrain d'aviation : une
colline solidement défendue par un réseau de bunkers  qu'il faudra conquérir.  L'assaut de cette colline (et le premier coup
de feu du film) ne commence qu'après 45 minutes de film, et dure pas moins de
45 autres minutes.  Autant dire que le
spectateur, impatient d'en découdre après tant d'attente est retourné. L'assaut
est dépeint de manière extrêmement précise, voire chirurgicale. Rien n'est
exagéré, accéléré ou ellipsé, au point que l'on a l'impression de regarder un
documentaire. L'assaut semble durer des heures, et on ressent toute la peur des
soldats rongés par l'attente, accroupis dans leur talus, qui se demandent s'ils
ne vont pas mourir de soif plutôt que d'être tués par une balle. Aux frappes
d'artillerie succèdent les éclaireurs, et l'interminable chaîne de
commandement. 

« - Two
batteries of 105s.

- They won't
make a dent. Over.

- No, but it
bucks the men up. It'll look like the Japs are catching hell. »

 Et soudain, ça y est, il faut y aller. Ils se feront
rapidement mettre en pièces : l'ennemi, invisible, les fauche à la
mitrailleuse comme de vulgaires cibles à l'entrainement. Il semble armé d'une
patience infinie, cet ennemi silencieux dont on ne connaît pas le visage. C'est
à peine si l'on aperçoit ses doigts sur la gâchette, ou des silhouettes courant
d'un bunker à l'autre. Les soldats japonais sont déshumanisés, renforçant le
sentiment que ces soldats américains ne savent pas contre qui et pourquoi ils
se battent. Ce n'est qu'une fois le bunker pris et l'armée japonaise en
déroute, que ces soldats montreront leurs visages... et leur maigreur. Beaucoup
se suicideront en l'honneur du Bushido. Mais d'autres se rendront. Ils seront
aussitôt massacrés par les américains, qui ne se gêneront pas pour piller les
cadavres et le camp : Ils y trouveront des photos, des lettres... l'ennemi
si redoutable d'alors devient si fragile, si humain, qu'il en devient
pathétique.

 « - Nobody wants that island...
but you. How much do you want it?

- As much as I have to, sir. »

 Revenons à l'assaut : Le lieutenant colonel Storm joue sa
carrière de militaire sur cette bataille, et n'a pas manqué d'assurer à ses
supérieurs qu'il jettera dans la bataille autant de vies qu'il le faudra pour
conquérir cette colline. Sous le charme de cette bataille où les tirs
d'artillerie sonnent comme l'orchestre d'un opéra dramatique, Il en fait une
description qui n'est pas sans rappeler celle de Candide et sa « boucherie
héroïque »

 

« Rosy-fingered
dawn. You're Greek, aren't you, Captain? D'you ever read Homer?

We read
Homer at the Point. In Greek. »

 Storm, à l'appétit aiguisé de militaire en attente de prendre
du galon depuis trop longtemps,aboie dans son téléphone de liaison mais se
heurte à l'humanité de son capitaine, jusriste de profession. Prenant le
contrepied des films de guerre habituels où le soldat se sacrifie sans hésiter
(ou presque), nous assistons au refus pur et simple du capitaine Staros
d'exécuter les ordres de son supérieur direct. Il lui
rétorque, témoins à l'appui qu'il n'enverra pas des hommes qu'il a formé depuis
deux ans au casse pipe, sans tenter une manœuvre de contournement. Nous ne
sommes alors plus sur un théatre de guerre, mais au tribunal, ce qui
n'échappera pas à Storm.

 « Now, l know you're a goddamn lawyer! This is not a
court of law ! »

 Finalement, la seule chose qui reste à ces hommes, la seule
qui puisse les qualifier d'Hommes, c'est l'amour qu'ils portent au fond de leur
cœur pour la femme aimée restée au pays, les enfants, ou la famille. Le soldat
n'appartient pas au gouvernement américain, ce n'est pas une marionnette que
l'on déplace comme un pion sur un échiquier, mais un être doté d'une âme et de
sentiments :

 « Why should I be afraid to die ? I belong to you... »

 La ligne rouge n'est donc pas un film de guerre. C'est un
film sur les hommes qui font la guerre. En ce sens il est magistral, quasiment
unique en son genre (pas tant pour la critique de la guerre, que l'on retrouve
dans nombre d'autres films)  mais par son
approche. La musique, les dialogues, les plans, les couleurs, tout y est
calibré à la perfection. Même le  rythme,
qui paraît lent, n'a pas été choisi au hasard.  A vous de vous faire une idée.