C'est la crise ! Une crise financière que tout le monde connait et qui est devenu un thème familier de notre quotidien. Mais à Hollywood une deuxième crise demeure, plus ancienne mais de plus en plus vivace et qui est devenue familière pour de nombreux cinéphiles. En témoignent les multiples messages d'exaspération qui surviennent quotidiennement sur les forums, le désintérêt affiché pour certains envers le cinéma actuel et une tendance générale à mettre en valeur les anciens grands noms du cinéma souvent une occasion pour sous entendre qu'ils ne trouvent pas leur équivalent dans le septième art d'aujourd'hui. Un sentiment qu'il était tant d'expliquer et de clarifier dans les quelques lignes qui suivront en revenant sur les causes les plus explicites (mais également les plus importantes) de cette perte de confiance envers le cinéma actuel, à travers l'image d'Hollywood qui demeure encore le principal vecteur du cinéma à travers le monde. Un sentiment qui pourrait se résumer en ces quelques mots

 

La perte d'identité du cinéma Hollywoodien

 


La première décennie cinématographique du troisième millénaire s'est achevée en laissant le sentiment d'une perte de créativité du cinéma Hollywoodien. Dans l'ensemble des blockbusters proposés depuis dix ans, un pourcentage effrayant a été consacré aux adaptations, qu'elles soient de romans littéraires à succès, de jeux vidéos et bien évidemment de bande dessinée. Les adaptations des romans populaires ne sont pas vraiment problématiques en soit à l'image de l'engouement suscité par le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson, qui a offert au cinéaste une renommée mondiale et fait de lui l'un des réalisateurs les plus appréciés de la génération actuelle.

Le sort réservé aux jeux vidéos est plus préoccupant compte tenu de la médiocrité incontestable de la plupart des films adaptés de jeux et du désintérêt voir le mépris affiché envers le média originel, les cinéastes n'ayant souvent aucune compréhension véritable du jeu adapté et se contentant d'en exploiter la moelle commerciale. Cet état de faits encourage la communauté des gamers, de plus en plus importante, à se désintéresser de ce média qui se moque ouvertement de leur passion, à tel point que plusieurs joueurs préfèreraient que les adaptations soient directement confiés aux créateurs des jeux qu'à des réalisateurs professionnels.

Le troisième élément, beaucoup plus problématique, concerne les adaptations de comic book, de part leur régularité et la monopolisation qu'elles ont instaurées dans le paysage Hollywoodien. Qu'il s'agisse en terme de budget, de marketing ou tout simplement des talents mobilisés (réalisateurs, acteurs, compositeurs, ingénieurs du son etc etc) les super héros ont mobilisés la plupart des ressources du cinéma Hollywoodien de la dernière décennie entraînant par là même son déclin.

 

 

Les super héros : le fléau du cinéma Hollywoodien ?

 

 

Dans l'immense vague d'adaptations qui déferle à Hollywood, les super héros y tiennent incontestablement la première place. Si bien sûr il ne s'agit pas de la première intervention des hommes en collant au cinéma (difficile d'oublier Christopher Reeves en Superman ou les Batman de Tim Burton) la dernière décennie a été le théâtre d'une véritable invasion des super héros dans les salles obscures, les deux entreprises majeures de bande dessinée DC Comics et Marvel transposant leur guerre de papier sur le grand écran. La qualité générale de ses adaptations est sujette à débat mais n'est pas ce qui nous intéresse aujourd'hui, le plus important étant les multiples problèmes que suscitent forcément cette domination des adaptations de comics books en dépit de leurs qualités.

En premier lieu ses adaptations de comic books limitent de manière inévitable le public ciblé par le film. Même si la plupart des films tentent de s'ouvrir au large public peu familier des comics, la principale cible visée demeure les lecteurs en y adressant fréquemment des clins d'oeils et des références qui échappent régulièrement au spectateur lambda. Actuellement, les dernières productions Marvel se rejoignent tous dans le buzz suscité par les Avengers, le futur film qui verra l'association de plusieurs super héros et qui entraine la joie des lecteurs des comics mais l'indifférence (voir l'incompréhension) des spectateurs ordinaires.

Deuxièmement il n'est pas ici question d'adaptations de bande dessinée à la portée universelle mais de super héros américains qui, quoiqu'on en dise, véhiculent des idéologies et des problématiques propres au territoire américain. A l'heure de la mondialisation et des échanges de culture, les films de super héros interpellent principalement le public américain comme si le cinéma Hollywoodien se refermait sur lui même et n'essayait plus de trouver écho auprès du public mondial. A l'heure où le mythe des USA est ébranlé, il est par exemple assez gênant de voir Iron Man faire la gloire de la puissance militaire américaine.

Troisièmement et sans doute l'aspect le plus important de tous, ces super héros demeurent des personnages de comics et ne sont jamais associés totalement au cinéma. Une dimension particulièrement inquiétante car tout média qui se respecte a besoin de créer des icônes auprès du grand public afin que celui ci l'identifie facilement. Le cinéma Hollywoodien des années 70-80 avait été particulièrement créatif en la matière avec de nombreux personnages cultes qui trouvent encore écho auprès du public des décennies après : les Jedis de Star Wars, Indiana Jones, Doc et Marty de Retour vers le Futur, les Aliens, Terminator, le Predator voir même l'icône de Bruce Willis à travers les Die Hard. La dernière décennie compte pour sa part majoritairement des héros issus de comics et qui ne sont pas reliés directement au cinéma, participant à une perte d'identité du septième art auprès du grand public.

 

Heath Ledger. Warner Bros.

 

En songeant à ces éléments, il n'est pas si étonnant que celui qui aura réussi le mieux à toucher le public à travers une adaptation sera également le cinéaste qui se sera le plus détaché de l'oeuvre originelle : Christopher Nolan avec son Dark Knight. Le film se présente davantage comme une réappropriation de l'univers qu'une simple transposition. Loin du cadre gothique et fantasmagorique associé au sombre Justicier, Nolan privilégie la carte du réalisme et de la crédibilité afin d'insérer Batman dans notre société contemporaine. Il en résulte un film qui ne parle pas du comic à proprement parler mais de l'actualité à travers le comic à l'image de l'icône du Joker remaniée pour l'occasion. Le personnage incarné avec brio par Heath Ledger aura emporté l'adhésion de tous alors qu'il ne correspond finalement que peu à l'image véhiculée par les comics, les séries animées ou le premier film de Burton. Associant la dimension malsaine et dérangeante du personnage à un caractère plus posé et une volonté de vouloir rejaillir la folie qui sommeille en chaque individu, le personnage se veut un réceptacle de l'ambiguïté de la société, dissimulant derrière sa modernité sa fascination pour la violence et le chaos.

Mais ce Dark Knight fait pour le moment figure d'exception et dans l'ensemble des films de super héros se répercutent les problèmes cités entrainant une perte d'identification du cinéma Hollywoodien, se contentant d'être une transposition d'icônes déjà existantes mais qu'elle ne parvient pas à se réapproprier et qui limitent inévitablement le public auquel le cinéma populaire fait écho. Pire que cela, plusieurs cinéastes revendiquent la fidélité à toute épreuve de leur adaptation et mettent davantage en valeur le créateur de la bande dessinée que le créateur cinématographique, à l'image de Sin City de Robert Rodriguez ou 300 et Watchmen de Zack Synder. Un aspect d'autant plus préoccupant que le cinéma Hollywoodien demeure à l'heure actuelle le principal visage du cinéma à travers le monde et le voir se resserrer sur des icônes nationales (les super héros) sans les faire accepter comme des emblèmes cinématographiques ne peut qu'entrainer la perte d'intérêt du public envers celui ci. 

 

 

Les remakes et suites ou comment affaiblir les icônes fortes du cinéma Hollywoodien

 

Et le tableau ne fait que s'obscurcir si on rajoute à cela les remakes et les suites qui réutilisent les anciennes icônes du cinéma Hollywoodien mais souvent avec maladresse et sans la virtuosité d'autrefois. Cela a débuté assez tôt avec la deuxième trilogie Star Wars qui n'a pas trouvé écho auprès du public et est presque devenue un running gag dans le cadre des suites décevantes. Par la suite, même si leur qualité est toujours l'objet de vifs débats, les deux suites de Matrix ont clairement amoindri l'estime que le grand public ressentait envers le premier film. Les licences Terminator et Predator se sont également perdues en cours de route ne parvenant jamais à retrouver la créativité des volets cultes de leurs sagas. Même Indiana Jones 4 ,qui avait à première vue tout pour plaire, a déçu. Des échecs cumulés qui ébranlent déjà ces icônes cultes du cinéma Hollywoodien à l'heure où celui ci ne parvient pas à en imposer de nouvelles qui lui seraient propres.

 

Michael C. Hall. Showtime Networks Inc.

La montée en puissance des médias concurrents

 

Cette perte d'identité du cinéma Hollywoodien est d'autant plus problématique qu'elle intervient au moment où en parallèle les médias concurrents témoignent d'une nouvelle créativité. L'exemple le plus flagrant est bien évidemment celui des séries télévisées qui ont connu une évolution considérable durant la dernière décennie. Un constat bien évidemment fâcheux pour le cinéma car les séries viennent le concurrencer sur son propre territoire, celui de la mise en scène dans lequel les séries ont appris à sacrément se défendre. Rivalisant avec le septième art en terme de réalisation ,de narration et d'interprétation, les séries peuvent de surcroit compter sur leur longévité pour exploiter une intrigue à son paroxysme en retenant constamment l'attention du spectateur. Une opportunité qui peut également devenir une faille avec des séries se retrouvant à user leur potentiel jusqu'à la moelle quitte à en perdre leur qualité et parfois même leur identité.

Cela n'a toutefois pas empêché les séries télévisées de conquérir le coeur du grand public qui parle désormais beaucoup plus fréquemment des dernières séries à la mode que des films à l'affiche. Certaines séries ont même réussies à mettre en avant des icônes devenues facilement identifiables auprès du grand public et y faisant référence comme aux héros de cinéma d'autrefois : Jack Bauer, Docteur House, Dexter, les disparus de Lost etc etc

 

 

En parallèle, la dernière décennie a également été le témoin de la suprématie des jeux vidéos devenu le premier média en terme de ventes et de popularité. Les icônes de hier ( Solid Snake de MGS, les héros des Final Fantasy) rejoignant les nouveaux symboles d'aujourd'hui (les héros d'Assassin's Creed, les personnages de Bioshock etc etc) Cette suprématie intervient également au moment où le jeu vidéo met de plus en plus en évidence sa dimension cinématographique à l'image des Uncharted souvent désignés comme les véritables Indiana Jones de la dernière décennie ou Heavy Rain, oeuvre ô combien sujette à débat et clairement désignée comme un film interactif.

Cette concurrence plus vivace que jamais semble ne pas faire réagir Hollywood qui ,au contraire de tenter de reconquérir le public par de l'innovation, limite la prise de risques à son maximum en poursuivant sa lancée des adaptations, suites et autres remakes, perdant de plus en plus de repères auprès du grand public. Du moins jusqu'à l'arrivée d'un certain Jack Sully et de ses étranges rêves.

 

Sam Worthington. Twentieth Century Fox France

 

Un vent d'espoir venu de Pandora ?

 

Quelque soit la qualité que l'on attribue à cet Avatar, il est indéniable que le film de James Cameron fera davantage de bien que de mal à l'industrie Hollywoodienne et arrivait à point nommé. Après une décennie de stagnation et de lassitude face à l'avalanche d'adaptations, de remakes et de suites qui affaiblirent grandement l'identité du cinéma Hollywoodien, l'annonce du plus grand budget de l'Histoire associée à un univers original et à première vue assez étrange avait de quoi susciter l'intérêt. Et quel projet ! Un film qui allait délaisser en grande partie l'espèce humaine (par ailleurs assez maltraitée dans le récit) pour se concentrer sur une tribu d'hommes bleus de trois mètres de haut, il y avait des chances que le public ne réponde pas présent. Mais c'était sans compter la puissance marketing inébranlable, la promesse de la 3D et l'ingéniosité du récit pour plaire au plus grand nombre.

Se faisant bien évidemment l'écho de la colonisation américaine et du génocide des Indiens comme le spectateur lambda l'aura remarqué, Avatar a surtout le mérite d'être un film ancré dans son actualité et de ce fait d'avoir une portée universelle contrairement aux adaptations de comic books. Sa mise en valeur de l'écologie à l'heure où la modernité prend de plus en plus ses droits, sa vision désabusée et assez cynique de l'humanité, l'ambiguïté du personnage de Jack Sully tiraillé entre son identité réelle et imaginaire traduisant la montée du virtuel et des doubles identités, tous ces divers éléments associés à un spectacle Hollywoodien de grande qualité ont permis à Avatar de s'imposer comme le véritable blockbuster identifiable de la dernière décennie . Même si bien évidemment la curiosité suscitée par la 3D a beaucoup jouée dans l'écrasant succès commercial du film, le contexte de son apparition avec la décennie de stagnation qui l'a précédé a indéniablement eu un impact sur son triomphe mercantile, témoignant des attentes endormies du grand public à l'idée d'avoir un spectacle nouveau, le plaisir de la découverte d'un nouveau monde et la sensation d'avoir un film adressé à tous et non à une branche d'individus en particulier (les amateurs des comics et le public américain). 

 

Leonardo DiCaprio. Warner Bros. France

 

Et tant pis s'il est devenu monnaie courante de cracher sur Avatar depuis sa domination sur le box office, sans doute parce que cela fait chic, ou que le film a également provoqué la vague de la 3D bien peu convaincante jusqu'à présent, le film aura eu le mérite de réveiller les producteurs Hollywoodiens en rappelant qu'avec une prise de risque calculée et une bien plus large portée le cinéma pouvait reprendre ses droits. L'année suivante, cette renaissance de créativité dans les blockbusters aura été poursuivie par l'intervention d'Inception, à nouveau un récit original, assez complexe dans son mélange des genres et sa narration audacieuse, et qui a trouvé écho auprès des cinéphiles et du grand public. On pourrait presque s'enthousiasmer à dire qu'on avait pas vu un blockbuster aussi audacieux dans sa démarche depuis le premier Matrix mais il convient tout de même de relativiser en rappelant que Christopher Nolan n'aurait certainement pas pu engagé un tel projet sans le succès extraordinaire de son précédent Dark Knight. Le comic book et de manière plus globale les adaptations semble être encore un cap difficile à éviter avant la mise en place de projets plus ambitieux. Néanmoins le succès critique et commercial du film arrive au bon moment après le triomphe d'Avatar et pourrait inciter la production générale à faire preuve de davantage d'audace.

Récemment Ridley Scoot a annoncé abandonner le projet de préquelle d'Alien au profit d'un nouveau projet de science fiction annoncé comme plus audacieux et avec la volonté de surpasser l'engouement suscité par Avatar. Une initiative encourageante et plus prometteuse pour l'avenir d'Hollywood même s'il reste maintenant à déterminer si elle sera suivie.

 

 

 

L'année 2011 a battu le record des suites de films, la dernière décennie celle des adaptations de supers héros et les plannings des grandes maisons de productions incluent encore de nombreuses adaptations de comics dans les années à venir (un reboot de Batman est déjà annoncé aprés le dernier opus de Nolan ainsi que la Ligue des Justiciers, équivalent des Avengers). Autant dire que la vague des super héros et autres adaptations n'est pas prêt de prendre fin, le seul espoir que l'on peut se permettre est la création d'une vague parallèle de blockbusters plus audacieux et originaux qui permettraient au cinéma de conserver une identité auprès du grand public. Dans le cas contraire et sans vouloir jouer les discours alarmistes, le désintérêt global envers le septième art pourrait survenir beaucoup plus vite qu'on ne le pense. Et ce serait regrettable tant cette époque regorge de talents cinématographiques qui ne demandent qu'à saisir l'opportunité de se démarquer, mais encore faut t-il qu'on leur accorde cette chance.

J'espère en tout cas avoir pu vous faire comprendre à travers ces quelques lignes les inquiétudes qui me traversent et qui semblent être partagés par de nombreux cinéphiles. N'hésitez pas à réagir à la lecture de ces lignes, même si vous avez une vision plus optimiste de la situation actuelle. Ce genre d'articles davantage porté sur la réflexion globale que la critique sera certainement assez fréquent dans les mois à venir sur ce Blog.