Dark Souls. Rares sont les (hardcore) gamers à avoir su invoquer le courage et la persistance nécessaires pour en venir à bout. Moi-même, après cinquante heures de jeu, suis toujours en attente du dénouement final qui ne daigne décidément pas poindre à l'horizon. Malgré cela, l'expérience que j'en ai tiré fut d'une telle intensité qu'il me serait insoutenable de ne pas la retranscrire en ces lignes. Car en plus d'être un tiraillement terriblement incessant entre plaisir et souffrance, Dark Souls est aussi et avant toute chose, une fable d'une vénusté formidable.

Au sortir d'un Demon's Souls à la direction artistique hallucinante, à l'OST marquante à vie et à la progression déjà impitoyable, j'étais loin de me douter que son fils spirituel transcenderait d'une telle force un concept si unique et ardu à réaliser pour quelque équipe de développement que ce soit, aussi talentueuse puisse-t-elle être. Pourtant, à peine le jeu lancé, la première baffe m'est infligée. J'admire alors ce qui est sans doute l'intro la plus impressionnante et la plus brillante qu'il m'ait été donné de voir dans un jeu vidéo.

L'aventure débute ensuite tranquillement. Le prologue étant relativement pépère et semblable à Demon's Souls, j'avance le regard circonspect. Jusqu'au moment où, enfin, une scène d'un génie inqualifiable a lieu pour faire office de transition vers le réel commencement de l'expérience. Dire que mon regard s'est illuminé à ce moment là, serait un euphémisme. Car c'est en arrivant, à bout de force, sur le bord d'une falaise charnière, que subitement, mon personnage se fait emporter par les serres d'un immense corbeau. Le tout sous les paroles d'une voix narratrice qui nous clâme notre inéxorable sort. Le chemin sera long et dur, mais il ne tiendra qu'à nous de reconquérir le royaume désolé vers lequel ce majestueux corbeau nous mène... Finalement, l'ovipare géant nous dépose sur des terres qui deviendront quasiment notre seul et vrai lieu de repos durant le jeu : "Le sanctuaire du Lige-feu". Un sublime phrasé, empli de mélancolie, joué par des violons et une harpe, me caresse les oreilles pendant que je me remets de la chute. En jetant un oeil alentour, je suis alors frappé par l'agencement architectural de ce sanctuaire à ciel ouvert : visiblement, une multitude de chemins en découlent. Mes doutes se dissipent peu à peu quand j'eusse progressivement débroussaillé quelques-uns d'entre eux. J'en suis à présent certain, le monde de Dark Souls est totalement ouvert certes, mais il est surtout d'une beauté et d'une cohérence visuelle assez abasourdissantes pour permettre d'affirmer que les gars de From Software sont des lumières, attachées à un soucis du détail que j'aurais pourtant cru exclusif à l'autisme. D'ailleurs, en parcourant l'intégralité de l'univers du jeu, ce constat ne cessera de s'offrir à moi. Tel un preux chevalier, je parcourrai un gigantesque château sous le joug d'un dragon de feu, je ferai une halte dans le forêt de Noiresouche, gardée par un gros matou tout droit sorti d'Alice au Pays des Merveilles version dark, ainsi que de Sif le Grand Loup Gris. J'irai aussi dans la "Vallée des Drakes", dans un lac où baigne un dragon d'eau à sept têtes, dans une cité enfouie et hantée, ou encore dans les souterrains où se dressent catacombes, égouts, cratères volcaniques, et même le "Hameau du Crépuscule" qui n'est pas sans rappeler le poisseux "Val Fangeux" de Demon's Souls. Sans oublier la "Forteresse de Sen" où nous attendent d'innombrables pièges mortels qui renvoient sans mal au fameux passage de fin d'Indiana Jones et la Dernière Croisade. La plus phénoménale des découvertes restant celle de la cité d'Anor Londo, une gigantesque ville au style gothique que l'on découvre par delà les montagnes. Outre la surprise de découvrir un lieu aussi vaste à ce stade du jeu, c'est surtout son esthétique qui est marquante. De plus, elle est accompagnée par une profondeur de champ phénoménale qui ne laisse échapper aucun détail, et enveloppée d'un ciel nuageux où les rayons de soleil percent de part et d'autres pour donner vie à un éclairage orangé sublissime (Cette imagerie moyen-âgeuse et onirique me rappelle, par petites touches, la fin du Sacré Graal des Monthy Python, lors de la traversée sur l'eau). Pour résumer, Dark Souls est un véritable voyage, et grâce à la fluidité de transition entre tous ces lieux ainsi qu'au level design si irréprochable, jamais je n'aurais ressenti une telle immersion dans un décor.

 Surtout que, la difficulté y aidant, on prend inévitablement notre temps pour s'en délecter. La tristesse et le désespoir sont partout, entâchent le ciel de ce monde, marquent le visage et la voix des quelques humains que l'on rencontre durant le parcours. Du coup, notre solitude ne fait qu'accroître et alourdit d'autant plus notre exaspération à scruter les lourdes animations de notre avatar, qui se démène pour terrasser chaque monstre, un par un. Et autant dire qu'il faut un moral d'acier pour jouer à Dark Souls sur la longueur. C'est simple, le moindre petit combat s'apparente presque à un duel contre les chevaliers de Zelda II : Adventure of Link, c'est dire ! Toujours être sur le qui-vive, sur la défensive mais pas trop, faire attention aux risques géographiques alentours, aux pièges, ne pas se décourager si l'on meurt et recommencer jusqu'à ce que ça passe... Sincèrement, tout est fait pour que l'on se surpasse constamment et qu'on prenne nous-même l'initiative de "dompter" le jeu. Même les musiques, n'intervennant que lors des combats décisifs, semblent vouloir nous achever de par leur virtuosité et leur orchestration si puissante et sophistiquée. Les sons de cordes éviscérées, les choeurs horrifiques, les rythmes martellés aux timbales, de même que le souffle des cors au caractère inéluctable, contribuent à mettre en exergue la puissance fatale et terrorisante des boss. Pour tout vous avouer, je n'ai jamais autant souffert dans un jeu vidéo. Des Game Over m'ont vraiment fait pousser des cris de douleur et j'ai même parfois été dans une détresse totale, jusqu'à en faire une dépression.

Le thème rattaché à Nito, qui définit bien la violence avec laquelle il nous pulvérise.

Mais ce qui est fort avec Dark Souls, c'est que plus notre souffrance est grande, plus notre jouissance est absolue lorsqu'on se débloque d'un passage qui semblait pourtant insurmontable. De l'instant victorieux au plaisir de la récompense, chaque moment "post-boss" est un évènement en soi. Personnellement, la victoire, pour sa récompense, qui restera à jamais gravée dans ma mémoire de gamer, demeurera celle sur les hyper agressifs Ornstein et Smough. J'ignore pourquoi exactement, mais j'ai trouvé le passage qui suit, d'un rythme et d'une atmosphère totalement tranchés avec le reste du jeu, et c'est justement ce qui fait toute sa poésie : Après en avoir bavé pour les terrasser, j'arrive face à une grande porte. Je m'apprête à pénétrer dans cette salle, la porte s'ouvre sous le poids de mon corps épuisé par le récent combat, et de l'ouverture surgit une lumière divinement chaleureuse, comme si le soleil se dressait juste devant moi. J'entre, et après que mes yeux furent habitués à la lumière, j'aperçois la silhouette d'une femme allongée, à la taille d'une déesse. Après réflexion, je me souviens l'avoir aperçue sur un tableau à l'intérieur même de cette demeure : c'est la reine du royaume... La musique s'intensifie, les accords deviennent de plus en plus ravissants et tout en m'approchant de cette vision hors du temps, une voix suave s'adresse à moi. C'est cette déesse qui me récompense pour mes efforts et qui désire léguer le Calice Royal à l'humble mortel que je suis, instinctivement agenouillé devant tant de splendeur et d'allégresse... Une pure consécration, inoubliable !

 

Dark Souls m'a donné autant qu'il m'a pris. Il m'a fait verser des larmes de souffrance, mais aussi de soulagement, d'émerveillement. C'est finalement en comprenant les émotions que véhicule le concept de Dark Souls, que je me suis conté ma propre histoire. Mais c'est aussi en vivant cette expérience que je me suis forgé une autre façon de voir la vie, qui elle aussi a son lot de défis à surpasser. Rien que pour ça, je ne peux que vous conseiller de vous y mettre, si ce n'est pas déjà fait ! Et dire que je n'ai toujours pas fini le jeu...

 

Leobiwan