Réaliser une critique n’est pas un exercice aisé. Outre la qualité de notre étude, il faut se demander comment évaluer une oeuvre. Doit-on la critiquer pour ce qu’elle est, ou en lien avec d’autres ½uvres qui lui sont affiliées ? Je choisis la première méthode. 

Une partie des joueurs ont été déçus par Bioshock Infinite car son gameplay était trop différent du premier Bioshock, moins complet, plus classique, plus linéaire. Tel ne fut pas mon cas.

 

Bioshock Infinite est un FPS (un jeu de tir en vue subjective) dans lequel nous incarnons Booker Dewitt, un privé, envoyé dans la cité volante de Columbia à la recherche d'une jeune fille nommée Elizabeth. "Ramenez la fille et nous effacerons la dette", telle est la mission. Le jeu propose un gameplay FPS classique : Booker peut s'équiper d’une arme dans une main et, dans l’autre, il peut choisir de s'équiper d’un tonique, une sorte de pouvoir. L’arsenal est assez varié mais classique, l’originalité réside dans le fait de chercher du côté des toniques. Par exemple : les éclairs, le feu, la lévitation, etc. Les choix sont nombreux. Vous devrez vous frayer un chemin à travers la ville en tirant sur une multitude d’ennemis venus vous empêcher de mener à bien votre contrat. Les sensations de jeu m'ont rappelé positivement celles des FPS classiques. Afin de vaincre vos ennemis, il vous faudra jouer entre vos différentes armes et pouvoirs, tous pouvant être améliorés. De cet aspect, vient le plaisir de jeu, selon moi : tester différentes combinaisons de pouvoirs et les mélanger avec les armes. Nous sommes face à un FPS nerveux et bien calibré, car chaque arme possède ses points forts et ses points faibles. Bioshock Infinite n'est, en réalité, qu'un long couloir parsemé de zones plus grandes à explorer ; l’ensemble vous offre suffisamment de marge de man½uvre pour mener les affrontements comme à votre gré. L’intelligence artificielle des ennemis est loin d'être satisfaisante, elle manque au jeu pour parvenir à un très bon game design malheureusement. Ils ne planifieront guère de tactiques pour vous débusquer, ils ne chercheront pas à vous contourner, etc. Cela est regrettable, d'autant plus que le reste des mécaniques de jeu fonctionne. 

 

Bioshock Infinite comporte néanmoins deux originalités de gameplay. La première, mineure, est la possibilité de s'agripper et de glisser sur des rails qui parcourent la ville, ce qui vous permet donc de vous déplacer rapidement dans certaines zones de combats. La plus importante subtilité du système de jeu est la présence d'Elizabeth. La jeune femme vous accompagnera et pourra se servir de failles afin de faire apparaître des éléments qui pourront avantager votre périple (des munitions, des tourelles automatiques, de nouveaux éléments de décors). Elle pourra également vous prodiguer des munitions, des objets de soins en nombre limité pour ne pas trop faciliter l'expérience. Elizabeth ne sera pas un simple acolyte : elle réagira aux évènements et elle n'hésitera pas à vous donner son point de vue. Elle pourra flâner lorsque vous stopperez votre progression, tout est fait pour qu'elle paraisse la plus autonome et humaine possible.

Graphiquement, sur consoles, le jeu se situe dans la bonne moyenne. Il est beau mais la qualité des textures et des modèles 3D n'est pas ce qui se fait de mieux en matière de FPS. La jouabilité est tout ce qu’il y a de plus classique et de bien calibrée pour jouer avec une manette. Le level design est bien moins tortueux que Bioshock mais il reste en adéquation avec l’orientation du jeu. La partie sonore du titre n’est pas en reste : elle est vraiment d’une grande qualité. Les musiques sont très belles et certaines d’entre elles m'ont réellement marqué, si bien que je peux toujours les entendre résonner dans ma tête. Mais ce qui a transcendé mon expérience, c'est le doublage du jeu, et notamment celui de Booker et d'Elizabeth. Les deux doubleurs nous livrent d'excellentes prestations et pour peu que vous soyez fans de la voix de Booker comme moi... Un réel plaisir !

 

L'histoire se déroule en 1912, à Columbia. Cité utopique créée avec l'aide du gouvernement américain, elle a, cependant, échappé à son contrôle. Désavouée, la localisation de cette cité fut perdue. Columbia est gangrénée de l'intérieur, reflet d'une Amérique idéalisée par son gourou Comstock qui souhaite purifier la sodome inférieure. Booker est engagé par de mystérieux employeurs afin de libérer une jeune fille, Elizabeth, contre l’effacement de ses dettes. D'apparence utopique, Columbia vous révèlera peu à peu son vrai visage après un prologue très immersif et toujours aussi soigné. Les thématiques du jeu sont nombreuses et elles prennent place dans un contexte historique mouvementé : sectes, conséquences de la guerre de Sécession, ou encore racisme. Le jeu construit en partie son scénario sur la relation que Booker va entretenir avec Elizabeth, relation qui évoluera au fil de l'aventure, entraînant par la même occasion des moments forts en émotions. Je ne rentrerai pas plus dans les détails du scénario de Bioshock Infinite. Néanmoins pour ceux qui se le demandent, oui, Bioshock Infinite est lié, dans une certaine mesure, à Bioshock.

Bioshock Infinite représente également une direction artistique vertigineuse, c'est le cas de le dire ! Columbia est un personnage à part entière. Contrairement au premier Bioshock, Infinite est très coloré, très aérien : nous sommes loin de l'ambiance angoissante et claustrophobique de Rapture. Dès les premières minutes du jeu, on remarque que le souci du détail est toujours aussi important et cet ensemble de détails permet de créer un monde vivant et crédible.

 

L'univers de Columbia rappelle évidemment Rapture tout en étant différent. Du côté des ennemis, on ne retrouve pas les « chrosomes », individus dégénérés de Rapture. Vous serez ici confrontés aux forces de l'ordre de Columbia. Certains ennemis rappellent les fameux Big Daddy du premier opus. Infinite propose lui aussi son ennemi emblématique sous la forme de Songbird, mais je n'en dirai pas plus. Pour conclure sur l'univers, les fameux toniques rappellent évidemment les plasmides de Bioshock mais, malheureusement, leur existence dans le monde de Columbia n'est pas clairement expliquée.

 

Le dernier point que j'aimerais aborder au sujet de Bioshock Infinite est la façon dont je vois son game design par rapport à son histoire. Comme je l'ai dit précédemment, beaucoup de joueurs ont été déçus par l'orientation du jeu vis-à-vis de son aîné. D’après moi, la comparaison n'a pas lieu d'être. Dans Bioshock nous incarnons un personnage inconnu dont l'avion s'écrase près d'un phare au milieu de l'océan. Il se retrouve alors piégé malgré lui dans la cité sous-marine de Rapture, au milieu de ces anciens habitants dégénérés. Il va donc explorer cette cité afin de trouver un moyen de s'échapper, mais il va aussi partir à la recherche de réponses sur les origines de la décadence de cette cité utopique. Dans Bioshock Infinite, Booker se rend à Columbia parce qu'il a une mission à accomplir : il connaît son objectif et il en connaît la nature. Son but n'est pas de trouver des réponses et ça ne l’intéresse même pas. Il retrouve rapidement Elizabeth et par la même occasion un moyen de quitter la ville volante. Le rapport au personnage n'est pas le même. Dans Bioshock, le protagoniste ne parle pas et l’on ne connaît pas son apparence. Il s’agit d’un procédé qui nous plonge dans sa peau, nous sommes le personnage. Dans Infinite, Booker possède une voix et un visage, on le dirige mais nous ne sommes pas lui. Au final, s’il y a peu d'exploration dans cet épisode c'est aussi parce qu’il ne s’agit pas du but de Booker. Il veut seulement remplir son contrat et effacer ses dettes. Dans Bioshock, nous sommes en focalisation interne, donc libres de fouiller Rapture afin de trouver les réponses à nos interrogations. Il faut également souligner le fait que Bioshock est un périple solitaire tandis que, dans Infinite, nous serons suivis par Elizabeth dans la quasi totalité du jeu. Le game design de Bioshock Infinite est en adéquation avec son propos. Jusque dans la justification de l'action. Booker devient la cible de toute la ville car il est le faux berger que tout Columbia redoute, il s’agit d’une démonstration du pouvoir que peut avoir un prophète sur un groupe d'individus qui n’est plus capable de réfléchir par lui-même.

 

Si l’on compare Bioshock à Infinite, on peut être déçu par ce dernier à cause d’un level design moins travaillé et d’un gameplay moins complet. Néanmoins, les comparer n’a pas d’intérêt, selon moi, tant les deux sont différents. Bioshock Infinite fut l'un de mes jeux favoris de l’année 2013, j'ai pris un plaisir non dissimulé à arpenter les rues de Columbia, tout en tirant sur cette bande de fanatiques prêt à tout pour éliminer Booker, trop aveugle pour voir qu'ils subissent les rêves démesurés d'un prophète qui se prend pour Noé, dont l’arche est Columbia. L'histoire, ainsi que la relation qu'entretiennent Booker et Elizabeth, m'auront également laissé une trace. C’est le genre d'histoire que l’on n’oublie pas.

 

Waylander