Mercredi 5 février 2014, quatre heures du matin. Comme souvent, impossible de m'endormir. Que faire pour passer le temps ? Je pose mes yeux sur ma tablette tactile Galaxy© Tab 3 de Samsung©, je lance trois invitations pour débloquer le monde suivant dans Candy Crush, mais personne ne répond puisque tout le monde dort. J'allume ma Playstation 3, lance GTA V, et regarde avec des yeux de poisson mort l'écran me proposant une mise à jour de 250Mo. Avec ma connexion, c'est l'équivalent de 7 ans. 

Je décide finalement de regarder de Blu-ray de L'Impasse de Brian de Palma. Ca fait longtemps que j'ai pas regardé L'Impasse, au moins deux semaines. J'arrive sur le menu principal qui me propose le film en Version française et en Version originale sous-titrée en Français (ou les sous titres de n'importe quelle autre langue). Après 25 minutes à regarder l'écran avec l'air tellement mort qu'on aurait dit Ryan Gosling en train de montrer sa plus belle performance, je lance la version française.

Et j'ai kiffé, oh que oui. Bien plus que toutes les fois où je l'ai vu en Version Originale.

C'est ça, moque-toi de moi, Al. Mais ton ancien doubleur est aussi talentueux que toi.

Le débat entre la version française et la version originale sous-titrée n'en est quasiment plus un. Il semble qu'on puisse résumer l'opinion "interwebienne" ainsi : le bon goût veut qu'on regarde ses films et joue à ses jeux en version originale (dans la mesure du possible), et qu'on pue du bec lorsqu'on désire avoir une version traduite et doublée dans la langue de Morsay.

J'ai donc essayé de comprendre pourquoi cette haine de la version française devenait de plus en plus courante.

Il va de soi que certaines oeuvres majeures du cinéma ou du jeu vidéo modernes ont grandement participé à cette méfiance de la version française. Il est par exemple impossible de rédiger un article sur le doublage sans évoquer Metal Gear Solid sur Playstation, avec en lieu et place de David Hayter (pour la version anglaise, qui est devenue plus emblématique encore que la version originale), notre bon vieil Emmanuel Bonami et son désormais fameux "Tu veux qu'on se tire l'oreille ?".

Si l'amateurisme ambiant de cette version française vient, d'une part, du surjeu évident des doubleurs (non pas que les doubleurs anglais ne surjouent pas, ce qui me pousse à citer Truffaut qui disait à propos notamment du jeu d'acteur :"Il n'y a pas de mauvais films, il n'y a que des réalisateurs médiocres"), il faut tout de même mentionner la traduction risible ("Fais-moi sentir vivant"), ainsi que le fait qu'il semble que les voix aient été enregistrées dans une boîte métallique de deux mètres carré.

On peut en citer, des oeuvres à la VF simplement ratée, probablement enregistrée ou traduite dans des conditions excécrables. La plupart des jeux japonais sont traduits en français d'après la version anglaise, multipliant donc le risque d'erreurs de traduction, et accochant de monstruosités syntaxiques riches en contresens et autres incohérences. Pas vrai, Final Fantasy VII ? 

 Cliquez sur l'image pour voir l'interview (Allocine) de José Luccioni  (Sully de Uncharted, Lynch de Kane & Lynch...) à propos des conditions dans lesquels les doubleurs de jeu vidéo français travaillent.

Mais outre ces oeuvres tout simplement mal traduites, mal doublées, voire carrément incomprises par les studios de traduction, l'argument numéro un en faveur de la version originale sous-titrée en français, c'est la fidélité à l'oeuvre du réalisateur-développeur-scénariste. Effectivement, à l'écriture d'un scénario, les dialogues sont écrits de sorte à ce que la traduction et le doublage - de part leur existance même - ne peuvent en être l'exacte adaptation. Il y a des notions phoniques et rythmiques qui ne peuvent dans tous les cas pas exister autrement que dans leur forme originale. Ce serait comme tenter de traduire Le pont Mirabeau du père 'Popolinaire. Impensable, mon bon monsieur.

Difficile de remettre en question cet argument. Pourtant, par une pirouette fantastique, je me dois de le faire.

Le cinéma, le jeu vidéo et le théâtre sont de base des oeuvres collectives. Evidemment la notion d'auteur y est très forte (surtout en France), mais un réalisateur ne peut faire un film seul, il sera forcément accompagné d'un Chef Opérateur, un Ingénieur Son, un Producteur pour le tournage, un Monteur, un Etalonneur,  un Mixeur Son et autres Compositeurs pour la post-production. Tant de postes qui ont légalement leur mot à dire sur les oeuvres sur lesquelles ils travaillent (le réalisateur ne peut pas exemple pas décider au cours du montage de mettre son film en noir et blanc sans l'accord du directeur de la photographie).

Nous en arrivons enfin aux acteurs. Bien entendu, les comédiens font intégralement partie de l'équipe artistique du film et ils ont tout autant le droit de protester contre des choix qui vont à l'encontre de leur travail (couper le son d'une scène sans qu'on ne puisse entendre les dialogues, par exemple). Je n'apprends rien à personne en disant qu'il arrive parfois qu'en plein tournage, un acteur puisse improviser un dialogue, une réaction, un mouvement de cil qui donnera une ambiance radicalement différente à une scène vis à vis de ce qui était dans le scénario.

Probablement l'une des improvisations les plus célèbres du Cinéma moderne.

Si j'évoque la liberté créative de l'acteur de cinéma, c'est avant tout pour remettre en question l'illégitimité qu'on accorde aux doubleurs de langue étrangère à l'oeuvre d'origine. Si on prend en compte le fait que le réalisateur ne peut être maître de tout, que ce soit par des obligations techniques ou financières, ou des volontés artistiques des autres membres de l'équipe, pourquoi est-ce que la liberté que prend le doubleur par rapport à l'acteur n'est pas traitée de la même manière que celle prise par l'acteur vis à vis du scénario ?

Quand on parle de fidélité à l'oeuvre originale, on fait fréquemment l'erreur de penser qu'un film est une oeuvre originale en soi, alors que c'est en réalité une succession de personnes mettant à contribution leurs talents pour adapter à l'écran la vraie oeuvre originale : le scénario. Dans l'absolu, tout film (hors documentaire) est une oeuvre dérivée adaptée d'un scénario. Ainsi, ce qu'on appelle la fidélité apparaît comme finalement très relative, et ce qui peut être considéré comme un ajout hérétique à une oeuvre déjà établie peut également être vu comme un simple apport de plus par des artistes mettant à contribution leurs talents de doubleurs pour l'oeuvre.

Pour continuer sur la notion de fidélité, je vais reprendre un élément souvent cité par les deux cancres au fond de la classe qui voudraient qu'il y ait le choix d'une version française dans les jeux à monde ouvert. Dans un Grand Theft Auto, lorsque deux personnages discutent et que le joueur doit conduire dans le même temps, il est difficile de se concentrer à la fois sur les sous-titres (qui sont, de plus, en bas de l'écran) et sur la route. Si cet argument est intéressant (mais pas forcément représentatif de la notion de fidélité que j'essaye de décrire), il l'est encore plus quand on le met en parallèle au cinéma.

La Version Originale Sous-Titrée a beau apporter l'authenticité du jeu d'acteur que n'aura jamais la version doublée en français, elle n'est pour autant pas dénuée d'infidélités au film original. En effet, si on suit la théorie du film d'auteur et qu'on accepte que le doublage est un affront à la vision que le réalisateur a de son film, qu'en est-il d'un texte blanc apparaîssant à chaque dialogue et empêchant le spectateur de regarder l'image ?

Qui aurait envie de se faire gâcher ce plan de dingue par un sous-titre ? Personne. VOUS M'ENTENDEZ ? PERSONNE !

Deux exemples me sautent aux yeux lorsque je pense à l'infidélité qu'est le sous-titre à l'univers cinématographique. Le premier, c'est Tree Of Life (ou n'importe quel film de Terrence Malick). Tree Of Life est un film on ne peut plus contemplatif, dans lequel chaque image en cache une autre, où tout est à analyser, à remarquer et c'est au spectateur de faire tous ces liens. La narration de Malick suit un schéma fort simple : Des images mystiques sur de la voix off chuchottée. Ainsi, la photographie étant tellement importante, on est en droit de se demander s'il ne vaut mieux pas sacrifier l'authenticité du jeu d'acteur original (qui n'est bien souvent "que" de la voix off) au profit de l'image, qui ne sera donc pas envahie d'un texte empêchant le spectateur de se focaliser sur les innombrables éléments esthetiques.

Venons-en au second exemple, qui me semble tout aussi parlant, mais aussi un peu plus personnel. Je suis allé voir Le Vent se Lève de Miyazaki à deux reprises en version originale (japonais, donc) sous-titrée, quasiment coup sur coup. Mon premier visionnage fut classique : je suis l'histoire, je regarde les moments silencieux ou musicaux, j'admire le dessin et l'animation. Lors de mon second visionnage, je n'avais quasiment plus à lire les sous-titres puisque je connaissais déjà l'histoire. Et ça m'a clairement sauté aux yeux : toutes ces animations, ces décors, ces détails sur lesquels des gens ont travaillé d'arrache-pied afin d'étoffer leur univers graphique... J'avais totalement ignoré ces éléments au profit de la lecture des dialogues.

C'est ce qui m'a fait prendre conscience du côté pervert et profondément ingrât du sous-titre. Dans un film avec de vrais acteurs et vrais décors, ça n'est pas toujours quelque chose d'évident. Le cadreur filme de jolis nuages, certes, mais ce n'est pas forcément son nuage à lui qu'on loupe à cause des sous-titres. Dans un film d'animation, en revanche, il n'y a pas d'élément laissé au hasard. Tout y est calculé, prémédité, et surtout réfléchi. De ce fait, ne regarder qu'un tiers de l'écran, c'est passer à côté d'une quantité phénoménale de détails, pour le plus grand mépris des créateurs. Dans un autre registre, il m'est arrivé exactement la même chose en regardant Y a-t-il un Pilote Dans L'Avion ?, et comme un bon tiers des gags se situe au second plan... 

Voilà, c'est pour ça que j'ai autant apprécié mon visionnage de L'Impasse en Version Française, pour toutes ces raisons-là : pour ce qu'apporte les extraordinaires (je pèse mes mots) doubleurs, pour le bonheur de pouvoir apprécier la construction des plans de Brian de Palma, pour contempler la représentation du New York puant des années 90 sans être gêné par du texte blanc qui vient se mettre en opposition entre moi et le film tel un gamin lançant du pop-corn sur l'écran en plein visionnage d'un très bon film (au hasard, Dragon Ball Evolution). Pour tout ça quoi.

 

Ou alors, vous pouvez apprendre toutes les langues du monde. Ca marche aussi.