"─ Allez, viens par là, toi..."
Link s'approchait doucement en gardant les bras écartés. Une de ses mains tenait un bouchon de liège, l'autre un flacon de verre.
Exactement entre les deux se trouvait une petite fée.

Petit orbe scintillante dans la pénombre, on devinait en son coeur un corps humanoïde minuscule d'où sortait deux paires d'ailes brillantes aux battements rapides. La pixie voletait maintenant prêt du coin de la salle. Link surveillait depuis cinq minutes de la créature, profitant de ce répit, Il sorti en urgence un flacon vide de son sac.
Il avait déjà rencontré des fées bien sûr, mais toujours à proximité d'une source ou d'une grotte, lieux qu'elles affectionnaient habituellement.
Comment cette petite fée avait réussi à se retrouver bloqué là, mystère. Mais il comptait bien la capturer. On affirmait en effet qu'elles avaient des vertus curatives extraordinaires, chose qui, pour un aventurier solitaire, n'était pas un luxe.

La rencontre entre eux deux avait été fortuite. 
La salle où elle se trouvait était remplie de pots. A quoi pouvaient-ils bien servir? Encore un mystère. Toujours est-il qu'a l'autre extrémité de la pièce, une porte sans gonds et sans poignée empêchait l'hylien de progresser. Fouillant la pièce à la recherche d'un levier ou au moins d'un indice, Link n'avait plus d'autre choix que de plonger dans le fatras de poteries qui peuplait les coins. Celles-ci étaient la plupart du temps vide mais un rubis perdu pouvait se trouver à l'intérieur. Et parfois même une clef. Il avait donc pris l'habitude de les casser pour être certain de ne rien oublier. En soulevant machinalement les pots, sa bourse s'était remplie de deux rubis, ce qui portait ses économies à vingt-quatre. La pièce commençait à se remplir de tessons lorsqu'il aperçu enfin ce qu'il cherchait: une dalle sur-élevée placée dans l'angle.

Avant de l'atteindre, un dernier pot barrait le passage, comme les autres, il l'attrapa des deux mains et le fit voler à travers la pièce.
Alors qu'il allait appuyer sur la dalle rouillée, son attention fut attirée par une lueur dans son dos.
C'était la fée qui venait d'être libérée de sa jarre. 

La dalle allait bien attendre quelques minutes de plus...

La capture commençait à s'éterniser et Link perdait de plus en plus patience à courir après cette sale bête phosphorescente.  "J'aurai du prendre ce foutu filet à papillon", se dit-il.
Petit à petit, la fée sembla se calmer. Elle voletait désormais à hauteur d'homme, sans trop s'éloigner du coin de la pièce.
Approchant à pas de loup, Link lança son bras et la fée fut entrainée au fond du récipient. Avant même qu'elle ne se rende compte de quelque chose, le bouchon se refermait déjà sur la flacon.

Content de sa capture, Link approcha son visage pour détailler la fée. Il continua à la regarder tout en revenant vers son sac. Quand le flacon fut rangé dans une poche externe, il s'intéressa à la dalle.
Les deux pieds dessus,  il appuya de tout son poids mais rien n'y faisait, le mécanisme, sans doute millénaire, était bloqué. Link laissa échapper un putain de frustration. Il revint à son sac et en sorti une paire de gants. Tout en les mettant, il avisa une lourd bloc détaché du mur d'en face. Une fois les gants ajustés, il empoigna la pierre et la fit glisser sans mal vers l'interrupteur. Arrivé au pied de ce dernier, il mit une dernière poussée et la pierre se souleva de quelques centimètres pour glisser sur la dalle. Elle s'enfonça alors dans le sol avec un craquement.

 
Immédiatement, des rouages invisibles se mirent en branle et enfin, la porte sans gonds remonta le long du mur. Après s'être assuré que cette dernière n'allait pas retomber, Link attrapa son sac et le jeta sur ses épaules.
Tout en le rajustant, il plongea dans cette nouvelle pièce.
Elle était immense. Un plafond de prêt de dix mètres de haut en croisée d'ogives sur une longueur de trente mètres. Le mur de droite était aveugle, sa continuité interrompue par des piliers richement sculptés. Sur la gauche, le même mur mais percé de sept fenêtres hautes et étroites d'où entrait à flots la lumière de la frondaison des Bois Perdus. Sous un nombre conséquent de détritus, le sol était une mosaïque de motifs et d'arabesques complexes qui se distinguaient encore parmi les innombrables fissures qui accablaient ce sol millénaire.
Après ce rapide coup d'oeil, Link avisa les deux coins immédiat de la pièce. Pas de pièges, songea t-il. "Pour le moment" rajouta une petite voix dans sa tête.
Trois pas de plus dans la salle, et il repéra tout au fond une statue. Elle représentait un homme à genou tenant une épée fichée dans le sol.
Il senti les poils de son cou se hérisser. Combien de fois avait-il ressenti cette sensation? Ce sentiment qui le faisait reculer alors que tout semblait normal, ou qui lui faisait prendre des risques inconsidérés sur un coup de tête?
L'atmosphère de cette salle, comme suspendue dans le temps, le mettait mal à l'aise. Il entreprit de faire demi-tour lorsque les rouages de la porte se firent entendre. Il avisa son pied et se rendit compte qu'il avait déclenché  un interrupteur. "Merde", lâcha t-il tout bas. Une grille s'abattit sur le pas de la porte, interdisant toute retraite.
Demi-tour à nouveau, et cette fois il détailla la salle. Les débris... Ces débris qui jonchaient le sol étaient curieux... Il se concentra sur un tas assez proche et ce qu'il vit le glaça. Ce qui pouvait passer pour des détritus était les restes momifiés d'un homme. Un homme dont tous les membres avaient été séparés et qui formait désormais un tas informe. La réalité lui fit l'effet d'une gifle, partout dans la salle se trouvait les cadavres séchés et disloqués d'une bonne douzaine de personnes.
A l'instant précis de cette prise de conscience, un bruit de pierre et d'acier que l'on frotte l'un contre l'autre le détourna vers le fond de la salle.
La statue se relevait.

Son estomac se noua, la déglutition devint impossible. Tout en réprimant un spasme de terreur, une violente décharge d'adrénaline lui fit mal à la poitrine. Aidé par cette réaction physiologique qui décuplait ses réflexes, il pouvait maintenant aviser son adversaire et se concentrer sur le combat à venir. 
La statue acheva de se redresser et leva son arme. Après une petite pause, elle se dirigea d'un pas long et régulier vers Link.

Instantanément, l'hylien se mit en position de combat. Il décrocha une sangle de son bouclier, le fit basculer devant lui d'un roulement d'épaule et plaça son bras droit dans l'attache de cuir qui le maintenait. Il détacha la deuxième sangle ce qui le libéra de son sac. La statue vivante avançait toujours au même rythme, elle était à mi-chemin...

Du bras gauche, libre, il défit les bretelles de son sac à dos qu'il posa un peu plus loin. Il pouvait enfin dégainer son épée, ce qu'il fit d'un geste sûr.
La statue était maintenant à moins de dix mètres de lui. Elle était colossale, peut-être deux mètres trente de haut et figurait un chevalier engoncé dans une armure titanesque. Ses épaulières surchargées étaient en pierre, tout comme son plastron et ses jambières. Son casque massif, percé de deux trous vides, était encadré par deux appendices figurant des cornes. Tout le reste était fait de métal et une côte de mailles semblait se deviner sous ces lourdes plaques.
Ce n'était pas une statue, du moins pas une bête sculpture que l'on aurait enchanté comme un Stalfos. C'était un gardien, un gardien très patient qu'on avait laissé là depuis des centaines d'années, avec pour seule distraction les quelques fous venu le défier.
Ses déplacements étaient fluides, un peu alourdis mais certainement pas patauds, même si il devait porter plus de quarante kilos de protection.
Son arme était proprement terrifiante. Un espadon de deux mètres, large de trente centimètres et aussi épais que deux mains jointes. L'épée, tout comme l'armure, arborait des motifs géométriques apparentés au style architectural du donjon. L'un était donc aussi vieux que l'autre.

Link plongea avant que son adversaire arrive au contact, il plaça une taille au niveau du ventre qui rebondit sur l'armure et enchaina une roulade pour venir derrière son adversaire. Satisfait de son mouvement, il se redressa à moitié pour voir avec effroi que son adversaire lançait sa première attaque. Des deux mains, il avait déjà préparé son coup et une taille verticale s'amorçait. Sans réfléchir, Link plongea sur le coté alors que l'épée explosait le dallage derrière lui.
Remis sur ses jambes, légèrement fléchi, il reparti à l'assaut et frappa le bras. Le gardien replaça la même taille verticale que Link esquiva sans mal, il porta deux coups supplémentaires et tout aussi inefficaces sur l'armure de pierre. Un coup horizontal tenta de découper Link, mais il se baissa à temps. Pendant la récupération de son adversaire, il fit deux bonds en arrière. Le chevalier se fondit en avant avec un coup d'estoc, Link replongea dans sa garde, prit appui sur le genou droit du monstre et sauta entre ses bras tout en plongeant l'épée dans la jonction de l'épaulière avec le plastron. Il trancha quelque chose et fit levier avec son épée. La lourde protection tomba dans un bruit sourd, dévoilant l'épaule de son adversaire. Il se faufila entre ses jambes en urgence et fit la même manoeuvre de l'autre coté. Le chevalier était désormais sans épaulières.
Pensant avoir gagné un répit, Link relâcha ses muscles pour repartir à l'assaut. Et c'est avec un sourire de satisfaction aux lèvres qu'il reçu un revers de gantelet en pleine tête. La gifle le sonna sur le coup et le fit battre en retraite, mal assuré sur ses jambes. Sa joue se gonfla instantanément et irradiait d'une chaleur cuisante. Un liquide métallique emplit sa bouche, il cracha en laissant une tache rouge sur le sol.
Il recula encore de quelques pas et eu un sentiment curieux: son adversaire semblait se déplacer plus vite. 

Il réassura sa prise sur son épée, et se lança à nouveau dans la bataille. Passablement refroidi par sa blessure, heureusement pas trop grave, il redoubla de prudence. Esquivant sans cesse, feintant les attaques, Link parvint enfin à faire tomber une jambière puis la deuxième. Le lourd chevalier dévoilait alors une apparence plus longiligne, caparaçonnée dans les mailles et le cuir brun.
Plus les pièces d'armures tombaient et plus le monstre devenait rapide. Ces ripostes étaient toujours stéréotypés mais encore plus vives et sa redoutable épée à deux mains ne laissait pas le droit à l'erreur. Par deux fois le bouclier de Link avait intercepté l'arme. Son seul poids bousculait le bras de Link qui luttait pour le garder en place. Le bouclier hylien tenait bon mais une raideur dans le biceps laissait présager une crampe qui pourrait s'avérer problématique.
Autre souci, Link s'épuisait de plus en plus alors que son adversaire ne semblait même pas connaître le sens du mot fatigue. L'épée et le bouclier alourdissaient ses membres et le poids de sa cotte de mailles se faisait désormais sentir. Les cheveux collés par la sueur, les jambes tremblantes et raidies par l'acide lactique qui se déversait dans son corps fatigué faisait dire à Link qu'il n'avait pas intérêt à s'éterniser...

Il se fit violence pour repasser à l'attaque. Une taille évitée, puis une autre, la troisième le manqua d'un cheveu et il senti sur sa nuque l'air déplacé par le coup. Il porta deux attaques successives, visant à faire tomber le casque. Alors qu'il reculait au large pour préparer une nouvelle passe d'arme, un coup de taille frappa sa droite. Ses jambes endolories refusèrent de le porter pour l'esquive et Link fut contraint de se blottir derrière son bouclier, raidissant son bras au maximum pour encaisser l'attaque. L'impact bouscula Link qui fit un pas maladroit pour rétablir son équilibre. Le coup aller était passé et voilà que le retour arrivait. Opposant à nouveau son bouclier, Link senti une tension insupportable électriser son bras. La crampe venait de se loger dans son biceps et lui infligeait une paralysie intolérable. Le bouclier mal positionné, il réceptionna de l'intérieur l'estramaçon du gardien de pierre. Ainsi propulsé, le bouclier entraina le bras de Link qui eu l'impression qu'il se détachait de son corps. La douleur lui fit échapper un cri et il retomba lourdement sur le sol. 
Piteusement, il se remit debout, le bras meurtri. Essayant de retrouver un semblant de lucidité, il fut cueilli par un coup de poing qui lui coupa le souffle.
Le monstre l'empoigna par le col et le jeta au travers de la salle comme on repousse un insecte énervant.

Link retomba lourdement ce qui acheva de blesser son visage. Il avait lâché son épée et la sangle de son bouclier venait de se déchirer. Il se releva dans un réflexe de survie, pour fuir, loin, très loin. Le monstre avisa cette résistance inattendue et arriva pour donner le coup de grâce. Il réarma son épée. 
Link, groggy, le visage tuméfié et les muscles las, n'ébaucha pas l'ombre d'une esquive, et le plat de l'épée, dix-sept kilos de métal lancés à pleine vitesse, brisèrent les côtes du jeune hylien.
Link décolla du sol, littéralement. Les yeux révulsés, il avait perdu connaissance et ne se rendit même pas compte qu'il atterrissait sur son sac.
Inconscient, Link vivait une chute intérieure. Elle était interminable, dans des ténèbres angoissantes. Il sentait encore son souffle se faire douloureux, puis se comprimer jusqu'a devenir impossible. La sensation d'étouffement était ignoble. Aucun de ses sens ne répondaient, seule restait une étincelle de conscience martelée par un univers de douleur et de peur. Les ténèbres l'engloutissaient et la dernière image de son esprit fut le cortège de cadavres desséchés qu'il allait rejoindre dans cette salle anonyme des Bois perdus.

"─ On abandonne déjà?"

C'était la voix de Zelda. Une voix lointaine mais très nette.
Il se revit dans le parc du chateau. Le bonnet sur la tête, il était par terre, les genoux écrochés et beaucoup de centimètres en moins. Face à lui une fille un peu plus agée le toisait de haut avec une mine rieuse. Blonde comme lui, richement vêtue, elle lui répéta "Alors, on abandonne déjà?" "Non!" répondit un Link vexé. La jeune fille tendit alors un bras ganté de blanc et releva Link, et déja elle courrant au-devant de lui. Link avisa ses genoux ensanglantés, tapa sur sa tunique pour enlver la poussière et couru à sa suite.
Le souvenir disparut, lacéré par la douleur qui irradiait le corps de Link. Ses pensées se remirent en place à une vitesse prodigieuse, il sentit ses côtes se déplacer dans sa poitrine, tous ses membres lui faisaient mal et il avait l'impression qu'une armée de fourmis courait sous sa peau. Sa vue revenait, le bruit de la forêt au dehors aussi.
Il était vivant.
Il fit un effort surhumain pour reprendre de l'air, puis pour bouger une jambe. Enfin, il se redressa sur ses coudes en se levant dans la foulée. 
Son adversaire était tranquillement en train de regagner sa place d'origine, présentant son dos à Link. L'hylien retrouva petit à petit ses forces. Il ramassa son épée, fixa les omoplates du monstre et lança:
_"Hé! Je suis pas encore mort!" Les mots avaient jaillit de sa bouche. Pourquoi avoir dit ça? Pourquoi ne pas fuir, arracher la grille quitte à s'arracher les ongles, ou se jeter par la fenêtre la plus proche.
La créature se retourna à nouveau et Link vit la petite fée voler autour de lui. Les légendes sur les fées étaient vraies? Il n'y croyait pas encore mais toute sa fatigue s'était envolée, ses blessures étaient guéries. Toujours un peu fébrile, il assura sa prise sur l'épée, sans bouclier cette fois.
Gonflé par cette énergie retrouvée, une nouvelle décharge d'adrénaline secoua son corps et il fonça vers son adversaire. Fini les assauts stratégiques et les parades calculées. Le monstre porta une botte puissante, mais Link passa sous l'épée. Il fit déferler une pluie de coups en restant perpétuellement dans sa garde. Taille, estoc, toutes les techniques qu'il avait pu apprendre y passait... Il lançait les bottes à une vitesse ahurissante. Link était euphorique, vivant. Ne sentant plus rien, ni douleur, ni faim, ni même son propre corps, il avait à peine conscience du monde autour de lui. Libéré de tout, plus rien ne comptait, ni Triforce, ni Zelda, ni son oncle tué par cette nuit d'orage.
Un coup de bas en haut avec une extension maximale fit décoller le casque du gardien qui dévoila une sorte de cagoule aveugle de cuir brun. Désormais sans armure, ce pantin sans visage déployait une vivacité sans pareille, mais chacun de ses coups ne rencontrait que le vide. Link par contre frappait sans relâche bras, jambes, torse et tête... 
Il était plus que temps d'en finir. 
Link recula d'un pas, arma son bras au maximum et lança une taille si violente qu'il fit un tour sur lui-même. La cotte du monstre explosa, les maillons tombaient sur le sol en tintant laissant un cuir nu au niveau du coeur. Il lança une bourrade qui fit choir cette parodie de chevalier. Ce dernier sur le dos, Link en profita pour se jeter sur lui en levant haut son épée. Au maximum de sa hauteur, il abattit la lame une, deux puis trois fois dans une rage libératrice. Link déporta ensuite sa lame et la plaça une dernière fois là où aurait dû se trouver un œil de cette aberration humanoïde.
Il poussa une sorte de cri ou plutôt de vibration de douleur qui secoua les tripes de Link. Toute cette fureur s'arrêta laissant la place à un silence de mort. Silence brisé par la gigantesque épée à deux mains qui tomba lourdement sur les dalles. 

Link roula sur le coté, haletant et se redressa péniblement. Ses jambes tremblaient. Il laissa là son épée et reparti vers son sac. La petite fée vint à sa rencontre et semblait fêter son retour en se collant à son visage. Elle dégageait une chaleur très douce et ténue. Link l'a pris doucement dans sa main et l'amena avec lui. Une fois assis, il en profita pour reprendre son souffle. Pendant qu'il s'accordait un répit, la fée volait à droite et à gauche. En tournant la tête, Link remarqua que le flacon où elle se trouvait était brisé.
Les légendes disaient donc vrai.

Link tendit la main, la fée se posa dessus. Elle s'agita comme pour dire quelque chose puis elle reparti à toute vitesse en s'envolant. Elle disparut par une fenêtre pour retrouver les Bois Perdus qui avait dû lui manquer.
 
─Retrouve ta liberté maintenant, lui dit-il.