Spoiler alert: Dans cette série d’articles, étalés sur plusieurs semaines, nous allons dévoiler la majorité des développements narratifs de Persona 5. Ce post s’adresse donc en priorité à ceux qui ont fini le jeu et qui souhaitent des éclaircissements sur les références mythologiques et tarologique de ce jeu.

 

Voilà. Maintenant que l’avertissement de rigueur a été posé, nous sommes désormais entre gens de bonne et heureuse compagnie ou avec des personnes extrêmement curieuses de ce que je pourrais raconter. Merci à vous.

S'intéresser à la licence Persona conduit généralement le joueur à connaître un peu mieux le psychiatre Carl Gustav Jung (1875-1961) et son concept de Persona qui donne son nom au jeu. Présent dès les débuts de la psychologie (il fut élève et ami de Freud), son attrait pour les mythes (il fut éduqué dans une famille religieuse et s’est imprégné des livres de la bibliothèque familiale) le conduisit à l’étude des maladies mentales et à comprendre et expliquer ce qu’on appelait à l’époque les “phénomènes spirites” (le paranormal) entre autres.

Jung va intégrer dans ses travaux de nombreuses références à l’alchimie (il voit en Paracelse un psychologue avant l'heure plus qu'un simple alchimiste) et aux principes du Tao chinois. Si ses critiques lui trouve une facette bien trop mystique, Jung va néanmoins mettre en lumière le concept d’inconscient collectif, qu’il voit comme la partie la plus profonde de la psyché humaine, là où sommeillent les archétypes, représentations communes à tous les Hommes, et qui se nourrissent de tous les mythes et légendes de la création. La répétition de certains motifs mythologiques étant la preuve de cet inconscient collectif.
width="217"Cet inconscient collectif qui sera présenté dans Persona 5 par le biais des Mémentos, vous l’aurez évidemment compris (et comme le jeu est bien fait, les Mémentos rassemblent toutes les Personas croisées dans le jeu, l’inconscient collectif étant le rassemblement de tous les archétypes de l’humanité).

Un autre concept central de sa "psychologie analytique" (qu'il créé en opposition à la psychanalyse de Freud) est bien sûr celui de “persona”, que nous emploierons dans ces posts dans deux sens, l’un ne se recoupant pas nécessairement avec l’autre.

  • La “Persona” (avec une majuscule) désignera celle du jeu, c’est-à-dire l’apparence que prend le Moi du personnage dans son monde intérieur et qui pioche, en suivant les théories de Jung, dans les mythes, la religion et l’inconscient collectif pour s’incarner.
  • Le terme “persona” lui, sera la persona purement jungienne, à savoir le masque social que chacun de nous prend pour se confronter à autrui et qui diffère du Moi véritable. (la névrose pouvant exister, d’après la psychologie jungienne du fait que la persona, une fausse personne, finisse par remplacer le Moi du sujet).

En effet, les deux ne sont pas identiques, dans Persona (le jeu), la Persona est certes un masque, mais on peut aussi y voir une représentation archétypale du vrai self tel que décrit par Donald Woods Winnicott, pédiatre et psychiatre brtitannique décédé en 1971, voyant ce "vrai self" comme"des élaborations imaginatives qui deviennent rapidement très complexes et qui constituent la réalité psychique spécifique de chacun."

c’est-à-dire, pour schématiser, la représentation du sujet par lui-même, et couplé à l’optique shonen/nekketsu de l’animation japonaise, l’incarnation visuelle du "coeur" du personnage, autrement dit sa volonté/force de vie/âme, qui se mélange ici avec le Moi psychologique et les archétypes mythologiques pour donner la Persona.

Dans Persona 5, ces deux concepts vont être reliés à un troisième que l'on retrouve dans la psychologie analytique, celui de Trickster. Le trickster, (en français fripon ou décepteur) est la part enfantine qui survit en chacun de nous et qui est le domaine de l’instinct. C’est un archétype extrêmement fréquent dans tous les mythes (nous allons avoir l’occasion de le vérifier) et qui est central dans les développements de Persona 5.
Il est dans tous les mythes une sorte d’élément incontrôlable (l’instinct) qui provoque des bouleversements (volontaires ou non) plus ou moins graves dans les récits et qui symbolise le libre-arbitre, le changement, deux idées qui sont dans notre jeu, des idées-maîtresses, à savoir la rébellion face à l’ordre établi et la rupture de l’uniformisation.
Persona 5 va mettre en avant ce concept de trickster en proposant comme Personas des rebelles de fiction contemporains historiques ou fictifs (Zorro, William Kidd, Arsène Lupin...), qui sont devenus avec les ans  des figures mythologiques ou quasi-mythologiques.
Au fur et à mesure de l’avancée dans le jeu, ces Personas deviendront des “mythologicals tricksters” pour reprendre la traduction du jeu. Nous quitterons alors la simple légende urbaine pour rejoindre les tricksters archétypaux des principales religions polythéistes du monde (Hermès, Loki, Son Goku...).

 

Une fois tous ces concepts posés, nous pouvons nous attaquer au tarot de Marseille. Si le jeu de cartes est largement utilisé en divination, il est aussi un support symbolique qui fait un écho direct à l’inconscient collectif  et par extension à celui de chacun.
Chaque lame (carte) présente une figure (l’arcane) qui, par le biais de choix de couleurs, postures, éléments, mots va évoquer des archétypes (féminin ou masculin, c'est-à-dire anima ou animus chez Jung), des situations (le choix) ou des questionnements sur soi.
Tout ceci va résonner dans “l’âme” (la somme conscient + inconscient) du consultant et va le conduire à réfléchir sur ses choix, sa vie, aidé en cela par la personne qui tire les cartes. Le tarot est donc ici un outil purement psychologique qui fait appel à des archétypes, un peu comme un test de Rorscharch et ne va pas vous annoncer votre fortune prochaine ou les malheurs à venir.

Dans Persona 5 et les autres jeux Personas, le tarot est une classification des ennemis rencontrés (les ombres, un autre concept jungien, c'est la partie enfouïe de la conscience qui est masquée par la socialisation et rejetée par la morale, vous voyez le lien avec les Palaces) qui vise à les répartir en archétypes par le biais de leur background mythologique (vous trouverez dans l’arcane de l’Amoureux les Personas relatives à l’amour et à la beauté par exemple). Mais le tarot est aussi un archétype de situation et de personnalités. Ainsi, chaque personnage joueur ou non joueur avec lequel il est possible de se lier d’amitié (le Confidant) est attaché à un arcane du tarot de Marseille, ce personnage va alors incarner cette figure et en reprendre les aspects symboliques.

Ce que je vous propose dès à présent, c’est de découvrir comment ce personnage, par son histoire, ses épreuves et même son physique , incarne dans Persona 5 l’archétype auquel on le rattache afin de mieux comprendre certaines références faites tout au long du jeu.

De même, chaque personnage important verra ses Personas décrites à la fin de sa partie, ce qui permettra de présenter les références mythologiques faites dans le jeu, références qui peuvent facilement être absconses mais qui donne un sens plus profond aux choix faits par les développeurs de cet excellent jeu qu'est Persona 5.

 On commence? A moins que vous ne soyez un peu fatigué...

Chaque Confidant va faire l'objet d'un article en relation avec l'arcane qui lui a été attribué dans jeu. Si tous les articles sont immédiatement disponibles en cliquant sur les images ci-dessous, ils seront aussi publiés un par un sur ce blog à raison d'un article par semaine.

I - Le Bateleur - Morgana - Celui dont on raconte l’histoire

 II - La Papesse - Makoto - Celle qui échafaude les plans

III - L’Impératrice - Haru - Celle qui veut se libérer

III - L’Empereur - Yusuke - Celui qui s'affranchit

V - Le Pape - Sojiro - Celui qui accueille

VI  - L’Amoureux - Ann - Celle qui doit choisir

VII - Le Chariot - Ryuji - Celui qui fonce

VIII - La Justice - Goro Akechi -  Celui qui réclame vengeance

IX - L’Hermite - Futaba - Celle qui éclaire le chemin

De X à XX - Arcanes majeurs et personnages non jouables.

 En arrivant à l’arcane X, nous clôturons le premier cycle du tarot, celui de l’action matérielle sur le monde. On abandonne donc les figures humaines (Bateleur, Impératrice, Pape, Justice, etc...) pour entrer dans un monde spirituel, où les figures fantasmatiques sont dominantes (l’ange de la Tempérance, le squelette de La Mort, le Diable, les astres, une tour, etc...).

Dans Persona 5, cela se traduit intelligemment par le fait qu’on abandonne les personnages jouables pour se concentrer sur les Confidants PNJ. Les personnages jouables, en tant qu’intermédiaires entre le jeu et le joueur, appartiennent au monde matériel, ils agissent sur ce dernier et le transforme tout en se transformant eux-mêmes. Avec la deuxième partie des arcanes majeurs. on n’intervient sur ce plan matériel que de façon indirecte, les Confidants vont avoir en effet des compétences de soutien qui vont faciliter de jeu (modification d’armes, objets de soins diversifiés, facilités aux négociations...)

En tarologie, le deuxième cycle débute normalement avec l’arcane XI (car X+I). Dans Persona 5, il se termine avec les personnages jouables et donc le IX de Futaba pour débuter avec le X, la Roue de Fortune de Chihaya pour finir en XX avec le Jugement de Sae. Cette seconde partie n’impliquant pas de personnages jouables, il n’est pas nécessaire de la mettre en lien avec des Personas et des éléments mythologiques.

X - La Roue de Fortune- Chihaya Mifune - Celle qui brise le cycle

XI - La Force - Justine & Caroline - Celles qui gardent

XII - Le Pendu- Munehisa Iwai - Celui qui revient sur son passé

XIII - Tae Takemi - Celle qui doit se relever

XIV - La Tampérance - Sadayo Kawakami - Celle qui s'implique

XV - Le Diable- Ichiko Ohya - Celle qui prend des risques

XVI - La Maison-Dieu - Shinya Oda - Celui qui doit apprendre

XVII - L'Etoile - Hifumi Togo - Celle qui cherche sa place

XVIII- La Lune - Yuuki Mishima - Celui qui reste dans l'ombre

XVIIII - Le Soleil - Yoshida Toranosuke - Celui qui revient de loin

XX - Le Jugement - Sae Niijima - Celle qui émerge à la vérité

 

 On attaque maintenant la dernière ligne droite avec les deux derniers arcanes majeurs qui vont nous retenir un petit plus longtemps que les autres. Il s'agit bien sûr des deux personnages les plus important du jeu à savoir...

XXI - Le Monde - Le Protagoniste (Akira Kurusu) - Celui qui vole le monde

Et enfin...

0 - Le Mat - Igor/Yaldabaoth - Celui qui regarde d'en haut

 

 Sources  et bibliographie:

Encyclopédie des Symboles. Knaurs lexicon der Symbole. Hans Biedermann. 1989. Le Livre de Poche

Dictionnaire historique de la magie et des sciences occultes. Collectif sous la direction de Jean-Michel Sallmann. 2006. Le Livre de Poche

La Voie du Tarot.  Alejandro Jodorowsky - Marianne Costa. 2004. J'ai Lu.

L'Edda Poétique. Régis Boyer. 1992. Fayard

Et enfin, parce qu'on a pas fait mieux pour se débarasser vite et bien d'un doute sur une référence mythologique...

La Mythologie Illustrée pour les Nuls  Collectif. 2008. First Edition.

Sur les gnostiques et gosticisme.

https://compilhistoire.pagesperso-orange.fr/gnosticisme.htm  Jean-Paul Coudeyrette. 2017 (un site assez fou qui contient plein d'infos malgré une déco antédiluvienne...)

Apocryphes Slaves et Roumains de l'Ancien Testament. Emil Turdeanu. 1981 (Merci Google Books)

Et mes remerciements aux Phantom Thieves de Gameblog: Critobulle, Karas, Liehd et lord_darcky