Big. Bang. Sur les talons de la provocante Bayonnetta, les Japan All Stars de Platinum Games ne nous laissent aucun répit avec la diffusion ce jour, d'une vidéo annonçant Vanquish (Lorraine ?), le nouveau projet HD de Maitre Mikami. Goddamn!  

Veni, vidi, Vanquish
Cette première vidéo, aussi rutilante qu'explosive - voire "ouf" ou "trop stylé" dans le langage des motionmakers, prononcez mocheunmaikeurz voyez - débarque avec sous le bras une déclaration d'intention bien marquée. Car Vanquish en bon français, signifie Vaincre. Et pas qu'un peu. 
Tel un uppercut, ce titre annonce une fois de plus la couleur des enjeux, du talent et de la démesure made in Platinum Games. "On est là pour vous aligner la tronche", en quelque sorte. 
 
Que peut on voir dans ce trailer, qui ne contient pas encore d'images "réelles" du jeu lui même ? Tout d'abord, on ne peut que souligner la hauteur mirifique des moyens de production mis en oeuvre. On flirte ici avec le top de l'occident, pour la promotion de Halo 3 par exemple. Quel peut bien être le régime d'images qui se déroule sous nos yeux ? Visiblement un mélange de vrais acteurs, de mocheun captchure, et de 3D pure. Le tout saupoudré de fausses images d'informations croisant Independance day et le 11 septembre.  
 
Cette volée de bois vert technologique traduit la marque de fabrique du studio : son gout de l'excès et du jusqu'auboutisme. Au milieu de ce que tout le monde nomme "crise japonaise du jeu vidéo", l'équipe de Platinum ne veut pas se rendre. Et si le scénario s'annonce aussi joyeusement débile que celui de Resident Evil 4, on retrouve le flair mirifique de Mikami pour le recyclage et la surenchère. Sa boulimie d'images est comparable, vis à vis de l'occident, au discours de Tarantino, qui en filigrane de ses Crazy 88, nous disait dans Kill Bill "j'aime le cinéma d'action asiatique, mais je peux le dépasser sur son propre terrain".
 
L'Amérique, je veux l'avoir, et je l'aurais  
Et là, il s'agit visiblement de conquérir et de vaincre l'industrie occidentale, sur le terrain de l'actioner HD qui défouraille. Le look & feel de ces images évoque ainsi très directement Gears of WarCrysis, mais aussi District 9 (le blanco upclosé sous son masque, homme / joueur enfoui sous le costume du superfantassin invincible) et Iron Man. Et au milieu de cette masse, on retrouve des touches propres à Mikami, le design de la tenue rappelant la suit (prononcez soute) de Vanessa Schneider, héroïne cold wave de son précédent PN03.

pn03_1.jpg


Pour mon buddy boy Fabrice Vieira, docteur ès Thunderforce IV ayant récemment invité des professionnels du jeu vidéo et de l'audiovisuel à participer au festival des métiers du son deBourg-la-Reine, cette présentation à coup d'armure respire bon le sentaï. Et d'ajouter, "cette opposition marquée entre cette tenue immaculée, qui ne souffre aucune
 fatigue ou tache de sang, avec toutes ces explosions et cet environnement guerrier, il n'y a que les Japonais pour faire un truc pareil". Pas mal pour un fonctionnaire, don't you think ?
 
On le sait, le Japon a récemment découvert qu'il existait un marché et une production vidéoludique en dehors de l'archipel (un terme qui n'a rien à voir avec la langue de votre copine). Peur eux, le wake up call a été assez dur avec l'arrivée de l'ère HD, que les occidentaux ont mieux appréhendé, plus familier des technologies "PC" qui se sont infiltrés pour de bon dans l'univers console avec l'arrivée de Microsoft dans la partie en 2001. C'est dans ce contexte que Capcom, en laissant partir ses meilleurs poulains, auteurs sur une période très courte d'une poignée de jeux essentiels - Viewtiful JoeResident Evil 4Killer 7Okami et God Hand - a voulu miser sur des jeunes pousses européennes, avec à la clef l'insuccès de Bionic Commando, la fermeture de Grin, et la sortie récente du dispensable Dark Void. En interne, ils ont pu sortir un Lost Planet de bonne facture (une claque lors de sa sortie en 2006) mais sans génie, un Street Fighter 4 émérite mais "simple" mise à jour et surtout un Resident Evil 5 confié à de pauvres scribes chargés de réiterer le coup du maitre absent. Ce qu'ils ont fait d'un point de vue strictement commercial - plus de 2 millions de jeux vendus - mais à quel prix ? Le jeu est injouable et se montre aveugle aux avancées occidentales en matière de gameplay.
 
Cette erreur stratégique d'avoir laisser filer ses meilleurs éléments, explique peut être la niak de Platinum Games. Désavoués ou déçus, ils ont su se fédérer autour d'une graine - leur studio devait s'appeler Seeds au départ - qui donne aujourd'hui, avec leur PME, des leçons de maitrise et de style à des studios occidentaux aux équipes maintes fois plus larges. Petit exercice de comparaison : pour God of War 3 ils sont dans les 200 à bosser d'arrache pied depuis 2006. Chez Platinum Games, il n'y aurait "que" 100 personnes (voire moins) et en 5 années, ils ont formé un studio, réalisé Madworld (ouch), Bayonetta (vlan), Infinite Space (un jeu prometteur sur DS)... et ce Vanquish qui débarque telle Athéna sortant toute armée de la cuisse de Jupiter. Dire qu'ils sont doués serait un sacré euphémisme. Moi je pense plutôt que ce sont des demis dieux capables, comme Viewtiful Joe, de ralentir le temps afin de porter les meilleurs coups.

Non stop climax action games
Cette production maladive qui frôle l'excellence tout en refusant la position du premier de la classe bien propret, nous fait réfléchir sur la période Capcom où ils ont grosso modo fait la même chose de manière plus éclatée, en sortant une grosse tripotée de jeux fondamentaux sur une période de 3 ans (entre 2003 et 2006). Aujourd'hui rassemblés au sein d'un même bureau, on remarque enfin chez eux un gout de l'excès. L'excès de style, de recyclage, de pop culture, de technologie... mais aussi de mauvais goût bien recherché et surtout bien assumé. L'excès peut se traduire chez eux par une volonté d'exploiter la technologie à fonds (ou pas, quote God Hand here), ou de proposer le meilleur jeu de sa catégorie (re-quote God Hand here), mais aussi de plonger dans la vanne peu ragoutante du collégien le plus bas du front (... God Hand!). Dernier exemple en date sur le tableau noir : le cimetière ouvrant le bal de Bayonneta. A chaque tombe le nom d'un membre de l'équipe. Et sur la pierre finale, où se soulage un personnage du jeu, le nom de Kamiya. Ca ne pisse pas très loin, mais c'est chez eux une tendance marquée, une véritable signature. 

Et c'est ce mélange de perfection et de "saleté", que j'appelle en mon fort intérieur l'esprit boyish, excitation enfantine et puérile des sens face à la machine, aux stimulis audiovisuels et à l'objet que l'on manipule (Afterburner anyone ?) qui fait tout le sel de cette bande de sales gosses ô combien surdoués. A l'inverse de leurs camarades occidentaux de Naughty Dog ou Quantic Dream, dont le discours se teinte d'une conquête de respectabilité globale ("nous voulons être respectés comme le cinéma ou la littérature peuvent l'être"), Platinum Games envoie également le bois au rayon du spectacle, mais sans oublier ses origines impures, frénétiques et masturbatoires : la salle d'arcade où trainaient les mauvais garçons du quartier ou la chambre adolescente qui ne voyait plus la lumière du jour. Critiquer le scénario d'un jeu signé Mikami ou Kamiya, ou tout autre histrion issu de cette joyeuse école, n'a dans cette optique pas de sens puisque dans les critères récurrents de leurs oeuvres, l'absence d'un scénario cohérent et fourni est un travers identitaire de leur conception du jeu vidéo.   

La balle est bien dans leur Camp
Je n'aime pas le style de Bayonetta, mais j'aime l'excès dont elle fait preuve. J'y vois une approche plutôt consciente et rafraichissante pour le jeu vidéo actuel. C'est un signe de vitalité, pour le jeu vidéo japonais mais aussi pour le jeu vidéo tout court. Qu'un tel discours puisse faire front à l'est est pour moi une excellente nouvelle, non que je sois partisan d'une école plus que d'une autre, mais je suis heureux de voir autant de créativité et de désir. Cela participe à un esprit d'émulation, de compétition et au final, les jeux n'en sont que plus ambitieux. 



Et pour finir en un magnifique feu d'artifice, qui serait mieux placée, pour nous parler de l'esprit des jeux de Platinum Games, que Susan Sontag elle même ? Voici quelques morceaux choisis de ce qu'elle nous dit dans ses "Notes sur l'esprit Camp" : "The essence of Camp is its love of the unnatural: of artifice and exaggeration. (...) And Camp is esoteric -- something of a private code, a badge of identity even, among small urban cliques. (...) To talk about Camp is therefore to betray it. If the betrayal can be defended, it will be for the edification it provides, or the dignity of the conflict it resolves. (...) I am strongly drawn to Camp, and almost as strongly offended by it. (...) To name a sensibility, to draw its contours and to recount its history, requires a deep sympathy modified by revulsion. (...) Camp is a certain mode of aestheticism. It is one way of seeing the world as an aesthetic phenomenon. That way, the way of Camp, is not in terms of beauty, but in terms of the degree of artifice, of stylization. Camp is a vision of the world in terms of style but a particular kind of style. It is the love of the exaggerated...

Traduction, with Bayonetta in mind

"L'essence même de l'esprit Camp est l'amour immodéré de ce qui n'est pas naturel, de l'artifice et de l'exafgération (le personnage Bayonetta n'est qu'artifice et exagération, les lunettes, le gloss, les sucettes, la chevelure pompadour qui lui sert de tenue, les talons, l'hyper lubricité de tous ces éléments combinés). C'est quelque chose de plutôt ésotérique, qui relève d'un code de reconnaissance au sein d'un groupe, d'un badge identitaire (comme se faire pisser dessus par un personnage que l'on a crée). Parler même du Camp revient à trahir son esprit. Si la trahison peut être justifiée, c'est au nom d'une plus grande clarté et de la résolution des conflits soulevés (le style Bayonetta est il beau / moche ? Il est mieux que ça, il est excessif). Je suis vraiment attiré par l'esprit Camp et presque autant révulsé par ce même esprit (idem). Le Camp est un mode esthétique. C'est une façon de voir le monde comme phénomène esthétique. La voie du Camp ne relève pas de la Beauté, mais se traduit en degrés d'artifice, de stylisation. Le Camp est la vision du monde au travers d'un style bien particulier : le goût pour l'exagération.  


SOURCES

  Platinum Games de A à Z en Podcast sur Gameblog :
https://www.gameblog.fr/podcast_129_podcast-126-saga-platinum-games

Susan Sontag, Notes on Camp (1964) :
https://interglacial.com/~sburke/pub/prose/Susan_Sontag_-_Notes_on_Camp.html

Sur Bayonetta et l'industrie japonaise :
https://lamensuelle.over-blog.fr/article-bayonetta-le-jeu-video-japonais-s-exprime-39186052.html 

Un précédent article consacré à Resident Evil 4, l'Hydre infernale (2005) :
https://cinemedias.blogspot.com/2005/09/resident-evil-4-lhydre-infernale.html