Hier, à la Gaïté Lyrique, se tenait la seconde avant-première d'un film accessible depuis quelques jours déjà à n'importe qui sur internet, qui aura tout de même réussi à faire salle pleine, réunissant quelques Gamebloggeurs et autres journalistes qui ne sont pas forcément inconnus dans la communauté. Petit retour sur cette projection d'Indie Game : The Movie, et du petit échange qui a suivi, avec Phil Fish, développeur de Fez, boss de Polytron et l'une des têtes d'affiches du film, en guest star.

The Story of a little Part of the Development of two Indie Game : The Movie.

De trois cents heures d'interviews de plus de trente développeurs indés différents, vous ne découvrirez au final, dans Indie Game : The Movie que quelques instants choisis de la vie de quatre développeurs différents, à différentes étapes de la création de leur jeu. Alors forcément, ça ne fait pas que des heureux ; beaucoup de développeurs, se sentant lésés après les heures d'entretien accordés aux deux journalistes, se sont posés la question que l'on se pose forcément lorsque débute le générique de fin : Mais pourquoi eux ? Pourquoi Jonathan Blow, les deux compères de la Team Meat et Phil Fish ? Représentatifs de la scène indé, ces quatre cas sociaux faisant parfois froid dans le dos et versant dans un pathos bien américain dès qu'il le faut ?

La réponse est toute simple et entièrement assumée par James Swirsky et Lisanne Pajot, les deux réalisateurs du film : s'ils ont abandonné le panel d'interviews entrecoupés de quelques illustrations au profit de cette immersion qui va parfois dans le too much, bien dans l'ère du temps avec ses flous constants et sa mise en scène (très) dynamique (tellement que c'est une assez mauvaise idée que d'aller le voir sur grand écran, croyez-en mes yeux endoloris à force d'osciller entre les plans changeant toutes les deux secondes et les sous-titres dans un français parfois un peu aléatoire), c'est parce que, plutôt que de décrire ce qu'est aujourd'hui le jeu indé, dans l'immense diversité que l'on ne soupçonne pas toujours, ils ont préféré témoigner de la vague de création, et même de folie, qui anime cette scène indé.

 You talking to me ?

Lequel de ses associés Phil Fish va-t-il décapiter : The Movie.

Pour ce faire, pendant une heure et demie, pas un mot n'est prononcé par les deux journalistes : la parole est entièrement laissée au développeur. Les courtes apparitions de Jonathan Blow servent de fil rouge au film : revenant sur sa vision du jeu, la genèse de Braid et ses réactions une fois confronté aux critiques, il annonce les problématiques auxquelles on suivra Phil Fish, Edmund McMillen et Tommy Refenes se confronter en direct au cours du film.

Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'au-delà du pathos classique (Fish évoque une rupture amoureuse, McMillen les souvenirs avec sa grand-mère, Refenes les liens avec sa famille, etc.), on découvre dans ce film des créateurs parfois effrayants dans leur folie : Blow répondant compulsivement aux critiques et analyses de son jeu, exacerbé par l'incompréhension de la masse ; McMillen se souvenant de ses dessins d'enfance annonçant déjà ses univers glauques et étranges ; ou encore Phil Fish promettant de se tuer s'il ne finit pas son jeu ou pétant littéralement un câble devant sa tasse de café, dans l'attente d'une signature lui permettant de montrer pour la première fois son jeu en public.

  

Ainsi, lus qu'une scène, qu'un ensemble de développeurs travaillant à innover dans le monde du jeu vidéo, ce sont ces personnalités et ces histoires qui intéressent dans Indie Game : The Movie. Et on se prend très vite au jeu : au fur et à mesure qu'on suit leurs réflexions, les intrigues se dessinent et se nouent peu à peu autour des deux titres, au fil des nuits de rush à l'approche des deadlines, de l'avalanche des premières réactions de joueur et des rebondissements qu'on vous laissera le plaisir de découvrir.

Indie Game : The Movie.

Au final, si la première réflexion unanime d'Oxydam, Enimal, Skywilly ou ProfesseurOz a la sortie du film fut de fustiger le titre, je le trouve plutôt bien trouvé. Ceci n'est pas un documentaire, c'est un film. Il souligne grassement les clichés arty et hipsters sur le jeu indé, en versant rapidement dans le pathos et le larmoyant. Mais il décrit simplement trois aventures qui, si elles ne représentent que la surface d'un mouvement à la profondeur et à l'intérêt qui dépasseront bien cette petite heure et demie si l'on tente de creuser un tant soit peu ; témoignent qu'il y a quelque chose qui nait, quelque chose qui se cherche, quelque chose de nouveau, de différent, d'étrange et de passionnant ; de dangereux aussi, quand on voit l'isolement et le côté maniaque auxquels il mène : Indie Game : The Movie n'est pas un tour, mais une simple ouverture sur le jeu indé. A mettre entre toutes les mains, surtout les plus dubitatives et inexpérimentées !

Le poisson humain.

Belle cerise sur le gâteau, pendant toute la projection du film patientait au fond de la salle obscure une silhouette énigmatique, d'autant plus après l'avoir découvert dans le film au cours de « la pire semaine de sa vie » : Phil Fish, aussi célèbre pour son travail (et ses retards) sur Fez que pour ses coups de gueule parfois très violents, notamment contre le jeu japonais.

 Le petit Gomez, cadeau de Leenyuth !

Seulement, le Fish qu'on a découvert était bien loin des clichés : souriant, sympathique, accessible, même si sa répartie laissait souvent voir un ego assez marqué (« - Pour toi, c'est quoi le détail qui fait que Fez est un jeu vraiment différent des autres ? - (après quelques instants de réflexion) C'est moi. »), qui au final fait de lui une personnalité caractérielle mais affirmée, illustrant bien la formule de Jonathan Blow : il laissera les angles pointus, dans ses jeux comme dans ses réponses, plutôt que de les polir.

Et franchement, un joueur qui me reste sympathique après avoir caricaturé comme Fish l'a fait le PC, c'est rare. Etonnament, plutôt que de faire l'apologie de l'indé, celui-ci avoue son amour pour des jeux que d'autres développeurs du film auraient classé comme « Jeux de merde » : le créateur de Fez est en effet épris des open worlds de Red Dead Redemption, Fallout et autre Elder Scrolls, ce qui se retrouve évidemment dans Fez.

Et petit bonus pour la fin : si Fez est encore sous contrat d'exclusivité sur le XBLA pour quelques mois, Fish a clairement signifié sa volonté de le porter sur d'autres plateformes, notamment le PC, même si rien n'est signé ni même commencé pour l'instant.

Puis Phil s'en fut boire une bière (entouré par une dizaine de journalistes en rut)