Prologue

 

L’homme est en face de moi, dans sa chemise marron sale et dépouillée aux manches et son jeans déchiré. Ses chaussures en crocodile sont souillées de sang – de mon sang –, ainsi que ses bras et ses mains. Il a une cagoule sur la tête, au travers duquel je ne vois que ses yeux complètement noirs, vides d’émotions. Sa respiration se fait l’écho de la douleur latente qui le submerge, synonyme de l’estafilade que je lui ai moi-même infligée de mon couteau dans son étui en cuir accroché à ma ceinture.

Ma main tient le revolver, un Webley Mark 6, qui le vise à la tête. Elle tremble, mon cerveau est en ébullition. Que dois-je faire ? Tirer, pour tout le malheur qu’il m’a infligé, ou le laisser vivre, plus pour une question de moral, une lassitude de tuer ? Mais sur cette île, la morale n’a pas sa place. J’ai assassiné de sang-froid tellement d’humains – hommes et femmes – et d’êtres vivants comme des loups ou des requins que je ne les compte plus. Alors, pourquoi hésité-je ? Tout serait plus simple si une balle, une seule balle, lui traversait la tête. Adieu cette guerre, cette souffrance quotidienne, cette hostilité omniprésente. Ma vengeance serait accomplie, mon travail ici serait achevé. Alors, je pourrais rentrer chez moi, en France, pour oublier tout ce qui s’est passé. Cela fait dix mois que je suis parti, dix mois où chaque jour fut une épreuve, où la mort me frôla de très près, au point que je manquai de mourir chaque seconde de chaque heure. Et tout ça, à cause de lui.

Ma main tient le revolver, qui le vise à la tête. Elle tremble, mon cerveau est en ébullition. Que dois-je faire ? Mon doigt est sur la détente, prête à faire feu.

 

Et j’hésite encore, repensant à ce fameux jour, le 12 juillet, où tout a commencé.