"Et si on te kidnappait, ton frère reviendrait bosser pour nous ?"

 

Pour une fois qu'il saisit une perche tendue, pour une fois qu'une aide spontanée provient de sa propre famille, pour une fois qu'il cède à la tentation du piston (quoi de plus normal après tout pour un magazine automobile ?!), à la facilité de la démarche, de l'intégration, de l'intronisation, il reçoit une magistrale claque en guise d'accueil. Tendant automatiquement l'autre joue, il accepte son châtiment, après tout, il l'avait bien mérité, lui qui a voulu jouer cette opportunité malsaine jusqu'au bout. Et puis, en fin de compte, comment prouver sa bonne foi et sa valeur lorsque vous tentez de couper à travers les sentiers battus à la première occasion venue ?

 

Un service rendu, voilà ce qu'il représentait. Il en prenait conscience, là, à ce moment précis, dans ce bureau, assis en face d'un rédacteur-en-chef qui lui expliquait pourquoi ses idées n'étaient pas matériellement réalisables, secondé d'un assistant, accoudé au mur, qui ponctuait chaque fin de phrase d'un hochement de tête, d'un rire sarcastique ou d'un clin d'oeil complice. Désarmé, désemparé, impuissant, il s'apercevait qu'il ne dépasserait jamais l'image "du fère de" ici, quoi qu'il puisse entreprendre. Il prenait alors toute la mesure de sa bêtise. Confronté à l'aumone dont ses interlocuteurs se targuaient de lui accorder, un sentiment de honte l'envahissait et sa position devenait très vite inconfortable. Nul endroit ne serait assez isolé, nul trou ne serait assez profond pour qu'il puisse s'y cacher. Il se sentait stupide comme après s'être applati contre une baie vitrée en public. On lui plongeait le nez dans sa naïveté comme on éduque un chien à la propreté. C'était pourtant tout un plan machiavélique qui se déployait sous ses yeux. Loin de penser qu'il puisse être un objet de convoitise, il se révélait être un intermédiaire, une marchandise troquée à la hauteur de l'estime portée à son frère. La liste de concepts à présenter n'était tout au plus qu'une excuse pour maquiller à peine les enjeux de ce rendez-vous, dont le résultat était fixé avant même les premiers échanges. Littéralement transparent, il n'était question que de son aîné et, à travers lui, de cette faveur dont le but avoué était de le ramener dans les filets de cette rédaction qui appréciait tant son travail. Se faisant explicitement comprendre qu'il ne devait cet entretien qu'à une faveur et que rien, ni qualité de travail, ni mérite, ne viendrait changer l'ordre des choses ou l'estime qu'on pourrait lui porter, il se voyait accorder un article, dont le sujet était déjà déterminé. Son orgueil bouillait, lui hurlait de se lever et de refuser de pactiser dans de telles circonstances. Il lui interdisait d'entrer dans cette manigance amère et lui ordonnait, au contraire, de taper du poing sur la table, montrer qu'il avait aussi du caractère à revendre. C'est une autre solution qui se dessina dans son esprit lorsqu'il prit connaissance du sujet. Etrange coïncidence faisant cohabiter sport mécanique et jeu en ligne, il décidait tout compte fait de mettre à profit cette frustration et cette colère pour donner le meilleur de lui-même, montrer qu'il possédait tout de même quelques capacités rédactionnelles qui lui permettaient de dépasser le cadre du domaine vidéoludique, quelque part toujours synonyme de médiocrité aux yeux des autres "confrères" de la profession journalistique. Il s'accomoderait donc de cette situation déclenchée, buvant le calice jusqu'à la lie, ravalant sa fierté par la plus douloureuse des déglutitions.

 

Abstraction faite des circonstances, plaisir et fierté de figurer dans un magazine d'un tel calibre étaient bien présents. L'amertume, par contre, n'était pas prête de disparaître quand, quelques temps plus tard, il voyait non seulement certaines de ses idées maladroitement exploitées par ces mêmes anciens employeurs, mais que son frère retrouvait, dans les meilleures conditions, les rangs de cette équipe qui le réclamait tant. Voilà comment sa passion avait finalement fait de lui une marionnette, servant des intérêts supérieurs, lui enseignant que, pour lui, les banalités des uns ne seraient certainement pas son lot professionnel. Si tant est qu'il lui en restait encore un peu, il mettrait un point d'honneur à tracer sa propre voie, du moins essayer, par ses propres moyens...