Bien souvent (pour ne pas dire à chaque fois), quand le cinéma plonge son nez dans la trainée de poudre du jeu vidéo pour s'inspirer, les délires des auteurs qui émergent alors ne font pas seulement honneur aux références, mais ne s'avèrent pas non plus être du goût d'un public composé d'initiés choqués et d'impies indignés. Mais cette vérité est aussi réciproque quand le loisir de masse puise dans la subtilité d'Hollywood pour dynamiser ses licences. Tout est une histoire de trahisons, où tout le monde n'y trouve pas forcément son compte. Et de ce côté-là, Sam Fisher en connait un rayon...

 

 

 

Il y a encore quelques temps, avant qu'un énième report ne vienne marquer l'actualité de Splinter Cell Conviction, nos amis les professionnels commençaient à voir d'un oeil septique l'arrivée de ce nouvel opus pour le peu qu'ils avaient pu en voir. Conscients que l'épisode marquait une réorientation radicale dans l'histoire de la série, l'accueil réservé au titre est d'autant plus étonnant. Pourtant, tout le monde s'accorde à déterminer ce revirement de genre comme salvateur. Et les arguments pleuvent d'ailleurs dans ce sens. Pour cela, il suffit de suivre la politique d'Ubisoft qui a décidé de tout articuler autour de la nouvelle direction entreprise. Par conséquent, en plaçant le héros dans un contexte de vengeance, l'amputation d'une majeure partie de la subtilité d'approche qui l'a rendu célébre est justifiée. Soit. Ainsi, le gameplay vise à favoriser l'action plutôt que l'infiltration pour des circonstances scénaristiques, dont l'intérêt retenu est l'approfondissement psychologique du personnage. Cette nouvelle facette offre aux joueurs un système qui encourage à voguer entre ces deux eaux, puisque le Mark & Execute n'est rendu possible qu'après une élimination rapprochée. Un prêté pour un rendu en quelque sorte. Cette méthode de neutralisation automatique est d'ailleurs largement appréciée, puisqu'elle n'est pas obligatoire. Le libre arbitre est un atout employé comme un bouclier face aux éventuels détracteurs de ce glissement de terrain. Rien n'empêche effectivement de se lancer le défis de n'user que d'infiltration et de résister à la tentation de foncer dans le tas, phases désormais rendues possibles. Le dynamisme et le rythme du jeu sont remarqués et mis sur le compte du nouvel état d'esprit de Sam. S'accomodant d'une campagne solo abrégée pour de la coopération et du mulitjoueur exceptionnels, le pardon est largement accordé pour l'expérience intense et véritable qu'il permet à plusieurs. Délaissant donc ses habitudes, le fantôme des épisodes passés bénéficie d'un nouvel attirail de possibilités comme un système de couverture, des phases d'interrogatoire aussi musclées que jouissives, des situations diverses, des environnements variés, une large palette de mouvements, un armement et ses améliorations conséquents, des interactions avec les décors multiples, des séquences d'action de rigueur lors du déclenchement des exécutions, la différence de perception avec les zones de pénombres sont autant de détails qui permettent de servir les intérêts d'un gameplay efficace et renouvelé. En ajoutant à cela l'ingéniosité des chargements camouflés dans les phases cinématiques et l'affiche top fashion des objectifs de mission sur les parois des bâtiments, Splinter Cell Conviction semble se prémunir de toute critique pour se destiner à un succès inévitable.

 

Pourtant, si la liste en question (qu'elle soit longue ou courte) n'a pas vraiment d'impact sur la note finale, certaines errances ont été relevées, dont la principale concerne une intelligence artificielle complètement à la ramasse. Comment aurait-il pu en être autrement de toute façon ? Difficile de ne pas noter l'incohérence des réactions devant les situations et l'immobilisme des gardes face au Splinter Cell. Douteuse donc, elle se destine à n'en pas douter à clairement rendre plus accessible cette touche d'infiltration dont se prévaut le jeu. D'ailleurs, tous auront noté que les choix stratégiques opérés par l'éditeur ne visent qu'une ouverture au grand public. Et quand certains s'en tiennent au minimum syndical pour relever les fautes, d'autres savent se montrer plus virulent. Ainsi, si principalement l'IA est au coeur des attentions, la copie technique l'accompagne de paire. Avec un jeu reporté à de nombreuses reprises, il était évident que la hauteur de la prestation était attendue à un niveau plus élevé. En l'occurence, même si le résultat reste propre, il n'égale certainement pas les dernières productions avec un wagon de retard, bien à la traîne. Présence d'aliasing, inégalité des textures et environnements trop froids sont autant de critiques portées à un jeu qui aurait du compter sur un peu plus d'attention, puisqu'exclusif. Grandes lignes de la réprimande, beaucoup se contentent de ces critères pour éloigner le résultat de la perfection, sans pour autant renoncer au plaisir d'y jouer qui est ressenti. Plus féroces sont quelques irréductibles qui vont jusqu'à sanctionner la narration chaotique du jeu et la carrure d'un scénario à la hauteur de celle du gouverneur de Californie. Apportant de l'eau au moulin, les paradoxes s'accumulent à l'image d'un éventail d'action apprécié et pourtant jugé très réduit à la fois ou encore la panoplie de gadgets à foison qui apporte à la fois un plaisir confortable, mais un accès à une facilité exacerbée, détails qui devraient plonger n'importe qui dans l'introspection la plus totale. Pratiquement jamais, il n'est d'ailleurs question de la durée de vie ridicule dont il est question (accusant l'équivalent d'une journée de travail), à laquelle est préférée les aspects multijoueurs qui pardonnent cet écueil. Encore plus incompréhensible est l'influence quasi-nulle de ces reproches sur la note apportée. Il ne s'agit que de critiques gratuites, certainement plus destinée à se donner bonne conscience que justifier une valeur finale amoindrie. A l'arrivée, il y a une énorme différence entre le discours tenu et la note apportée dans la plupart des cas. Splinter Cell Conviction rentre dans cette catégorie de jeux qui bénéficie d'une certaine immunité pour se permettre de prendre des risques en dénaturant leur raison d'être.

 

Il est très difficile de porter un jugement sur cet épisode pour la simple et bonne raison qu'il trahit clairement ses origines d'un côté pour marquer un virage séduisant, dans l'ère du temps (mais moyen), de l'autre. Il est évident qu'en considérant Splinter Cell Conviction comme un jeu d'action aux effluves d'infiltration, il peut séduire son monde. C'est compréhensible. Or, l'essence même d'un Splinter Cell n'est-elle pas celle du challenge de l'invisibilité, de l'infiltration pure et dure, sans concession ? Après avoir inscrit ses lettres de noblesse dans un genre, est-il cohérent de s'accomoder des codes populaires du moment pour justifier d'imposer une trahison aux fans ? Splinter Cell et infiltration sont indissociables. C'est pourquoi, même si il est facile de se laisser envoûter par le chant des sirènes, nous n'avons pas à faire à un grand Splinter Cell. Les comparaisons dithyrambiques à Jack Bauer ou Jason Bourne sont la preuve évidente d'une perte d'identité. Si le gameplay gagne en réputation face à l'apaisement de frustration, tout reste très limité. Au point de vue de l'espace déjà, la liberté d'action n'est pas totale. Elle est soit limitée par des aspects techniques (impossible de passer à travers les buissons, barrière invisible qui limite le champ d'action), soit restreinte par le contexte (bureaux minuscules inondés d'ennemis qui ne vous laissent pas d'autre choix que d'être intercepté, salle de conférence ne proposant que des tables pour vous mettre à couvert). Il faut également noter que la variété des situations est surtout due à la faible durée de vie qui ne propose pas, en conséquence, une multitude de niveaux. Très peu d'entre eux s'en tiennent à de l'infiltration pure et dure et, bizarrement, ce sont les meilleurs moments du jeu. La variété en prend un coup quand il s'agit des innovations. L'impact du premier interrogatoire est tout simplement énorme. Dommage que le manque de possibilités et de renouvellement émousse ces moments d'intimité qui se déroulent toujours de la même manière (la manière d'abréger les conversations est toujours la même), avec la même touche sur laquelle appuyer, sans possibilité de choisir l'intimidation ou la violence. Oui, je sais Sam est en colère. D'autre part, la méthode des zones d'ombre est un principe efficace, mais sa retranscription à l'écran est déstabilisante. Le passage en noir et blanc nuit à la bonne perception de son environnement. Cette technique doit généralement aller de paire avec les lunettes infrarouge ou le sonar pour prendre toute sa mesure. Une solution de facilité qu'il est préférable de laisser tomber sous peine de passer son temps sur un nouveau jeu next gen en noir et blanc. Ne nous arrêtons pas en si bon chemin avec certainement le défaut majeur de ce jeu. L'intelligence artificielle vole très bas. Les réactions des gardes sont lamentables et incohérentes au possible. La vue d'un collègue au sol ne déclenche rien d'autre que leur indgnation. Même le fait de se faire surprendre n'a aucun impact, autre qu'une alerte générale qui peut être désamorcée en se cachant ailleurs. Du coup, l'IA va à l'encontre du bon sens, nouvel éléments qui prouve que l'infiltration a perdu toute influence. Que dire encore des affichages spécifiques qui sont trouvés si ingénieux. La série Heroes n'aurait rien inventé ?

 

Evidemment, Splinter Cell Conviction est un bon jeu d'action/infiltration avec toute la subtilité dont est capable l'influence hollywoodienne. Il est difficile de lui retirer cela. Or, Ubisoft joue clairement sur les mots pour justifier sa nouvelle orientation. Parce qu'en ce qui concerne l'essence même de Splinter Cell, elle est désormais en état de mort cérébrale. Avec finalement pour seules références à un passé glorieux son titre et son héros, le jeu n'a plus rien à voir avec ces prédecesseurs. Le contexte de cet opus est un leurre astucieux pour assassiner l'infiltration. Il aurait pourtant suffit de quelques attentions pour permettre aux fans de s'y retrouver à commencer par la possibilité de dissimuler les corps, par exemple, qui aurait forcément impliqué que d'autres approches soient révisées. Très restrictif, le choix de l'action ou de l'infiltration n'est pas totalement laissé à l'appréciation du joueur qui est inévitablement confronté à des scènes musclées (qui n'ont aucune répercussion une fois passées) à un moment de sa progression. Finalement, l'incohérence règne en général et pas uniquement entre les mains de l'intelligence artificielle. Ce qui faisait autrefois la force et la fierté d'une licence est devenue aujourd'hui, tout au plus, un bonus, une option.