Ce poste est le premier d'une longue série d'études sur la notion de choix moral dans un jeu vidéo. Il va servir à poser les bases du sujet.

Avant de pouvoir commencer à parler des choix moraux qu'un joueur fait dans un jeu vidéo, il faut d'abord définir la notion même de "choix moral".

# DÉFINITION

Le "choix" désigne logiquement une situation de liberté où le joueur doit décider de la résolution d'une situation. S'offre alors à lui au moins 2 solutions. Link va-t-il couper les herbes hautes avec son épée ou leur jeter une bombe afin de récupérer des rubis ? N'importe quel joueur est amené à effectuer ce genre de choix à chaque instant d'une partie : courir, sauter, tirer, recharger, parler, se soigner... Tous ces choix font appel à divers composants de notre psychologie : l'instinct, la logique, l'intérêt personnel, le désir ou encore la morale. C'est cette dernière, encore peu exploitée dans les jeux vidéo d'aujourd'hui, à laquelle on va s'intéresser. Le choix "moral" se différencie donc des autres choix car il fait appel à notre morale : nos principes comme nos valeurs.

 

 

Link va-t-il épargner Ganondorf malgré tout ce que ce dernier a fait, ou bien va-t-il se venger en le tuant froidement ?... Une première idée de choix moral qui aurait pu être posé au joueur à la fin d'Ocarina of Time. Bonne idée ? On va voir...

# CHOIX GRATUIT ?

Est-il suffisant de faire appel à la morale du joueur pour dire d'un choix qu'il est moral ?

Par exemple, peut-on parler de choix moral dans Super Mario Bros. si, dans un élan de pitié, le joueur épargne des goombas en ne leur sautant pas dessus ? Oui ? Non ? Pourquoi ?

 

 

L'intérêt de faire un choix "moral" (comme tout autre choix d'ailleurs), ce n'est pas seulement de le voir se résoudre, mais surtout d'en observer les conséquences. Quelle valeur aurait un choix qui n'engendre pas de conséquences ? Aucune. C'est ce que j'appelle un choix gratuit.

Le joueur épargne les goombas. Et ensuite ? S'il reste, Mario se fait quand même tuer par les goombas. S'il passe son chemin, sa progression dans le jeu sera la même que dans n'importe qu'elle autre partie. Conclusion : C'est un choix gratuit qui a prit la forme d'un challenge, rien de plus.

En résumé, un choix moral doit entraîner des conséquences.

# NIVEAUX DE CONSÉQUENCES

Des conséquences ! Des conséquences ! On veut des conséquences !!!


€ ROUND 1

SOLUTION : On va donc ajouter des conséquences au niveau du récit. Selon le choix que va effectuer le joueur, sa résolution sera suivie d'un nouvel élément narratif.

Imaginons deux courtes scènes cinématiques. Si le joueur épargne tous les goombas du 1er niveau, ceux-ci viennent remercier Mario avant le début du 2ème niveau. A l'inverse, si le joueur en écrase certains, c'est tout une troupe de goombas fous de rage qu'on voit poursuivre Mario avant le début du 2ème niveau. Conséquence ? Oui ! La suite du jeu sera-t-elle différente pour le joueur si les goombas sont morts ou vivants ? Non. En quoi cela affecte-t-il la façon dont le joueur va appréhender le jeu ? En rien. Les plus émotifs verseront une larme, et après ? The show must go on...

PROBLÈME : La conséquence n'est que narrative. Elle n'a aucune incidence sur la phase de jeu. Le joueur n'a aucune raison de modifier sa façon de jouer (donc de faire un choix différent), car les conséquences de ses choix n'affectent pas le jeu.


€ ROUND 2

SOLUTION : Il faut donc des conséquences sur le gameplay. Elles peuvent affecter les mécaniques de jeu (courir, sauter, tirer des boules de feu, ramasser des items...) ou encore la difficulté du jeu (nombre ou capacités des ennemis, nombre de vie du joueur...). Le joueur pourra ainsi en temps réel, ou avec un certain décalage, ressentir au niveau du jeu les conséquences de ses choix.

 

 

Imaginons plutôt que si le joueur épargne tous les goombas du 1er niveau, il gagne un cœur à la fin de celui-ci, alors que s'il les écrase, chaque goomba laisse derrière lui un champignon magique, une fleur de feu ou une pièce d'or. Conséquences sur le gameplay ? Oui ! Choix moral ? On cherche, on cherche... mais où est donc passée la morale dans cette histoire ?

PROBLÈME : Le choix est uniquement de nature stratégique : J'ai plus beaucoup de vies, je devrais essayer d'éviter les goombas pour gagner un cœur à la fin du niveau. Ou alors : Dure-dure ce niveau, il y a des Goombas partout. Difficile de les éviter... Je vais en écraser quelques-uns et pourquoi pas récupérer une fleur de feu pour finir les autres. Le joueur effectue un calcul : Il choisit selon son intérêt, et c'est normal. Pas de morale. Le joueur ne se pose pas la question de savoir si ce qu'il fait est bien ou mal, car ce qu'il fait est logique. Les conséquences ne portent donc cette fois-ci que sur le gameplay.


€ ROUND 3

SOLUTION : Certes, il faut des conséquences sur le gameplay, mais il faut aussi que le choix que va effectuer le joueur fasse appel à sa morale. Comment le joueur peut-il savoir que tuer des goombas, c'est mal, alors que paradoxalement on le récompense d'items pour cette action ? Il n'a aucune raison d'arrêter. C'est donc au jeu d'être moralisateur. Il ne faut pas attendre que le joueur se sente soumit à des questions morales. Il faut les provoquer.

 

 

On va donc conserver nos 2 idées de départ : les conséquences sur le gameplay et celles sur le récit. On va juste adapter un peu mieux cette dernière pour lui donner un caractère plus moralisateur : Le joueur apprend au début du jeu que Bowser a monté les pacifiques goombas contre Mario, en leur faisant croire que celui-ci est un dangereux envahisseur. En introduisant cet élément narratif, on fait passer les goombas pour des victimes qui ont été dupé. Le véritable ennemi, c'est Browser (qui l'eu crut !). C'est là qu'on commence à titiller la morale du joueur. C'est là qu'il va commencer à remettre en question ses choix d'action. O.K., en tuant ces goombas je vais gagner des items. Pourtant, je sais qu'ils se font manipuler. Est-ce que finalement ils ne méritent pas que je leur laisse la vie sauve ? C'est à ce moment que l'on peut commencer à parler de dilemme. Dilemme entre l'intérêt du joueur (les items) et sa morale (tuer les goombas, c'est mal). Dilemme entre le jeu et l'histoire.


# CONCLUSION

Peut-on alors commencer à parler de choix moral ? Oui. Tant qu'il y a des conséquences sur le jeu comme sur l'histoire, qui sont liées entre elles et qui poussent le joueur à se référer à sa morale, on peut appeler ça un début de choix moral. Pourquoi un début ? Car on est seulement aux prémices de notre grande réflexion sur le choix moral dans le jeu vidéo. Ce post aborde le sujet d'une manière théorique, on étudiera la chose plus tard avec des exemples concrets dans certains jeux vidéo.

Et pour l'idée de laisser au joueur le choix d'achever ou non Ganondorf, la question n'est pas de savoir si s'est un choix moral, mais plutôt de savoir comment  rendre ce choix intéressant pour le joueur afin d'en faire un bon choix moral.

A suivre... Lire la suite : Comment (bien) introduire un choix moral ?